Intervention de Gérald Darmanin

Séance en hémicycle du mardi 26 juin 2018 à 15h00
État au service d'une société de confiance — Présentation

Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics :

Le travail, disais-je, a été riche puisque, sur 805 amendements discutés en commission spéciale, 169 amendements d'origine parlementaire ont été adoptés, dont, fait notable, 46 non issus de la majorité présidentielle. En séance publique, 1 026 amendements ont été discutés et 117 adoptés, dont 44 présentés par des députés n'appartenant pas, là encore, à la majorité présidentielle. Beaucoup d'amendements ont aussi été discutés au Sénat et à l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, au sein de la commission spéciale.

Après cinquante-cinq heures de débats, plus les quelques heures qui nous restent sans doute, nous conclurons le travail considérable effectué par la commission spéciale que vous présidez, madame Errante – et je tiens à vous remercier personnellement pour votre travail – , mais aussi en amont du texte par M. le rapporteur et l'ensemble des parlementaires qui se sont penchés sur le sujet : ce travail « en chambre », si je puis dire, a précédé l'examen de la chambre elle-même, sur ce texte essentiel qui correspond à une promesse du Président de la République.

Finalement, ce texte relatif au droit à l'erreur est le deuxième pilier, après le texte que je vous avais présenté sur la lutte contre la fraude. Il s'agit ici de bienveillance pour l'erreur, conformément au vieil adage d'origine latine selon lequel, si persévérer dans l'erreur est diabolique, l'erreur elle-même est humaine. Ces deux piliers d'un ouvrage global traduisent, me semble-t-il, la nouvelle politique conduite par l'administration depuis l'élection d'Emmanuel Macron. Le dernier pilier, que votre assemblée s'apprête à adopter, tend à concrétiser cette perspective dès la fin du mois d'août 2018.

Avant d'en venir au fond, je veux d'ailleurs souligner à quel point me paraît essentielle l'exécution du texte. Conformément aux engagements que j'avais pris devant vous, madame la présidente de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, j'ai demandé à l'administration placée sous mon autorité d'adopter l'ensemble des décrets simples dès la promulgation de la loi par le Président de la République. Je m'engage aussi à ce que l'ensemble des décrets soient adoptés en Conseil d'État et publiés avant le 31 décembre de cette année.

Cet engagement vaut également pour les ordonnances, en particulier celle qui a trait à la relation de confiance. Sur ce point, le texte prévoit une promulgation dans un délai de neuf mois, mais peut-être peut-on aller plus vite encore : un engagement sera sans doute pris à cet égard lors de la discussion que nous aurons, tout à l'heure, sur cette grande avancée. C'est là l'un des sujets sur lesquels les textes d'application seront publiés le plus vite. De mémoire, il me paraît au demeurant assez rare que l'on ait travaillé, en chambre, à la préparation des décrets au moment de la promulgation par le Président de la République.

Le présent texte comporte plusieurs avancées, sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir, et définit de nouveaux équilibres : c'est le cas, par exemple, pour les chambres d'agriculture, les éoliennes en mer et les cultes – point qui, sans doute, nous occupera un peu ce soir. Cela correspond en tout cas au compromis, qu'il importe de ne pas dénaturer, passé entre l'exécutif et le législatif – non seulement entre nous, mais aussi avec l'opposition et les acteurs concernés par ce texte qui intéresse toute la société civile. La première ligne rouge, pour le Gouvernement – et je remercie à cet égard mon collègue Olivier Dussopt, qui a partagé avec moi le débat parlementaire sur le projet de loi – , est justement la préservation de cet équilibre.

La deuxième ligne rouge, on l'a dit – et cela s'est vérifié – , est qu'il ne s'agit en rien d'un texte de simplification. De façon principielle, celui-ci vise à changer le fonctionnement de l'administration vis-à-vis des contribuables, des citoyens ou des entreprises. C'est si vrai que je vous ai fait parvenir, mesdames, messieurs les députés, un résumé de l'oeuvre de simplification de mes prédécesseurs et des mesures que nous avons nous-mêmes prises depuis que nous sommes aux responsabilités, notamment depuis la circulaire de M. le Premier ministre. C'est là un autre débat, non directement lié au présent texte

De fait, j'avais pris l'engagement que d'autres textes comporteraient des volets de simplification : ce fut le cas avec le projet de loi de programmation militaire, le projet de loi de programmation pour la justice et d'autres textes encore, dont le projet de loi « PACTE » – plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises – , qui sera bientôt soumis à votre assemblée. Cela me semble de bonne méthode, et c'est aussi un moyen d'éviter un texte « fourre-tout », même si un certain nombre d'articles, monsieur le rapporteur, diffèrent du premier dans leur objet. Nous avons, je crois, trouvé un équilibre qu'il s'agit désormais de ne pas rompre à l'occasion de cette nouvelle lecture.

La dernière ligne rouge touche au rejet que votre assemblée a exprimé vis-à-vis des positions du Sénat. L'objet du texte n'est pas de simplifier ou d'arranger les relations entre les administrations elles-mêmes, mais entre l'administration et les contribuables, les entreprises et les citoyens. C'est pour cette raison que nous n'avons pas voulu entrer dans le débat du droit à l'erreur pour les collectivités territoriales.

Si un tel débat n'est pas inopportun, nous engageons ici une grande révolution que l'État et ses agents, qui doivent se former pour cela, ont d'abord à s'approprier. Aussi n'avons-nous pas retenu la proposition sénatoriale en cette matière. Il y a d'ailleurs quelque chose d'un peu équivoque à refuser un texte, en tout cas dans ses équilibres, au motif qu'il n'irait pas assez loin. Qui peut le plus, peut le moins : nous consentons déjà, ce me semble, un grand effort de pédagogie et engageons une véritable révolution copernicienne pour l'administration française.

Je voudrais dire ici à quel point le temps législatif est essentiel. Le débat parlementaire nous a ainsi permis de parvenir à des compromis et, sans doute, d'éclairer, parfois même de bousculer les positions que le Gouvernement défendait devant vous, animé d'un certain conservatisme administratif – qui n'est pourtant pas le genre de la maison, mais que l'on peut retrouver ici ou là dans les dispositions que le Gouvernement fait valoir devant la représentation nationale et les citoyens. En tout cas, nous avons, je crois, considérablement avancé.

C'est le cas à propos de la garantie fiscale, dont nous tous n'avons peut-être pas assez souligné quelle révolution elle introduit dans les rapports entre le contribuable, l'entreprise et l'administration fiscale. C'est aussi le cas des rescrits, et de la notion même de rescrit.

C'est enfin le cas, je l'espère, de la relation de confiance elle-même. Je souhaite vraiment que perdure au cours de la discussion la confiance que le Parlement fait au Gouvernement, particulièrement à moi-même, pour travailler dans l'esprit dans lequel il a conçu cette relation. Je souhaiterais que les parlementaires et les entreprises participent à l'élaboration de celle-ci et que la direction générale des finances publiques ne soit pas la seule à réfléchir à ce sujet très important.

Je ne vais pas revenir sur l'intégralité des nombreuses dispositions du texte. Le plus important est sans doute l'article 1er, porteur d'un principe qui concernera l'ensemble de nos concitoyens. Lorsque la loi aura été promulguée, il faudra bien comprendre que c'est à l'administration de prouver la mauvaise foi de l'usager et non à celui-ci de prouver sa bonne foi. Je crois que nous n'avons pas mesuré – une fois n'est pas coutume – la grandeur de ce principe, qui demande à être vérifié tous les jours.

Il le sera par une application du texte que nous voulons très rapide, grâce, je l'ai dit, à la publication des décrets. Il sera également vérifié par le conseil de la réforme, et je veux dire ici à Mme la présidente de la commission spéciale que je suis entièrement à sa disposition – le cas échéant, si elle le souhaite, par des prises de position du Gouvernement dans l'hémicycle – pour concevoir le fonctionnement du conseil. S'agit-il d'une mission institutionnelle que créera la conférence des présidents de l'Assemblée nationale ou du Sénat ? J'y suis disposé. S'agira-t-il d'un lieu que nous acceptons tous ensemble, comme par un gentlemen's agreement, et où je m'engage à soumettre des textes et à faire vérifier divers éléments touchant l'administration ? Dans tous les cas, le choix de l'Assemblée nationale sera le mien : nous créerons le conseil de la réforme qu'elle souhaitera. C'est un peu le « service après-vote » – après le « service avant-vote » – que nous allons assurer.

Gageons que notre ouverture d'esprit et notre travail collaboratif inspireront d'autres textes. Cela démontrera que le Parlement peut véritablement contrôler et évaluer l'action du Gouvernement et de l'administration. Là réside d'ailleurs le premier rôle assigné à la représentation nationale.

Ce changement doit aussi être concret. Voilà pourquoi j'ai décidé de réunir tous les mois à partir de septembre, après la promulgation de la loi par le Président de la République, un comité de pilotage sur le droit à l'erreur et la société de confiance. Nous choisirons au sein des régions de France parmi les expérimentations que le Parlement a bien voulu autoriser et nous en vérifierons la mise en oeuvre sur place et sur pièces. J'associerai évidemment à cette démarche tous les parlementaires qui le souhaiteront, à commencer par vous-mêmes, mesdames et messieurs les députés ici présents. Nous irons voir si les horaires décalés sont bien assurés, comme nous l'avons promis, et s'ils fonctionnent ; nous irons voir ce qu'il en est des expérimentations conduites aujourd'hui, parfois inspirées d'hier – comme notre travail sur les URSSAF et la médiation – , mais qui peuvent être étendues demain à d'autres sujets.

Il ne faut pas avoir honte d'expérimenter, de mettre fin à de mauvaises expérimentations et de généraliser les bonnes. Pour cela, il faut que l'application du texte soit suivie. Je m'engage à y veiller chaque mois, indépendamment de ce que pourront faire les parlementaires en la matière.

Il faut également des moyens – même si, pour le ministre des comptes publics, ce n'est pas toujours par une dépense publique qu'il convient de répondre à une question qui se pose – pour assurer la transformation prévue et respecter l'esprit même du droit à l'erreur.

D'abord, des moyens pour la formation. Le projet de loi est une magnifique occasion de pratiquer la conduite du changement, comme on dirait dans d'autres lieux, et d'aider nos agents publics, les premiers à devoir intérioriser le texte et adopter un esprit de bienveillance et d'écoute, pour que l'administration soit celle du conseil plutôt que du contrôle. Voilà pourquoi la formation est essentielle. Le droit à l'erreur tiendra ainsi une place importante dans le plan de formation pour la fonction publique que je défends avec Olivier Dussopt. Ce sera une grande transformation pour les fonctionnaires, notamment pour les fonctionnaires d'État, dans l'esprit voulu par le législateur.

Il s'agit aussi – je veux saluer ici le député Saint-Martin, qui a particulièrement défendu cette idée dans le cadre du projet de loi de finances – de la création du fonds de transformation de l'action publique, doté de 700 millions d'euros en autorisations d'engagement et, pour cette année, de 200 millions d'euros en crédits de paiement. Plus de 120 millions d'euros ont déjà été utilisés ; il en reste près de 80 pour la fin de l'année. Nous avons choisi de sélectionner les projets d'administrations conformes à l'esprit du droit à l'erreur. C'est notamment le cas des dossiers retenus s'agissant de la direction générale des finances publiques.

Le Parlement aurait tout à fait intérêt à pousser encore davantage le Gouvernement à provisionner des fonds de transformation. J'invite donc le député Saint-Martin et vous toutes et tous, mesdames et messieurs les députés, à proposer la création d'un fonds équivalent dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, voire, demain, pour les collectivités territoriales. Il s'agit en effet de se donner les moyens de sa transformation au lieu de subir simplement la politique du rabot ou de la difficulté budgétaire, sans anticiper et sans moderniser une administration qui a pourtant besoin de temps long et de réflexion.

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