Intervention de Ángel Losada

Réunion du mardi 18 juillet 2017 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Ángel Losada, Représentant spécial de l'Union européenne pour le Sahel :

Je suis très honoré de cette invitation et vous remercie de l'accueil chaleureux qui m'est réservé. Vous avez raison, Madame la Présidente, le Sahel est la frontière avancée de l'Europe, c'est la frontière de notre frontière, et la sécurité du continent européen dépend en grande partie de celle de la région qui nous occupe aujourd'hui. C'est le message que j'essaie de faire passer depuis ma prise de fonction.

Pour mémoire, le représentant spécial est nommé, aux termes de l'article 33 du Traité de l'Union européenne (TUE), par le Conseil de l'Union européenne sur proposition de la Haute représentante. Mon rôle est donc d'être au service des Etats membres et de la cohérence de leur action dans la région.

Avant toute chose, je souhaite remercier la France pour son engagement déterminant au Mali et plus largement au Sahel. Je salue notamment la décision prise par Emmanuel Macron le 2 juillet dernier d'avoir participé au sommet du G5 Sahel, mais surtout d'avoir lancé, le 13 juillet, l'Alliance pour le Sahel, initiative euro-franco-allemande, qui pourra compter, je tiens à le souligner, sur le plein soutien de l'Union européenne. Je souhaite enfin insister sur le rôle important que peuvent jouer les Parlements nationaux dans ce processus de stabilisation du Sahel.

Je vous propose d'axer mon propos autour de trois grandes questions : qu'est-ce que le Sahel ? Que fait l'Union européenne ? Quelles sont enfin les perspectives et les enjeux de notre action dans la zone ?

Qu'entend-on par Sahel pour commencer ? On peut dire qu'il s'agit aujourd'hui d'un polygone de crises. Crise sécuritaire, avec la crise en Libye, au Mali, et dans le bassin du lac Tchad ; cette crise triangulaire fait fleurir tous les trafics, de drogues, de personnes et d'armes. Crise de gouvernance, avec au Sahel des institutions faibles et marquées par la corruption. Crise climatique : la question cruciale de l'eau dans le bassin du lac Tchad nous le montre. Crise migratoire dont vous en connaissez la teneur. Crise démographique : je vous rappelle que le nombre d'enfants par femme est en moyenne de 7,6 enfants par femme au Nige : sa population va doubler en 18 ans. Enfin, une crise humanitaire qui s'annonce au lac Tchad.

Ceci étant dit, il y a pour moi trois Sahel. Le premier désigne le Sahel géographique, une région de 7500 km de long et 1000 km de large qui s'étend d'une côte à l'autre de l'Afrique et présente une uniformité climatique, politique, culturelle. Il y a ensuite le Sahel institutionnel, qui s'appuie sur une nouvelle organisation, le G5 Sahel, créé à l'initiative de la Mauritanie, du Niger, du Mali, du Tchad, et du Burkina Faso, et qui marque la volonté de traiter en commun les problèmes de la région. Enfin, il existe un Sahel géostratégique, dont les frontières excèdent celles des pays du G5 Sahel, car il englobe d'autres cercles. Par exemple, on peut estimer que la crise libyenne n'est pas sans répercussion sur le Sahel et inversement. De même, on peut considérer que des pays comme l'Algérie ou encore le Sénégal, sont d'une certaine manière des pays sahéliens, directement intéressés à la stabilité de la zone. S'y ajoutent les organisations internationales, comme la CDAO, l'Union africaine, qui ont leur mot à dire, de même que tous les pays d'Afrique occidentale et du Maghreb qui ont à voir avec la lutte contre le terrorisme ou les questions migratoires. Il est impossible d'isoler le Sahel dans le traitement des crises car il est pris dans cet environnement géostratégique plus vaste.

Que peut faire l'Union européenne et quels sont les instruments dont elle dispose ?

L'Union a une stratégie régionale et a noué un partenariat avec le G5 Sahel. La première est simple et repose sur deux piliers fondamentaux : la sécurité et le développement. Les deux sont liés. Il n'y a pas de sécurité sans développement et réciproquement. Parmi les 16 stratégies actuellement en cours sur la région, celle de l'Union européenne est la première à avoir été adoptée, en mars 2011, avant même la crise malienne, et elle a été d'emblée dirigée vers les pays qui sont maintenant ceux du G5. Sur cette base, l'Union européenne et ses États membres ont adopté un plan d'action régional dont les actions s'articulent selon quatre priorités.

Le plan d'action régional vise en premier lieu la lutte contre la radicalisation. Le concept lui-même est complexe et il ne faut pas assimiler la radicalisation au Sahel à celle que l'on a en Europe. Il faut tenir compte de ces différences.

Le plan vise en deuxième lieu la jeunesse. Compte tenu de la croissance démographique, c'est un élément fondamental. Il faut donc agir en direction de la jeunesse, avec un effet direct sur la radicalisation. C'est aussi un paramètre de la question migratoire. Il faut donc agir sur l'emploi et la création de richesses. La jeunesse est également une grande richesse, et elle peut être très positive tant pour les pays du Sahel que pour nous. La Haute Représentante a d'ailleurs lancé un grand nombre de projets en ce sens. Elle essaie d'établir un lien privilégié.

La troisième priorité concerne les migrations. Les migrations irrégulières sont l'une des grandes difficultés auxquelles nous devons faire face. Pour traiter l'ensemble des migrations, y compris les migrations régulières, on peut s'appuyer sur les résultats du sommet de La Valette entre l'Union européenne et les pays africains, et notamment la création du fonds fiduciaire. Il faut voir la question migratoire sous tous ses aspects, notamment ceux qui peuvent être positifs.

La gestion des frontières et la lutte contre les trafics constituent la quatrième priorité. C'est le domaine où le G5 a un rôle important à jouer, car l'un des principaux enjeux est la gestion transfrontalière. La création du G5 est un grand atout et je rends hommage à ceux qui ont contribué à sa création, notamment mon prédécesseur, M. Michel Dominique Reveyrand de Menthon. Le G5 a été reconnu par les Nations unies et nous l'avons soutenu pour qu'il soit reconnu, y compris dans son environnement régional, comme un interlocuteur sur les questions de sécurité et de développement auxquelles il faut faire face.

En regard de cette stratégie et du plan d'action régional, l'Union européenne dispose de plusieurs instruments.

Sur le plan institutionnel, il faut mentionner la Haute Représentante, qui est allée dix fois au Sahel, ce qui démontre l'intérêt qu'elle lui porte. Il y a également le bureau qui est auprès de moi, le Service d'action extérieure et aussi la Commission européenne.

Deux types d'institutions présentes sur place sont également très importantes.

Ce sont d'abord les missions de l'Union européenne dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Elles sont au nombre de trois, avec EUTM- Mali pour la formation militaire et les deux missions civiles EUCAP Sahel Mali et EUCAP Sahel Niger. Elles jouent un rôle fondamental.

Pour ce qui concerne les instruments financiers, il y a le Fonds européen de développement (FED), doté de 3,5 milliards d'euros pour les années 2014-2020, et le nouvel instrument qu'est le fonds fiduciaire que je viens de mentionner et qui est doté de 2,8 milliards d'euros, avec trois volets : l'un pour le Sahel, l'autre pour le Maghreb et le troisième pour la Corne de l'Afrique.

Le troisième instrument est le partenariat stratégique entre l'Union européenne et ses États membres, et le G5. La Haute Représentante, et moi-même, assistons au Sommet, de même qu'à toutes les plates-formes ministérielles sur les questions de sécurité et de défense. Nous avons une feuille de route dans laquelle nous avons progressivement inscrit la question de la migration.

Au total, les fonds mobilisés pour l'ensemble de ces actions sont importants, avec plus 8 milliards d'euros si l'on ajoute aux fonds européens les financements de chacun des États membres, parmi lesquels la France et l'Allemagne.

En regard de ces instruments, quels sont donc les perspectives et les enjeux ?

Pour ce qui concerne les perspectives, il faut d'abord rappeler que le processus de paix au Mali avance, avec difficulté sans aucun doute, mais il avance. Aussi bien le gouvernement que les mouvements sont assis à la même table. Tant qu'il n'y aura pas de paix au Mali, il n'y aura pas de paix au Sahel. C'est une réalité absolue. Après la visite du président de la République, M. Emmanuel Macron, au Mali et après la signature ici à Paris de l'Alliance pour le Sahel, grâce à la France et à l'Allemagne, et aux pays membres de l'Union européenne, nous avons avancé, sur deux grands volets, la sécurité et le développement.

S'agissant du développement, l'Alliance est innovante et vient à point nommé. Nous avons besoin d'une meilleure utilisation des instruments actuels, avec notamment une contrepartie.

L'Alliance se fonde sur quatre piliers. D'abord, elle essaie de bien identifier les secteurs sur lesquels agir. Ensuite, elle se fonde sur la redevabilité réciproque, de manière à être capable d'agir conjointement. C'est une certaine remise en cause de la perspective traditionnelle de l'aide au développement. Par ailleurs, est prévue la recherche de nouvelles modalités de mise en oeuvre. Le cas du fonds fiduciaire rappelle les changements à opérer. Pour faire face à une situation d'urgence, des dotations ont été débloquées très rapidement, mais l'exécution ne suit pas et c'est là qu'il faut innover, pour être en mesure d'agir plus vite. C'est dès aujourd'hui qu'il faut trouver une solution pour l'emploi de ces millions de jeunes qui seront dans les prochaines décennies aux portes de l'Europe. Toute l'Union sera affectée, et pas seulement ceux de la rive nord de la Méditerranée. Enfin, la sécurité est également l'un des piliers de l'Alliance pour le Sahel. La France a joué un rôle essentiel en la matière avec l'opération Barkhane, et le sacrifice de ses soldats, que je tiens à saluer. J'ai eu l'occasion d'accompagner la mission et sans nul doute, sans elle, nous ne serions nulle part.

L'évolution du volet développement doit être mise en perspective avec celle du volet sécurité, qui est fondamental. On a parfois critiqué le G5, mais il a créé une structure de sécurité avec plusieurs instruments, dont le collège sahélien de sécurité, un collège de défense et surtout la force conjointe. Je considère comme très positif que les cinq pays parmi les plus pauvres du monde aient voulu la mettre sur pied en si peu de temps. Ils ont voulu la mettre en place en novembre 2015 et nous avons dès maintenant un concept d'opération qui a été approuvé par l'Union africaine et salué par les Nations unies. Cette forte conjointe est très importante, car elle a quatre objectifs.

Le premier objectif est la lutte contre le terrorisme, ce que seule l'opération Barkhane faisait pour l'instant dans la région, et aussi la lutte contre les trafics de personnes et de biens, dont le trafic de drogue.

Le deuxième objectif est le rétablissement de la présence de l'État, absent de territoires entiers au Sahel et, ce qui se produit maintenant, au centre Mali. Les services de base de l'État n'y ont plus délivrés. Il faut rétablir une présence. Le vide de l'État est l'oxygène du terrorisme.

Le troisième objectif, à la jonction de la sécurité et du développement, est de contribuer au bon déroulement des opérations humanitaires et d'aide à la population, par exemple en accompagnant des convois.

Le quatrième objectif est de participer aux activités de développement dans la région. Ce peut être par exemple la sécurisation d'une construction de route, comme c'était déjà le cas pour celle de Tombouctou, ou celle des projets conduits par les organisations non gouvernementales (ONG).

La force conjointe est bien réelle. Les pays veulent la mettre en oeuvre et elle part d'un existant, car Barkhane a déjà recouru aux opérations conjointes pour que les États puissent contrôler leurs frontières.

Je concluerai en évoquant trois enjeux majeurs. D'abord celui du financement. L'argent est disponible, en provenance de l'Union européenne et des pays. Il faut saluer l'initiative franco-allemande récente. Cependant, il y a aussi le risque que ne se développe une forme de fatigue des donateurs à laquelle nous devons faire attention. S'agissant de la force conjointe, la Haute représentante a annoncé une contribution de 50 millions d'euros à travers la Facilité pour la paix en Afrique. Il faut bien sûr poursuivre dans cette voie, en évitant certains écueils. L'Union avait déjà débloqué 50 millions au profit de la force multinationale luttant contre Boko-Haram dans le bassin du lac Tchad, mais cet argent n'a toujours pas été décaissé pour des raisons administratives.

Deuxième enjeu, la coordination. Il y a beaucoup d'acteurs internationaux présents dans le Sahel, de la MINUSMA à Barkhane : cela représente seize stratégies différentes. Je compte m'employer à essayer de mieux coordonner toutes ces actions.

Enfin, l'enjeu de l'appropriation. S'il n'y a pas appropriation des politiques par nos partenaires, nous ne pourrons pas aller de l'avant. Comme le disait la Haute représentante, nous sommes dans un partenariat, nous ne travaillons pas pour l'Afrique, mais avec l'Afrique.

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