Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du jeudi 21 juin 2018 à 15h00
Renforcement des droits des consommateurs en matière de démarchage téléphonique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mesdames, messieurs les députés, le démarchage téléphonique est cette sonnerie lancinante qui nous rappelle régulièrement à notre statut de consommateur ou consommatrice, même lorsque nous ne le souhaitons pas. Ces coups de téléphone arrivent à tout moment du jour, souvent les moins opportuns, parfois lorsqu'on espère en réalité une autre communication.

Avec la publicité pop-up, cette pratique, qui se propage grâce à l'expansion du commerce des données, participe de la diminution d'un monde commun où tout ne serait pas uniquement question de consommation, de marketing ou de meilleure offre disponible. La méthode du démarchage téléphonique présuppose que nous sommes toujours prêts, prêtes à consommer, à deux doigts de l'achat, de la signature du contrat, et qu'il suffit de nous solliciter.

Cette pression de la vente non sollicitée détermine les conditions de travail des employés des centres d'appel, soumis et soumises à la pression du rendement maximal, pour des salaires dérisoires.

Il y a ainsi, de notre point de vue, deux enjeux majeurs à prendre en compte : la protection de la vie privée de nos concitoyens et concitoyennes, et la garantie d'un droit du travail qui soit un outil de protection.

S'agissant de la protection de la vie privée, le droit actuel est largement insuffisant en la matière. C'est pour l'instant aux particuliers et particulières de déclarer qu'elles et ils ne veulent pas être démarchés. C'est donc à nous de prendre de notre temps pour faire valoir notre droit à ne pas être appelé ou à ne pas recevoir d'e-mails de personnes à qui nous n'avons jamais donné nos coordonnées, et avec lesquelles a priori nous ne souhaitons avoir aucun rapport.

C'était déjà le principe de la liste Robinson, créée en 1976, sur laquelle figurent, à leur demande, les personnes physiques souhaitant recevoir moins de publicité adressée à leur nom dans leur boîte aux lettres.

En 2014, la liste Bloctel, opérée cette fois par la puissance publique, a étendu la même démarche aux sollicitations téléphoniques indues. Mais elle n'a eu que peu d'impact sur l'arrêt des démarchages : la plupart des gens continuent d'être appelés, sans leur consentement, et de recevoir des propositions visant à changer de distributeur d'énergie ou de toiture, et à profiter de la nouvelle offre, absolument nécessaire, sur leur abonnement téléphonique.

En cela, le texte proposé ici est une avancée puisqu'il renverse la logique et fait de la protection de notre vie privée la situation par défaut. Si le texte est adopté, il faudra en effet que la personne donne explicitement son consentement à être démarchée pour que ses coordonnées puissent être utilisées.

Nous soutenons donc cette démarche et sommes plutôt favorables à un renforcement des articles qu'à une suppression, qui viderait le texte de sa substance.

Néanmoins, la proposition de loi actuelle ne dit pas clairement dans quelle mesure cette obligation de consentement explicite contamine la vente à des tiers de fichiers de données à des fins commerciales. Le consentement, une fois donné, vaudra-t-il également pour la commercialisation à d'autres entreprises, qui pourront nous démarcher à leur tour ?

En outre, cette proposition de loi ne traite pas de la question du profilage, c'est-à-dire du croisement de données afin d'obtenir un portrait-robot du consommateur ou de la consommatrice cible. Il est illusoire de penser que ce qui est du domaine du démarchage téléphonique ne s'appuie pas sur les données électroniques pour mieux pouvoir nous cibler.

Le règlement général sur la protection des données ne garantit qu'un droit à l'opposition, c'est-à-dire, comme le système qui existe actuellement pour le démarchage téléphonique, un droit pour chaque personne à déclarer qu'elle ne veut pas faire l'objet de profilage. Or il s'agit d'intrusions importantes dans notre vie privée, sans qu'il y ait aucune nécessité à cela. Dans l'enquête de l'association de consommateurs UFC-Que Choisir, 91 % des personnes sondées se déclarent agacées par ces appels continus.

Le démarchage téléphonique représente donc une nuisance sociale, qui nous réduit à une fonction de consommateurs ou consommatrices, même lorsque nous ne le souhaitons pas, et qui utilise pour cela nos données personnelles.

Nous nous demandons donc pourquoi ne pas interdire tout simplement cette pratique. C'est le sens des amendements que nous avons déposés.

Derrière cette proposition de loi, il y a malheureusement toujours l'idée de consommateurs ou de consommatrices compatibles avec la « start-up nation ». Notre point de vue, c'est qu'il y a des moments de nos vies où nous voulons simplement exister sans acheter, vendre ou être soumis à une quelconque pression commerciale.

Il faut ajouter à cela que la nuisance sociale est double. Pour subvenir à cette logique d'une consommation frénétique et continue, les entreprises qui démarchent font travailler leurs employés sous de fortes contraintes.

D'abord, des normes de rendement pèsent sur les employés : nombre d'appels par heure et par jour, durée moyenne des appels, obligation de résultat ou encore objectif de rendement, qui rend la prise de pauses impossible…

Ensuite, l'environnement de travail est bruyant. Les démarcheurs et démarcheuses ne cessent de se répéter et de subir le rejet des personnes qui, pour de bonnes raisons, ne souhaitaient pas être démarchées.

En outre, les procédures sont rigides. Que dire, comment le dire, comment insister : tout est établi. Tout cela dans un environnement où le collectif est exclu. Les personnes qui travaillent dans ces centres se retrouvent devant un ordinateur toute la journée, dans un rythme effréné d'appels, passant d'un rejet à l'autre.

Enfin, les employés doivent assumer une « gestion commerciale des émotions » selon la terminologie de la sociologue états-unienne Arlie Hochschild : les employés sont forcés de sourire au téléphone pour que cela s'entende.

Saisi d'une demande d'étude émanant d'une quarantaine de médecins du travail qui s'interrogeaient sur les conséquences pour la santé de l'activité d'opérateurs et d'opératrices dans les centres d'appels téléphoniques, l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des maladies professionnelles et des accidents du travail – INRS – a rendu un rapport en 2011, où les employés de ces centres d'appels parlent eux-mêmes du blocage constant de l'expression de leurs émotions auquel elles et ils sont astreints et qui nuit gravement à leur équilibre psychique.

Or, de cette dimension, de l'aliénation créée par ce démarchage agressif et inutile pour les personnes employées à cela, la proposition de loi ne traite pas, ce que nous regrettons.

La sociologue Arlie Hochschild, que j'évoquais, s'interroge sur la nature profondément déshumanisante de ces pratiques des entreprises de démarchage : « Quand les règles concernant comment se sentir sont établies par le management, quand les travailleurs et les travailleurs ont moins de droits à la courtoisie que les clients et clientes, [… ], quand la capacité privée pour l'empathie et la chaleur humaine est mise au service de la logique de l'entreprise, qu'arrive-t-il alors à la manière dont la personne se réfère à ses propres sentiments et à son propre visage ? Quand la chaleur humaine provoquée est un instrument du travail de service, qu'apprend la personne sur elle-même grâce à ses sentiments ? Et lorsque l'employé abandonne son sourire de travail, quel lien entre son sourire et elle ou lui-même ? »

Cette proposition de loi aurait pu être l'occasion d'embrasser l'ensemble des conséquences très problématiques du démarchage, à la fois sur les personnes harcelées au quotidien par ces coups de fil et sur celles qui doivent se mettre au travail pour procéder à ces pratiques. Notre groupe soutient donc l'initiative de cette proposition de loi, même si elle ne semble pas aller aussi loin que nous le proposons dans les deux amendements que nous avons déposés, pour mettre fin à un démarchage commercial qui nous semble nuisible non seulement pour les citoyens et citoyennes, mais également pour les personnes qui sont soumises à ce travail épuisant et très peu émancipateur du point de vue individuel.

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