Intervention de Nicole Belloubet

Séance en hémicycle du mardi 19 juin 2018 à 15h00
Moyens nécessaires à la participation du ministère de la justice à l'effort national de lutte contre le terrorisme — Discussion générale

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le président, monsieur le président et monsieur le rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, monsieur le rapporteur spécial et cher Patrick Hetzel, mesdames et messieurs les députés, je vais essayer de répondre à la question posée par la proposition de résolution en discussion.

Ce faisant, je répondrai à un sujet plus limité que l'ensemble de ceux qui ont été abordés, lesquels concernent la politique générale en matière de lutte contre le terrorisme. Évidemment, c'est une politique tout à fait essentielle à laquelle le Gouvernement est attaché, mais l'objet qui nous réunit aujourd'hui me semble plus limité.

Monsieur le rapporteur spécial, vous rappelez les trop nombreux deuils subis par la France en raison des attaques terroristes perpétrées depuis trois ans sur notre sol. Prenant acte de l'apport, que vous jugez décisif, des plans de luttes successifs contre le terrorisme et la radicalisation, vous engagez le Gouvernement à accentuer l'effort national ainsi consenti, notamment par la pérennisation des ressources obtenues par la mission « Justice ».

Au-delà, vous invitez le Gouvernement à mettre en place un dispositif d'affectation des autorisations et crédits votés, afin de circonscrire les risques éventuels de « coups de rabot » en gestion.

Enfin, conformément à une recommandation de la Cour des comptes, vous nous encouragez à mettre en place un suivi détaillé de l'emploi des crédits ouverts depuis 2015.

Je partage évidemment avec vous le constat d'une menace terroriste majeure et particulièrement meurtrière à laquelle notre pays est maintenant continûment exposé.

Depuis le début du mois de janvier 2015, ce sont ainsi 245 personnes qui ont trouvé la mort à la suite d'actions terroristes, au cours de quatorze attentats.

Cette menace terroriste d'inspiration djihadiste qui touche la France est intimement liée aux développements du conflit irako-syrien. Si la France, au même titre que ses voisins européens, demeure exposée à un risque élevé d'attaques planifiées depuis les zones du djihad, la menace dite « endogène », c'est-à-dire celle qui émane d'acteurs isolés qui n'ont pas séjourné dans les rangs de Daech, mais qui répondent aux appels au meurtre diffusés par les organisations terroristes, est toujours à son paroxysme. Notre pays est, en effet, désigné comme une cible prioritaire par les organisations terroristes. Paradoxalement, les défaites enregistrées sur le terrain par l'État islamique sont porteuses de nouvelles menaces auxquelles l'ensemble des États européens se trouvent aujourd'hui confrontés.

Ces menaces résultent, en premier lieu, du retour des anciens combattants ayant reçu une formation militaire sur le théâtre irako-syrien, dont on peut craindre qu'ils souhaitent, à leur retour en Europe, commettre des actions terroristes sur l'impulsion de l'État islamique. La menace émane également – vous en avez donné, les uns et les autres, plusieurs exemples – d'actions individuelles commises par des personnes autoradicalisées, qui ne présentent pas nécessairement de lien opérationnel poussé avec une organisation terroriste, mais qui peuvent être destinataires de consignes de passage à l'acte de la part de djihadistes actifs en zone irako-syrienne, ou bien être animés d'une volonté d'imitation, encouragés en cela par la propagande djihadiste.

Le nombre des attaques perpétrées ne doit pas occulter le travail remarquable accompli par les services de renseignement en lien avec l'autorité judiciaire, puisque, depuis 2014, ce sont près de soixante-dix projets d'actions violentes, dont encore deux la semaine dernière, qui ont été déjoués après avoir été mis au jour dans le cadre de procédures judiciaires.

Cette mobilisation de l'État s'est traduite par une adaptation de la politique pénale et pénitentiaire et par un renforcement des moyens. Les effectifs de la chaîne pénale ont ainsi été accrus, que ce soit par le doublement des magistrats affectés à la section en charge des affaires de terrorisme au parquet de Paris ou par la création d'une section dédiée au terrorisme délictuel au sein de la 16e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris, ou encore par la création d'un deuxième et bientôt, peut-être, d'un troisième poste de juge de l'application des peines terroriste.

Par ailleurs, en 2017, comme certains d'entre vous l'ont rappelé, a été créé un bureau central chargé du renseignement pénitentiaire, destiné à mieux détecter les risques de passage à l'acte terroriste au sein des prisons. Articulé autour d'un réseau composé de trois échelons – le bureau central du renseignement pénitentiaire, dix cellules interrégionales et des délégations locales dans les établissements pénitentiaires – et en relation avec les services de renseignement partenaires, le renseignement pénitentiaire a bénéficié de la création de cinquante et un emplois par la loi de finances. Il compte désormais 307 agents dont 39 au sein du bureau central de renseignement.

Enfin, s'agissant de 2018, Mme Saint-Paul et M. Questel ont rappelé les axes de la politique consolidée conduite en matière de lutte contre le terrorisme, qu'il s'agisse de nos actions en milieu fermé, en milieu ouvert ou encore de notre politique de prévention très volontariste.

Ces efforts substantiels, comme vous l'avez souligné, monsieur Hetzel, ont en bonne partie été rendus possibles par deux plans de lutte antiterroriste et un plan d'action contre la radicalisation et le terrorisme. Sur les trois années 2015 à 2017, ce sont près de 3 500 emplois et 400 millions d'euros de crédits de fonctionnement et d'investissement qui ont été exécutés dans le cadre de ces plans. Les crédits obtenus ont ainsi permis de renforcer et de repenser le dispositif d'aide aux victimes d'actes de terrorisme. D'importants investissements ont également été réalisés pour la sécurisation des palais de justice et des établissements pénitentiaires, ainsi que pour la construction d'équipements divers, tels que, par exemple, un stand de tir ou un centre sécuritaire en Île-de-France.

L'ensemble de l'effort consenti a contribué à la prévention et à l'accompagnement des personnes suivies par l'administration pénitentiaire et par la protection judiciaire de la jeunesse, en milieu fermé comme en milieu ouvert, à la prise en charge de personnes radicalisées ou en voie de radicalisation, au renforcement de la sécurité dans les établissements et à l'intégration dans le second cercle du renseignement de l'administration pénitentiaire, tous objectifs définis dès le PLAT 1.

Force est de reconnaître que les crédits octroyés pour mener à bien ces plans de lutte ont aussi permis de couvrir, au moins partiellement, des sous-dotations, notamment sur la maintenance des établissements pénitentiaires, les frais de justice ou encore la résorption de vacances d'emplois. Il ne s'agit pas pour autant d'effets d'aubaine dans la mesure où, si certains besoins préexistaient, ils se sont trouvés renforcés par les nouveaux défis sécuritaires, tandis que d'autres besoins étaient totalement nouveaux – je pense en particulier à la création des quartiers d'évaluation de la radicalisation dans les établissements pénitentiaires.

Les dispositifs PLAT et PART ont indiscutablement permis une mobilisation de moyens et de ressources dans un laps de temps très rapide. Il est certain également que les moyens dédiés à la lutte contre le terrorisme et la radicalisation devront encore être mobilisés pour plusieurs années. C'est ce que permettra de faire la loi de programmation 2018-2022, que le Parlement examinera à l'automne et qui répond précisément à votre demande de planifier les moyens et d'accentuer l'effort.

Monsieur le député, vous invitez également le Gouvernement à envisager des procédures susceptibles d'assurer en gestion la préservation des ressources nécessaires à la lutte contre le terrorisme. C'est ce que le Gouvernement a fait en décidant, dès 2018, une importante diminution du taux de crédits mis en réserve de précaution. Il y a un an, à cette date, 10,5 % des crédits hors masse salariale du ministère étaient gelés, donc inutilisables. Cette année, seuls 3 % des crédits connaissent ce sort. Cela permet de dépenser plus sereinement les crédits et de les consacrer aux priorités retenues.

S'agissant du suivi des crédits, le ministère a mis en oeuvre la recommandation de la Cour des comptes, au travers des rapports annuels de performance des années 2015 à 2017, qui détaillent la consommation des crédits et la réalisation des créations d'emplois labellisés « PLAT ». Mais si le coût de certaines mesures est aisément identifiable, il repose, pour d'autres, sur une clé de répartition purement conventionnelle, car il n'est pas toujours possible de distinguer la dépense « PLAT » de la dépense de droit commun.

Dans la programmation 2018-2022, certains crédits vont concourir de manière évidente à la lutte contre le terrorisme, comme ceux consacrés à la création des quartiers d'évaluation de la radicalisation ou à la finalisation des cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire. Le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice prévoit également le recrutement d'une centaine de personnels dédiés au renseignement, qui pourront aisément être rattachés à cet objectif. D'autres crédits, en revanche, comme ceux que nous consacrons à la résorption des vacances d'emplois dans la pénitentiaire ou dans les juridictions, au renforcement des effectifs pour les extractions judiciaires, à la construction d'établissements pénitentiaires, vont contribuer à créer un environnement favorable à l'efficacité de notre lutte contre le terrorisme et la radicalisation. C'est une question que vous aviez, les uns et les autres, soulevée. Pour autant, ces crédits n'ont pas de raison d'être reconduits dans un dispositif de type PLAT ou PART. La volonté vertueuse d'affecter les crédits trop précisément peut, en effet, en créant des rigidités trop importantes en gestion, desservir la cause qu'elle est censée défendre.

Nous devons, en revanche, être en mesure de répondre rapidement à l'exigence d'un compte rendu précis et fiable de l'utilisation faite des crédits, affectés ou non. Des outils existent déjà à cette fin. Nous disposons, au travers du progiciel CHORUS, d'un référentiel analytique pour les dépenses hors titre 2, qui permet la ventilation des factures par destination de la dépense. Nous l'avons volontairement enrichi à l'occasion de la mise en oeuvre des plans précités pour mieux suivre l'exécution des crédits dédiés à la lutte contre la radicalisation et contre le terrorisme. Mais il serait, à mes yeux, illusoire d'en attendre une connaissance exhaustive de ces crédits. Comment, par exemple, identifier, au sein des frais de justice, les seules procédures qui seraient liées au terrorisme ? Comment distinguer, dans les subventions versées aux associations de victimes, celles qui bénéficient aux seules victimes de terrorisme ? Tout cela est évidemment complexe. C'est la raison pour laquelle je n'adhérerai pas à la préconisation que vous portez, monsieur le député.

Permettez-moi de répondre à présent à des objections soulevées par Mme Rabault, qui portaient notamment sur la question de l'exécution de nos crédits. Je ne sais pas si nous serons en désaccord, mais je puis vous dire que nous avons consommé la quasi-intégralité des crédits de justice ouverts, hors masse salariale. En 2017, 8,3 milliards d'euros de crédits ont été consommés, ce qui représente 99,6 % de consommation par rapport aux crédits ouverts.

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