Intervention de Jean-Paul Mattei

Séance en hémicycle du lundi 18 juin 2018 à 16h00
Décote applicable aux cessions de biens et actifs immobiliers du domaine privé de l'État — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Mattei, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Or ces listes régionales prévues au II de l'article L. 3211-7 du code général de la propriété des personnes publiques constituent un dispositif inutile et qui, en pratique, a des répercussions négatives pour l'État. En réalité, tout terrain de l'État mis en vente est susceptible d'être cédé avec décote, qu'il soit inscrit ou non sur une liste régionale. L'État a ainsi vendu avec décote neuf terrains qui n'étaient pas inscrits sur une liste régionale. De plus, aujourd'hui, l'inscription sur une liste régionale limite les possibilités de vente à d'autres fins, occasionne des frais de gardiennage et fait courir un risque de dégradation de la valeur en l'absence d'acquéreur.

Le calcul de la décote peut donner lieu à d'âpres discussions, certaines des personnes que j'ai auditionnées évoquant des critères et une grille de taux assez abstraits. Ainsi que le souligne la Cour des comptes, ces lourdeurs procédurales ont pu favoriser l'émergence de projets hors du dispositif de la décote qui demeure à ce jour peu utilisé.

La deuxième critique met en cause l'opportunité même du choix de l'État de consentir une décote dans le cadre d'opérations conduites par certaines collectivités locales. De fait, ce mécanisme peut aboutir à accorder une subvention exorbitante à des collectivités disposant de réserves foncières propres.

C'est la raison pour laquelle j'avais proposé lors de la discussion du projet de loi ELAN des amendements visant à améliorer ce dispositif en limitant ses effets pervers spéculatifs, notamment pour les collectivités et établissements publics qui disposent de réserves foncières – il était proposé de limiter le recours à la décote au coût moyen par mètre carré de construction de logements dans le secteur concerné.

Ainsi que le montre le référé de la Cour des comptes, ce constat vaut pour l'ensemble du territoire, mais peut présenter une acuité particulière dans des zones tendues et, en tout premier lieu, à Paris. Il ressort de plusieurs rapports parlementaires, notamment de mon prédécesseur Jean-Louis Dumont, que dans le cadre de trois opérations de construction de logements sociaux engagées depuis 2013 par la ville de Paris, l'État a ainsi dépensé près de 37,3 millions d'euros pour 386 logements. S'il convient de ne pas méconnaître les efforts consentis par la collectivité parisienne, notamment par l'exercice du droit de préemption qui peut être plus coûteux, l'usage de la décote n'en aboutit pas moins dans les opérations réalisées sur son territoire à une dépense d'environ 100 000 euros par logement social. Pour mémoire, le coût du dispositif sur le reste du territoire national est limité à 16 000 euros.

La décote comporte indiscutablement le risque de moins-values importantes pour les finances publiques et, dans certaines circonstances, pourrait s'assimiler à un financement par l'État de la politique du logement des collectivités locales, à une nouvelle aide à la pierre.

Ce subventionnement atteint-il ses résultats, à savoir créer un choc de l'offre avec la production de 110 000 logements et 234 cessions en quatre ans ? Hélas, les derniers chiffres disponibles quant aux logements construits et aux cessions réalisés se révèlent bien en deçà des objectifs initiaux.

En février 2018, on dénombrait ainsi 7 798 logements construits ou programmés, dont 5 868 logements sociaux, et 85 cessions avaient été réalisées, avec un taux global de décote de 58 % correspondant à un montant de moindres recettes estimé à un peu moins de 130,81 millions d'euros.

Ces chiffres sont plus élevés que les informations communiquées en réponse aux questionnaires budgétaires qui faisaient état, au 1er août 2017, de la réalisation de 6 800 logements, dont 5 000 sociaux, avec des moins-values pour le compte d'affectation spéciale de l'ordre de 115 millions d'euros et un taux de décote oscillant entre 12 % et 100 %.

Certes, la décote a pu permettre la réalisation de projets qui n'auraient pu aboutir sans la cession de bâtiments ou terrains de l'État à un prix inférieur à leur valeur vénale. Mais les analyses montrent souvent une mobilisation de moyens très coûteuse et parfois disproportionnée au regard du nombre de logements sociaux réalisés.

Suivant le mot même du ministre de l'action publique et des comptes publics devant la commission des finances, la décote place les services de l'État devant une injonction contradictoire, entre valorisation du patrimoine public et contribution à l'effort national en faveur du logement.

En dehors de l'équilibre du compte d'affectation spéciale, l'importance des décotes consenties revêt une importance toute particulière pour certains ministères tels que celui des armées dans la mesure où le produit des cessions est destiné au financement de leurs équipements.

Dans ces conditions, il s'avère indispensable de revoir les conditions du recours à la décote et les modalités de calcul de son taux. Dans le cadre du projet de loi ELAN, le Gouvernement a proposé un certain nombre d'allégements ou de simplifications. La présente résolution vise à appuyer cette démarche en invitant ce dernier à prendre des dispositions de nature à garantir un usage plus proportionné et plus pertinent de la décote applicable aux cessions de biens et actifs immobiliers du domaine privé de l'État.

Au-delà de la correction des effets pervers de certains dispositifs comme la décote, il est important d'améliorer la gestion du patrimoine immobilier de l'État en développant d'autres outils de valorisation : baux emphytéotiques ou foncières.

Mes chers collègues, je vous invite à adopter cette proposition de résolution.

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