Intervention de Sibyle Veil

Réunion du mercredi 13 juin 2018 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France :

Plusieurs questions m'ont été posées sur France Bleu et France 3, auxquelles je vais tenter d'apporter une réponse globale.

Il y a évidemment l'enjeu de la complémentarité. Une chaîne de télévision doit pouvoir rencontrer un public sur un bassin suffisamment large pour obtenir une audience qui corresponde à des modèles de production qui comportent un coût beaucoup plus important que celui d'une radio – d'où l'importance de penser notre offre en termes de complémentarité.

Alors qu'il existe des radios d'hyperproximité, les chaînes de télévision de proximité doivent se construire dans un bassin plus large, qui soit davantage à dimension régionale, pour pouvoir toucher un nombre suffisant de téléspectateurs, et justifier les moyens consacrés à cette offre de télévision.

Les programmes construits et diffusés par Radio France sont pensés pour l'hyperproximité et pour un média d'interaction. Il est évident que filmer la radio ne fera pas d'audience sur une chaîne de télévision. Nous devons nous interroger sur les contenus de la radio qui peuvent nourrir des chaînes de télévision régionales, et se mettre en image pour devenir des programmes qui rencontrent vraiment un usage et des téléspectateurs. Voilà le défi que nous devons relever.

Nous disposons de contenus très divers, en particulier des contenus d'information. Il nous faut voir quels contenus le réseau de France Bleu peut apporter à France 3 pour nourrir l'augmentation du volume d'heures de télévision régionale – vous l'avez dit, un objectif a été fixé la semaine dernière consistant à passer de deux heures de diffusion locale quotidienne à six.

France Bleu dispose de contenus diversifiés et nombreux avec des programmes d'information, des programmes politiques, des programmes culturels, des programmes concernant la vie quotidienne, qui peuvent nourrir une offre de télévision. Bien évidemment il faut « rééditorialiser » cette offre de service public, et la penser pour qu'elle recouvre une audience, sans cela elle n'aura pas de téléspectateurs. C'est tout l'intérêt de commencer de manière très pragmatique par des expérimentations.

Avec tous les contenus que France Bleu pourra apporter pour nourrir les chaînes de France 3, nous essayerons d'imaginer la meilleure manière de participer à cette offre nouvelle à l'échelle du service public audiovisuel.

Il faut aussi tenir compte de la problématique immobilière. Aujourd'hui, deux réseaux coexistent. Le réseau immobilier de France 3 est la propriété de France Télévisions, alors que celui de France Bleu répond à un schéma locatif. Parmi les quarante-quatre stations locales de France Bleu, on compte en moyenne un ou deux déménagements par an – ce qui signifie que la durée moyenne d'implantation est d'environ vingt ans. Si nous devions déménager toutes les stations de France Bleu ou de France 3, nous ferions face à des coûts absolument prohibitifs en termes d'investissements et de fonctionnement. Nous devons donc penser de manière pragmatique. C'est ce que nous avons commencé à regarder avec France Télévisions. Dans les agglomérations où France 3 et France Bleu sont présentes, nous pouvons envisager un rapprochement des réseaux, mais uniquement à la faveur d'un déménagement. Vous vous doutez que ces déménagements sont réalisés au compte-gouttes, en fonction d'enjeux de sécurité, d'environnement ou d'amélioration des conditions de travail des collaborateurs. Nous croisons les informations dont nous disposons avec France Télévisions et allons progressivement traiter cette question immobilière, de manière pragmatique, afin qu'elle ne pèse pas trop lourdement sur les finances publiques.

Vous m'avez également interrogée sur le chantier de réhabilitation de la Maison de la radio. C'est un dossier sensible pour Radio France, d'autant plus qu'il pèse lourdement sur sa trajectoire financière. Dans les années 2000, en réponse aux injonctions de la préfecture de police en matière de sécurité incendie, des investissements publics très conséquents ont été consentis. Le désamiantage du bâtiment a renchéri le coût du chantier, d'autant plus que l'opération se déroule en site occupé : Radio France continue à travailler sur ce site historique et patrimonial : il est à la fois symbolique du service public audiovisuel – c'était le site de l'ancien Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF) – et emblématique des années 1960, puisqu'il est labellisé « Patrimoine du XXe siècle » et inscrit au titre des monuments historiques.

La réhabilitation en site occupé constitue une difficulté d'autant plus importante que nous produisons du son… En conséquence, la conduite des travaux nécessite des aménagements très conséquents, qui se sont traduits par une évolution du calendrier par rapport aux objectifs d'achèvement initialement envisagés.

Un deuxième élément a conduit à rallonger le planning des travaux : à l'origine, une partie du bâtiment – les « studios moyens » – avait été exclue de la réhabilitation pour des raisons budgétaires. En 2016, nous avons été autorisés à étendre le chantier à ces studios – de nouveaux travaux bruyants à la fin du premier chantier nous auraient contraints à déménager à nouveau toutes nos antennes.

La réalisation concomitante des deux chantiers permet de mieux les phaser, mais les prolonge également sur les prochaines années. Une expertise indépendante a été conduite par M. Jean-Pierre Weiss, missionné par l'État. Il a réfléchi à la meilleure façon de coordonner ces deux chantiers de rénovation, en maîtrisant le calendrier d'exécution et donc les coûts.

Depuis l'origine, le chantier est particulièrement suivi par la Cour des comptes. Les réorganisations opérées au cours des dernières années visent à renforcer notre contrôle interne, tout en maîtrisant les coûts, la qualité et les délais de l'opération. J'ai été particulièrement vigilante sur ce triptyque au cours des dernières années et le serai toujours dans les prochaines.

Vous m'avez également interrogée sur notre trajectoire financière. En 2014, un effet de ciseaux entre les charges et les recettes avait été identifié dans le rapport de la Cour des comptes, le déficit prévisionnel étant évalué en 2015 à une vingtaine de millions d'euros. La trajectoire du COM 2015-2019 a été bâtie pour permettre un retour à l'équilibre de l'entreprise, qui s'appuie sur une stratégie d'économies au sein de l'entreprise et de stabilité de la ressource publique, l'évolution de fin de période permettant d'absorber la hausse des coûts du chantier de réhabilitation au sein de notre budget de fonctionnement. Cette trajectoire a été plus que respectée par Radio France : chaque année, le déficit exécuté a été inférieur à celui prévu dans le COM. Nous nous sommes donc pleinement engagés dans le redressement de la situation financière.

Radio France a réalisé des économies importantes sur l'ensemble de ses charges : réduction de ses charges externes, grâce à une politique d'achats extrêmement vigilante et une remise en concurrence de l'ensemble des champs de dépense de l'entreprise, mais également maîtrise de la masse salariale. En effet, comme dans tous secteurs, notre masse salariale est soumise à une dynamique propre, liée au glissement et à l'ancienneté des différents collaborateurs. Cette maîtrise est passée par des départs non remplacés. La trajectoire de non-remplacement des départs a été respectée : un départ sur deux devait ne pas être remplacé pendant deux années, puis un départ sur trois. Le rythme de réalisation de ces non-remplacements a été plus long que prévu mais, au terme des trois dernières années – 2016, 2017, 2018 –, l'objectif aura été atteint en termes de réduction des contrats à durée indéterminée, sans évolution de périmètre, donc grâce à des gains de productivité et des réorganisations, qui ont conduit à une amélioration du fonctionnement de l'entreprise.

La création de l'offre numérique et télévisée de Franceinfo a en partie incombé à Radio France : plusieurs émissions de radio, représentant quatre heures de programmes par jour, sont doublement diffusés, en radio et en télévision. La création de ces images, là où auparavant nous ne faisions que du son, a impliqué des recrutements qui ont évidemment pesé sur la masse salariale, mais ne se sont pas traduits par un dérapage du déficit. Cela signifie que des redéploiements importants ont été opérés pendant toute la période.

Vous m'avez également interrogée sur la maîtrise du recours aux CDD. Ces contrats sont consubstantiels au secteur de la radio, qui fonctionne sept jours sur sept. Nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas remplacer les personnels qui passent à l'antenne. Les importantes réorganisations que nous avons opérées nous ont permis de maîtriser ces remplacements lors des congés, mais ce n'est pas suffisant. Nous devons continuer dans cette voie, afin que notre organisation nous permette de mieux maîtriser dans la durée le recours à ces contrats.

Mme Berger m'a posé une question importante sur les caractéristiques des médias de service public : ce sont des médias d'offre et non de demande. Ils ont un rôle fondamental de prescription culturelle. Nos différentes antennes – France Culture, France Inter, France Musique et FIP – soutiennent fortement la création musicale en France. France Inter est le premier prescripteur culturel en France pour les oeuvres littéraires ou cinématographiques, ainsi que pour les pièces de théâtre. Nous soutenons la création en lui apportant une forte visibilité.

Ce rôle de prescription est essentiel et le numérique est un levier formidable en la matière : il permet de créer des recommandations intelligentes, de donner à voir encore plus largement la création, la connaissance ou le patrimoine. Ainsi, nos offres donnent une nouvelle vie aux archives ou présentent l'ensemble des productions musicales des différentes antennes réalisées par nos formations musicales. Grâce à ces offres, nous contribuons à la politique culturelle et la démocratisation de la culture en France.

C'est très important alors que les médias sociaux enferment les Français dans des bulles cognitives, les algorithmes « personnalisés » de recommandations leur donnant toujours à écouter les mêmes titres musicaux et à voir les mêmes types de contenus. En tant que service public, notre rôle est de créer davantage de références communes, avec le souci d'élargir l'horizon culturel des Français.

En matière de création musicale, nous ne sommes pas soumis aux mêmes quotas que les acteurs privés. Des objectifs précis et chiffrés sont fixés dans les cahiers des missions et des charges de chacune de nos antennes : ainsi, France Bleu doit diffuser plus de 60 % de titres francophones ; France Inter doit soutenir la création par la diffusion de jeunes talents. Le soutien va donc à la création, à la diversité et à la musique francophone.

Concernant la publicité, nous représentons une part extrêmement modeste du marché publicitaire en France. Nous sommes soumis à des limitations, à la fois en volume et en valeur, sur les différentes antennes autorisées à diffuser de la publicité. Nos recettes publicitaires sont plafonnées à 42 millions d'euros sur les antennes hertziennes. Notre chiffre d'affaires publicitaire numérique est extrêmement modeste – autour de 3 millions d'euros. Nous respectons scrupuleusement ces limitations, mais cela conduit à une gestion très administrée de la publicité : nos équipes passent plus de temps à calculer ces volumes et à vérifier le chiffre d'affaires qu'à essayer de trouver de nouveaux clients…

En 2016, l'élargissement du périmètre des entreprises et organisations autorisées à faire de la publicité sur nos antennes a eu une vertu importante, celle de stabiliser les recettes publicitaires. En effet, nous sommes devenus moins dépendants de certains secteurs.

Nous diffusons également largement les messages d'intérêt général transmis notamment par le ministère de l'intérieur – sur les questions de sécurité par exemple – mais également par le ministère de la santé, en matière de santé publique.

Vous m'avez interrogée sur la gouvernance de l'audiovisuel. Cette question d'organisation est légitimement posée, notamment par le rapport du Sénat auquel vous faites référence. Il faut la traiter en s'interrogeant tout d'abord, comme cela a été le cas au cours des derniers mois, sur les missions du secteur public audiovisuel. La gouvernance devra ensuite être organisée pour les atteindre, puis la trajectoire financière évaluée.

Quelles sont ces missions ? Je l'ai dit, il s'agit de missions de service public, liées à une forte exigence démocratique : l'évolution des usages doit nous permettre de toucher un public plus large. Mais comment s'adresser à tous les publics ? Comment continuer à renouveler et élargir nos publics ? Comment rajeunir nos audiences, au-delà du média générationnel, très bien positionné, que constitue Mouv' ? C'est le défi de Radio France. Nous devons nous adapter aux usages de toutes les générations, comprendre quelles sont les attentes de service public de nos concitoyens, puis nous organiser pour y répondre le plus efficacement possible. Les coopérations, comme le projet Franceinfo par exemple, répondent à cet objectif. Dans le même ordre d'idée, nous réfléchissons à des modalités de coopération culturelle et travaillons avec l'actionnaire public à la création d'un média global de proximité. Nous continuerons à coopérer sur tous les sujets de politiques publiques qui seront identifiés.

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