Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du lundi 18 juin 2018 à 16h00
Décote applicable aux cessions de biens et actifs immobiliers du domaine privé de l'État — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, la proposition de résolution peut être considérée comme un complément de la loi ELAN. Elle revient sur une partie de la loi Duflot, aux termes de laquelle, quand l'État cède des biens de son domaine privé, ceux-ci peuvent bénéficier d'une décote de 100 % à condition que l'organisme public ou agréé auquel ils sont cédés réalise 75 % de logement social.

On nous assure que, ce système ayant très mal fonctionné, il est temps de le réformer. On pourrait commencer par s'interroger sur les raisons de cet insuccès. Notons que, dans certaines villes, le dispositif a tout de même permis de bien belles réalisations, comme le Fort de l'Est sur le territoire de Plaine commune. Notons aussi que, malheureusement, certains opérateurs, comme la SNCF, n'ont pas vraiment joué le jeu de cette loi.

Quand Charles de Courson, après avoir déploré le faible degré de rentabilité de la loi – 6 % – , s'exclame : Que ne l'avons-nous supprimée ? , je m'interroge sur la décision qu'il prendra bientôt sur le CICE, dont le rendement, en termes de rentabilité et de création d'emploi, est encore inférieur !

Au lieu de se demander pourquoi cette loi a moins bien fonctionné qu'on ne le souhaitait, même si elle a joué un rôle important – notamment parce que, dans beaucoup de communes concernées, la question est moins celle de la construction que du foncier accessible, et que la loi Duflot donnait aux communes périphériques de la métropole parisienne un pouvoir sur le foncier qui leur permettait d'échapper à la gentrification imposée par le marché – , au lieu, dis-je, de s'interroger sur les dysfonctionnements de cette loi et de chercher à l'améliorer, on la détériore.

Comment ? En se fondant sur la logique de la loi ELAN, ce dont on ne saurait tenir rigueur à Jean-Paul Mattei. La loi ELAN vise en effet à abaisser de 75% à 50%, en cas de cession, la part nécessairement dévolue au logement social. À partir de là, on peut s'interroger. Si la part des logements sociaux tombe à 50%, pourquoi l'État ferait-il une mauvaise affaire au moment où la part des centres commerciaux et des immeubles privés normaux s'agrandit ? La logique est imparable !

Le problème est que cette réforme aura un autre effet : elle coûtera encore plus cher aux bailleurs sociaux, aux établissements publics à caractère industriel et commercial – EPIC – ou autres, ce qui renchérira encore le coût du logement social. Tel est l'effet délétère de la résolution.

Du coup, celle-ci confirme les dispositions de la loi ELAN, que je considère comme une attaque globale contre le logement social. La méthode est toujours la même. On détériore la situation des bailleurs sociaux, soit en leur imposant de contribuer à hauteur de 1,5 milliard à la baisse des aides personnalisées au logement – APL – décidée par l'État, soit en facilitant la baisse de la décote, ce qui, si l'on suit le raisonnement de M. Mattei, la rend plus coûteuse pour les bailleurs. Et on les laisse se débrouiller avec le marché pour continuer à construire, autant que faire se peut, du logement social.

La loi ELAN leur enjoint ainsi de vendre par blocs des logements sociaux, y compris dans les villes qui ne respectent pas la loi SRU ou dans les villes carencées, ce qui aura pour conséquence inévitable de réduire la construction de logements sociaux dans notre pays, sachant que le budget de l'État en faveur du logement social a été divisé par six depuis 1999 et qu'une augmentation ne semble pas à l'ordre du jour.

Tout cela va dans le même sens. On affaiblit les bailleurs. Ensuite, on crée des dispositifs qui inciteront notre pays à diminuer sans cesse la production de logement social et à respecter de moins en moins la loi SRU. Si l'on songe que, jusqu'à présent, la vente en bloc de logements sociaux concernait quelque 8 000 logements par an, quand la loi ELAN fixe l'objectif de 40 000, on mesure le déficit que va créer ce texte.

On observe aussi que, lorsqu'on propose de transformer des bureaux en logement, on le fait une fois de plus en ménageant la possibilité de déroger à l'impératif de mixité sociale, notamment aux dispositions de la loi SRU.

Nous ne voterons pas la résolution, pas plus que nous n'avons voté la loi ELAN. Nous restons donc cohérents avec nous-mêmes. La résolution complète en effet cette loi, puisqu'elle tend à affaiblir les bailleurs sociaux, le logement social et la maîtrise que les communes avaient d'une partie du foncier. À ce titre, elle provoque un séisme.

Nous pensons au contraire qu'il faudrait construire 1 million de logements sociaux en cinq ans, encadrer les loyers et renforcer la loi SRU. Bref, nous considérons qu'il faudrait faire rigoureusement l'inverse de ce que prévoit le texte voté il y a quelques jours par l'Assemblée en première lecture, et donc l'inverse de ce que prévoit ce projet de résolution qui tend à la compléter, et que, pour cette raison, nous nous garderons de voter !

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