Intervention de Claire Landais

Réunion du mercredi 30 mai 2018 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Claire Landais, secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale :

En effet, je me garderai bien de me prononcer sur l'opportunité de la création d'une commission d'enquête. Je me permettrais simplement de rappeler que la commission d'enquête est un mode d'investigation qui confère à ses membres des prérogatives importantes pour accéder à certaines informations mais que, dans tous les cas, elle bute sur l'obstacle du secret de la défense nationale. Dans le champ des exportations des matériels de guerre, on trouve tant des informations publiques, comme le rapport annuel ou les licences elles-mêmes, que des informations classifiées ; c'est le cas d'une partie des délibérations interministérielles, protégées par une classification de niveau secret de la défense nationale. Tout dépend donc de l'objectif poursuivi au travers de la création d'une telle commission d'enquête. Évidemment, je ne prends pas parti. Dans mon propos liminaire, j'ai essayé de vous faire toucher du doigt le mécanisme d'instruction qui, lui, prend bien en compte parmi les considérations celles du respect de nos engagements internationaux, parmi lesquels figure le Traité sur le commerce des armes, dont l'article 6 traite des cas d'interdiction et l'article 7 des obligations d'évaluation et des possibilités de réexamen des autorisations d'ores-et-déjà accordées. On y trouve aussi la Position commune du Conseil du 8 décembre 2008 définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d'équipements militaires, qui reprend en grande partie les dispositions du traité susmentionné. Les dispositions de ces textes, d'autres conventions internationales ou l'existence d'embargo sont bien sûr prises en compte en CIEEMG.

Pour être complète, j'ajouterai que, bien entendu, personne ne nous demande notre avis sur l'opportunité de création d'un tel dispositif de contrôle parlementaire. Nous nous tenons en revanche à la disposition de l'ensemble de la chaîne politique pour rappeler les mesures de vigilance qui ont été mises en place depuis le début du conflit, en 2015, compte tenu du contexte local. Ces mesures sont notamment d'ordre procédural. Ainsi, alors que je vous ai indiqué qu'en temps normal, une partie des flux ne fait pas l'objet d'un examen en CIEEMG car les matériels ne sont pas suffisamment sensibles, nous avons fait remonter au niveau de la commission l'examen des dossiers lorsque les clients sont membres de la coalition conduisant l'opération Tempête décisive. En d'autres termes, davantage de dossiers sont remontés dans la chaîne politique et je peux vous assurer que ces modifications procédurales ont eu des effets. À l'inverse, je tiens à rappeler que, comme chacun le sait, si nous sommes bien sûr obligés de respecter nos engagements internationaux, il existe une marge d'appréciation dans la mesure où les instruments juridiques nationaux ou internationaux ne font pas l'objet d'une application purement mécanique. Différents types de considérations sont donc pris en compte, y compris l'établissement ou l'existence de partenariats stratégiques. De même s'agissant de notre capacité à apprécier la situation locale. Nous nous reposons bien sûr sur le panel d'experts et différents rapports ou documentations mais nous disposons également de capacités d'appréciation nationales, directement liées à nos matériels et permettant de compléter les informations dont nous avons par ailleurs connaissance.

J'en viens à présent à la question de Mme Dubois relative à la supervision de la politique spatiale de la France. Le SGDSN est effectivement chargé, comme souvent, de la coordination au niveau interministériel et de la prise en compte, dans l'élaboration et la conduite de la politique spatiale, de tous les enjeux de sécurité et de souveraineté nationales. Nous disposons ainsi de la capacité à « lever la main » quand certaines évolutions, tout à fait acceptables dans le domaine civil, pourraient mettre en péril certaines capacités stratégiques pour la défense. Pour opérer efficacement cette détection, le SGDSN doit être en mesure de travailler en parfaite coordination avec le CNES ainsi que les industriels. Ma prise de fonction est récente mais j'ai déjà eu l'occasion de les rencontrer et il me semble qu'ils sont très attentifs à nous signaler les sujets sur lesquels ils estiment que l'État doit jouer un rôle et prendre conscience d'éventuels risques associés à des décisions nationales ou européennes – au niveau de l'Agence spatiale européenne – susceptibles d'être prises.

Monsieur Lejeune, je rappellerai tout d'abord que le passage de trois à deux niveaux de classification, s'il constitue un enjeu majeur de la réforme à venir, n'est néanmoins pas le seul ! La réforme portera également sur la modernisation de l'instruction pour prendre en compte le fait que, de nos jours, l'information classifiée se présente souvent sous une forme dématérialisée. Alors que l'IGI 1300 suivait encore une logique « papier », il nous faut mettre à jour nos règles. L'ANSSI a beaucoup participé à ce travail qui implique des opérations de sécurisation des réseaux.

S'agissant plus précisément du passage de deux à trois niveaux de classification, rappelons que l'objectif est double. Premièrement, il s'agit de faciliter les échanges d'informations classifiées avec nos partenaires, notamment anglo-saxons. Deuxièmement, il s'agit en effet de rendre plus vertueux l'usage de la classification. L'objectif n'est donc pas d'opérer un simple changement d'étiquette au terme duquel tout serait élevé d'un cran mais d'amener chacun à s'interroger sur la pertinence de la classification couverte par le code pénal. Le SGDSN tient bien sûr beaucoup à ce système exorbitant du droit commun mais est parfaitement conscient de la nécessité d'adopter un usage de la classification le plus vertueux possible. Ceci concerne d'ailleurs la classification mais également la déclassification. En effet, la refonte de l'IGI 1300 doit permettre de faciliter la levée de cette protection, la classification ne devant être conservée que tant que les informations sont sensibles et que leur divulgation serait susceptible de porter atteinte à la défense nationale au sens de l'ordonnance de 1959. Aussi, il faut savoir lever la protection une fois le risque épuisé afin de ne pas susciter des critiques visant l'absence de réexamen une fois un document tamponné. J'aurai peut-être l'occasion de vous exposer plus en détail les orientations de cette réforme à l'avenir mais, en quelques mots, l'une des pistes est de demander à la personne procédant à la classification de fixer une échéance à cette classification pour déclencher une levée automatique. Bien sûr, et il s'agit d'un point auquel je prête une attention particulière, il est des domaines pour lesquels nous avons du mal à identifier une échéance. Par exemple, même si les jalons prévus par le code du patrimoine sont de cinquante ans dans le droit commun, les plans du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) sont d'un niveau de sensibilité justifiant peut-être une classification durant une durée plus longue. L'enjeu est donc de trouver le bon équilibre entre un niveau de protection demeurant adapté aussi longtemps que nécessaire et une levée facilitée de cette protection.

Concernant la question de M. Demilly sur la cyberdéfense, je ne suis pas sûre que l'on puisse vraiment parler d'un retard français. Il y a peut-être une prise de conscience tardive, mais pas forcément propre à la France. Il est certainement juste d'estimer que la population, certains opérateurs économiques et des décideurs publics ont réagi un peu tardivement mais je ne pense pas que cela soit propre à la France. Dans tous les cas, je peux vous assurer que mes prédécesseurs, Francis Delon et Louis Gautier, ont très tôt mis l'accent sur la question. Aujourd'hui, l'ANSSI occupe une position institutionnelle et jouit d'une audience qui lui confèrent une capacité de conviction qui me paraît assez forte. Ce qui est complexe, j'en conviens, c'est de suivre l'évolution de la menace, qui peut être extrêmement rapide. De ce point de vue, ces dernières années n'ont peut-être pas été les plus rassurantes mais il ne me semble pas que l'on puisse pour autant parler d'un retard spécifiquement français. Aujourd'hui, grâce notamment à la revue stratégique de la cyberdéfense, l'état des menaces, de même que la nécessité de s'y adapter, font l'objet d'une réelle diffusion qui me paraît exemplaire.

Enfin, que M. Lainé soit rassuré, la multiplication des menaces, les menaces hybrides et l'approche globale font partie des questions sur lesquelles le SGDSN travaille, en coopération avec les acteurs du renseignement pour disposer de groupes conjoints nous permettant d'apprécier au plus juste ces menaces et d'adapter les postures. Ce travail est évidemment plus complexe que lorsque nous évaluons les capacités directement militaires. Par exemple, nous menons actuellement un travail sur la manipulation de l'information et la manière de s'organiser collectivement pour faire face à ce type d'action.

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