Intervention de Charles de Courson

Séance en hémicycle du mardi 19 juin 2018 à 15h00
Autonomie fiscale des collectivités territoriales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCharles de Courson :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, monsieur le président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, mes chers collègues, au nom du groupe UDI, Agir et indépendants, je tiens tout d'abord à remercier la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, en particulier son président, Jean-René Cazeneuve, ainsi que Christophe Jerretie, mon jeune collègue co-rapporteur de la mission flash relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales.

Notre groupe a souhaité profiter de cette semaine du « printemps de l'évaluation » pour mettre en avant les travaux de la délégation sur ce sujet majeur pour nos territoires qu'est l'autonomie financière et fiscale, dans la mesure où la situation des comptes publics de l'État ne permet pas de garantir la pérennité au niveau actuel des transferts financiers entre l'État et les collectivités territoriales.

Cette mission flash représente une contribution de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation à la réforme de nos institutions et, en particulier, au projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace. Cette mission a été lancée à la suite du constat, exprimé par les élus locaux, d'un décalage de plus en plus fort entre les responsabilités confiées aux collectivités territoriales et les ressources dont elles disposent pour y répondre. Qui plus est, la suppression totale de la taxe d'habitation à l'horizon 2020, combinée aux incertitudes sur les moyens de remplacer cette ressource majeure du bloc communal, n'a fait qu'augmenter les inquiétudes des élus locaux. C'est pourquoi notre délégation a souhaité travailler sur ce sujet de l'autonomie financière des collectivités, dans la perspective de la révision constitutionnelle, dont le texte sera examiné dès demain, pour avis, en commission des finances et la semaine prochaine, en commission des lois.

Aujourd'hui, je voudrais préciser ce qu'est l'autonomie financière des collectivités territoriales au sens constitutionnel, puis vous faire partager la désillusion des élus locaux par rapport à la consécration constitutionnelle de l'autonomie financière en 2003. Enfin, convaincu qu'une République française véritablement décentralisée nécessite une authentique autonomie financière des collectivités, je voudrais vous présenter et vous proposer de soutenir les quatre propositions que la délégation a votées à l'unanimité en vue de renforcer cette autonomie financière attendue par les acteurs locaux.

Qu'est-ce que l'autonomie financière des collectivités territoriales ? Quelques rappels pour commencer. La Constitution dispose, en son article 34, que « La loi fixe les règles concernant : [… ] l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures » ; et en son article 72-2 que les collectivités territoriales « peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l'assiette et le taux dans les limites qu'elle détermine. » Ainsi, selon notre Constitution, le pouvoir de lever l'impôt n'appartient qu'au seul Parlement – j'oserais presque dire à la seule Assemblée nationale, puisqu'elle a le dernier mot – , les collectivités territoriales n'ayant qu'une compétence fiscale déléguée annuellement par le législateur, sans que ce dernier y soit obligé.

Mais qu'est-ce donc que l'autonomie financière ? Cette notion avait été reconnue par le Conseil constitutionnel, avant la réforme constitutionnelle de 2003, comme une conséquence logique du principe de libre administration des collectivités territoriales, avec deux dimensions : le droit pour les collectivités de disposer librement de leurs ressources et le droit de disposer de ressources suffisantes pour exercer leurs compétences.

Cette reconnaissance restait cependant insuffisante, car les compétences des collectivités avaient significativement augmenté depuis les lois de 1982 et 1983 cependant que leurs ressources se dégradaient. C'est pourquoi, lors de la révision constitutionnelle de 2003, fut introduit l'article 72-2 consacrant l'autonomie financière des collectivités par l'ajout deux principes supplémentaires : les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources ; tout transfert de compétence entre l'État et les collectivités s'accompagne de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice.

Malheureusement, la loi organique de 2004, nécessaire pour préciser cette notion de « part déterminante des ressources propres », a retenu une définition beaucoup trop large de la ressource propre, en incluant les ressources fiscales sur lesquelles les collectivités ont un levier d'action, mais aussi celles sur lesquelles elles n'ont aucun pouvoir. Alors que le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin avait qualifié d'« autonomie fiscale » le nouveau droit des collectivités à disposer d'une part déterminante de ressources propres, je suis tenté de m'écrier : « Raffarin, reviens ! Au secours, on a vidé ton oeuvre de son contenu ! »

Effectivement, les élus locaux ont vu leurs espoirs déçus. Et cette désillusion fut aggravée par l'élargissement, par le Conseil constitutionnel, de cette définition, déjà trop large, des ressources propres à l'occasion de la loi organique. Ainsi, lors de la réforme de la taxe professionnelle, le Conseil a jugé, dès 2009, que le fait pour le législateur d'attribuer à une catégorie de collectivité une fraction d'un impôt local suffisait à considérer que cette ressource était une ressource propre, car elle était déterminée « à partir d'une base locale d'assiette ». De la même manière, à la suite de l'adoption de la loi de finances pour 2018, le Conseil constitutionnel a estimé « qu'en dépit du dégrèvement, la taxe d'habitation continue de constituer une ressource propre des communes ». On ne peut donc que constater et regretter l'inutilité de la réforme de 2003 pour enrayer la dégradation continue de l'autonomie fiscale des collectivités.

Ensuite, cette défiance des élus locaux a été encore accentuée par une jurisprudence stricte dans l'appréciation des compensations financières des transferts de compétences. Ainsi, en 2011, le Conseil n'a pas considéré que les compensations devaient être intégrales et évolutives !

Mais le plus absurde, ou le plus inquiétant, est l'amélioration tout à fait paradoxale et continue du ratio d'autonomie financière des collectivités. Entre 2003 et 2015, ce ratio a progressé de 60,8 % à 68,6 % pour le bloc communal, de 58,6 % à 70,9 % pour les départements, et de 41,7 % – ne vous évanouissez pas ! – à 62,5 % pour les régions. Cela s'explique, en partie, par la baisse continue des dotations aux collectivités, qui diminue la part de ces dernières dans l'ensemble de leurs ressources propres, mais, surtout, très majoritairement, par la qualification abusive de ressources propres retenue par le Conseil Constitutionnel. Ainsi, il serait tout à fait possible de se retrouver dans la situation ubuesque, où les ressources d'une catégorie de collectivité seraient composées exclusivement de fiscalité nationale transférée, c'est-à-dire que son ratio d'autonomie financière serait de 100 %, alors que son autonomie fiscale serait nulle !

J'en viens aux propositions que nous formulons pour une véritable autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales. Nous venons de le voir, le principe d'autonomie financière tel qu'actuellement défini et interprété est insuffisant. Il convient donc de le faire évoluer pour corriger cette occasion manquée de la révision constitutionnelle de 2003, afin que l'autonomie financière soit, enfin, une véritable garantie de la libre administration des collectivités territoriales. Pour cela, cette proposition de résolution vous soumet quatre souhaits, adoptés, je le rappelle, à l'unanimité de la délégation, toutes tendances confondues.

Le premier est la redéfinition du ratio d'autonomie financière, en éliminant les fractions de produit d'impôt national transférées aux collectivités territoriales, ainsi que la création d'un ratio d'autonomie fiscale, destiné à garantir une autonomie fiscale pleine et entière ; ce ratio viendrait compléter le ratio d'autonomie financière et non s'y substituer.

Le deuxième est l'autonomie pleine et entière de fixation des taux par les assemblées territoriales, pour des raisons de responsabilité financière et de démocratie locale.

Le troisième souhait est qu'une loi de financement des collectivités territoriales, en cohérence avec le projet de loi de finances voire avec le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, fixe leurs recettes et les grandes orientations de leurs dépenses de fonctionnement et d'investissement. Il s'agit d'une vieille demande de l'ensemble des associations qui regroupent les trois familles de collectivités territoriales, dont le mérite serait d'assurer une cohérence entre l'ensemble des recettes, surtout si l'on s'oriente vers une discussion commune des premières parties de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale.

Le quatrième est que les compensations de transferts de charges de l'État vers les collectivités territoriales soient intégrales et évolutives.

Pour conclure, je voudrais souligner l'urgence de la situation dans laquelle se trouvent les collectivités. Des années de diminution des dotations ont plongé certaines d'entre elles dans de grandes difficultés, les obligeant souvent à dégrader leurs services ou à reporter leurs investissements, alors qu'elles représentent le premier investisseur public de notre pays, bien devant l'État – même si ce dernier finance une partie des investissements des collectivités territoriales – , et alors même que nos collectivités, nos communes en particulier, constituent le creuset de la démocratie, là où le lien entre les élus et les citoyens électeurs est le plus fort.

C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à soutenir ces quatre propositions, adoptées, je le répète, à l'unanimité de la délégation, pour une véritable autonomie financière et fiscale de nos collectivités, dans le cadre de la révision constitutionnelle à venir.

J'ajoute, pour ceux qui pensent que ces propositions de la délégation reprises par mon groupe parlementaire sont tout à fait excessives, que l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité – AMF – , l'Assemblée des communautés de France – AdCF – , France urbaine, Villes de France et l'association des petites villes de France – APVF – soutiennent cette résolution…

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