Intervention de Arnaud Viala

Séance en hémicycle du mardi 26 juin 2018 à 15h00
État au service d'une société de confiance — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArnaud Viala :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voilà donc arrivés à la nouvelle lecture du projet de loi pour un État au service d'une société de confiance, qui nous avait largement mobilisés lors de son examen en première lecture il y a quelques semaines.

Compte tenu de son intitulé et de l'attente des Français quant au rétablissement indispensable d'une plus grande fluidité entre les administrations et leurs préoccupations quotidiennes, mais également entre les administrations et le personnel politique – c'est-à-dire nous, élus – , nous pensions que ce texte bénéficierait d'un sort parlementaire différent. Au-delà de ce sentiment, nous avions surtout tout mis en oeuvre, lors de la première lecture, pour que tel soit le cas. Tout au long de l'examen en commission spéciale, nous avons effectué – avec vous, monsieur le ministre – un travail de très grande qualité sur les innombrables dispositions prévues par ce texte, régissant tout à la fois les rapports de l'administration aux administrés et les liens entre l'administration et les autorités élues, issues directement du suffrage universel direct.

Au cours de cet examen en première lecture, nous avions déploré certaines timidités du Gouvernement, qui avait refusé nombre de nos propositions visant à aller plus loin dans l'ambition annoncée de simplification, tant attendue des Français. Nous voulions par exemple que la notion de « silence vaut accord » soit uniformément généralisée à toutes nos administrations, afin que les interminables périodes d'attente de nos concitoyens cessent enfin ; vous ne l'avez pas souhaité.

Nous soutenions aussi l'idée que, lorsque l'administration, quelle qu'elle soit, impose des délais à nos concitoyens pour constituer leur dossier, fournir des pièces ou justifier de tel ou tel élément, il est normal que le même délai s'impose de fait à ladite administration pour répondre et traiter la demande ; vous n'en avez pas voulu.

Nous avions, avec notre collègue Véronique Louwagie, proposé bien des pistes de simplification en mettant à jour de très nombreuses dispositions légales ou réglementaires issues de divers textes de loi et contenues dans les différents codes ; vous n'en avez pas voulu. Nous avions cherché par tous les biais à ne pas vous laisser priver les niveaux locaux de leurs capacités d'innovation et d'initiative, pensant sincèrement que la proximité – fût-ce celle des administrations – est toujours garante d'efficacité et de prise en compte des particularités. Vous avez souhaité introduire un certain nombre d'expérimentations, pour la plupart géographiques, qui font courir le risque d'une injuste compétition entre territoires ; nous n'avons pas réussi à vous en empêcher, malgré des débats de fond, éloignés de tout esprit partisan.

Lors de cette première lecture, la pierre d'achoppement entre nous résidait dans l'article sur l'éolien industriel, abusivement et trompeusement intitulé dans le projet de loi initial « dispositions relatives à la facilitation des installations éoliennes maritimes » et dont nous avions soulevé qu'il incluait également des dispositions favorisant l'implantation – plus précisément le raccordement – d'éoliennes terrestres, contre l'avis des élus et représentants locaux.

Vous aviez répondu en retirant en commission un amendement du Gouvernement qui renforçait ces dispositions – à vous entendre pour lever l'ambiguïté et prendre en compte nos craintes d'une surenchère d'implantations non souhaitées et destructrices de toute autre forme de développement territorial, en réalité pour réécrire complètement l'article concerné en vue de la séance et y introduire, de manière explicite, des dispositions que vous y aviez subrepticement glissées dans le texte d'origine. Dès lors, la confiance invoquée dans le titre du projet de loi était rompue entre nous, et cette estafilade à l'issue de longues heures de travail en commun nous avait conduits à nous abstenir, pour exprimer l'intérêt que nous continuions de porter à la démarche prônée par ce projet de loi, tout en ne pouvant pas tout admettre de vos pratiques.

Ce n'était que le début d'une longue série de déconvenues entre nous, à commencer par la lecture du texte au Sénat, où nos collègues ont également pris soin de travailler avec minutie sur vos propositions tout en les enrichissant de la connaissance fine des territoires qui les caractérise. Leurs apports – pour beaucoup faits en étroite concertation avec ceux d'entre nous, tous groupes confondus, qui s'étaient impliqués dans ce travail – étaient pour la plupart très judicieux et renforçaient le parti pris initial du texte.

La réunion de la CMP qui s'est tenue au Sénat a malheureusement confirmé la couleur : devant des sénateurs désireux de la faire aboutir, aucun dialogue ne fut possible. Le rapporteur et la présidente de la commission spéciale ont adopté une position fermée, tous deux en phase pour annoncer dès les premières prises de parole qu'aucun accord n'était envisageable et qu'il était vain de tenter d'ouvrir la discussion. La messe était dite, si je puis m'exprimer ainsi, et la rupture de confiance, consommée. Votre projet de loi n'était clairement pas un texte empreint de la volonté consensuelle de simplifier et de rendre plus fluides les rouages de l'administration et les rapports entre celle-ci et les Français ; il n'était pas non plus un premier pas vers une meilleure prise en compte des exigences de nuance de la démocratie. Il n'était qu'un avatar de votre volonté persistante d'avoir raison sur tout, de ne tenir compte d'aucun autre avis et, finalement, de piétiner sans vergogne la démocratie de notre pays dans son expression la plus manifeste : celle du travail parlementaire.

Nous savions donc que l'examen de ce texte en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale se résumerait à un détricotage patient et inexorable de tous les apports du Sénat, afin de le rétablir dans sa version originale. Je persiste à penser que la procédure accélérée devrait procéder de la volonté du Gouvernement de trouver un consensus – ou un équilibre, pour reprendre le terme que vous avez employé. Dès lors, votre méthode est vraiment de nature à discréditer complètement le travail parlementaire. Elle annule l'intérêt des débats précis, techniques et sérieux auxquels nous avons consacré notre temps et notre énergie, en commission comme en séance.

Nous le regrettons vraiment, et – je le dis avec fermeté et gravité – nous vous en tenons rigueur, comme les Français sauront le faire le moment venu. Ils ne comprennent pas, en effet, cet acharnement dogmatique, surtout de la part d'une majorité qui revendique une approche moderne et critique avec véhémence le sectarisme de ses prédécesseurs et de ses opposants. Vous n'y échapperez pas : vous devrez leur rendre des comptes sur ce point.

Mais vous ne vous êtes pas arrêtés là ! La semaine dernière, en commission, vous nous avez asséné – si je puis dire – le coup de grâce. Vous avez infligé un coup terrible à nos territoires en modifiant l'article 19, de manière aussi inattendue que subreptice, concernant l'organisation territoriale des chambres d'agriculture.

En première lecture, nous avions eu à ce sujet de très longs échanges. Nous pensions très sincèrement être parvenus à un point d'équilibre, lorsque vous avez fini par accepter de subordonner la régionalisation des chambres d'agriculture à un accord validé à la fois par le niveau régional et les niveaux départementaux. Au terme d'une longue nuit de débats de qualité, en particulier avec Laurent Saint-Martin, nous avions finalement réussi à nous entendre.

Cet accord nous convenait : il permettait d'éviter les effets de manches qui conduiraient inévitablement à éloigner du terrain ces services vitaux pour la prise en compte de nos agricultures, au pluriel – et non de notre agriculture, au singulier. En tant qu'élu de la grande région Occitanie, je sais qu'il y a une infinie diversité de situations entre les départements, et même à l'intérieur des départements. Il n'est pas envisageable qu'une seule chambre régionale recouvre toutes ces diversités.

C'est par un amendement du Gouvernement que vous êtes revenus sur la rédaction de cet article, que le Sénat avait améliorée afin de garantir l'expression de la volonté des chambres départementales d'agriculture. Vous avez ainsi désavoué un accord qui nous avait pris une nuit entière : cet amendement scelle donc la perte de confiance du Parlement vis-à-vis du Gouvernement. Nous sommes déçus – c'est le moins que l'on puisse dire – de cette déconvenue, d'autant que nous ne comprenons pas votre revirement.

Nous souhaitons travailler avec vous afin d'améliorer et de simplifier le droit, sans aucun esprit polémique : nous vous l'avons montré. Pourtant, nous sommes bien obligés de constater que vous, Gouvernement et majorité, refusez catégoriquement de nous écouter.

Ce projet de loi aurait pu – aurait dû – faire consensus. Ce n'est pas le cas, non seulement à cause de certaines mesures qu'il contient, mais surtout en raison de la manière dont le Gouvernement et la majorité ont mené les débats.

J'ajoute que cette nouvelle lecture augure mal de ce qui se passera lors les débats sur la réforme des institutions – sans compter qu'à cette heure nous subissons la rude concurrence du match que livre notre équipe nationale de football en Russie. J'espère qu'elle aura plus de succès que notre groupe dans ses entreprises !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.