Intervention de Philippe Gosselin

Séance en hémicycle du jeudi 28 juin 2018 à 9h30
Adaptation à la polynésie française de dispositions en matière de commerce — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gosselin :

Voilà l'exemple même de débat apaisé sur un sujet pourtant important. C'est l'occasion aussi, alors que nous sommes en plein examen de la réforme constitutionnelle, de rappeler que la France est belle dans sa diversité.

Nous sommes en effet réunis pour examiner le projet de loi relatif aux contrôles et aux sanctions en matière de concurrence en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. Ce texte était initialement une ratification de l'ordonnance du 9 février 2017 concernant le droit de la concurrence en Polynésie française, prise sur le fondement de l'article 74-1 de la Constitution, et non de l'article 38 – rien à voir avec les anciens décrets-lois. Elle doit être ratifiée d'ici au 10 août. Rappelons tout de même que publiée en février 2017, cette ordonnance appelait un décret d'application, qui aurait en principe dû être pris avant le 30 juin 2017, date butoir pour l'entrée en vigueur de l'ordonnance. À ce jour, plus d'un an après que l'ordonnance a été prise, ce décret n'a toujours pas été publié. Permettez-moi ici une petite parenthèse sur la fabrique de la loi. Il est bon certes que le Parlement ne soit pas trop bavard, mais il serait bon aussi que le Gouvernement publie les textes d'application dans des délais raisonnables, la fabrique de la loi ne se limitant pas aux débats parlementaires. Je le souligne avec force au moment où nous sommes en train, de revoir, d'affiner, d'améliorer, je l'espère, nos procédures d'élaboration de la loi.

Nous sommes tous ici très attachés au rayonnement des territoires d'outre-mer. À ce titre, il est important que l'État s'engage pleinement pour le développement de ces territoires à statut particulier alors même que nous sommes en pleine révision de la Constitution et que nous allons évoquer le sujet de la différenciation. C'est l'occasion de rappeler que la République est une et indivisible, mais dans sa diversité dûment reconnue. Il faut tenir compte du fait que la position ultrapériphérique de ces territoires, dont les marchés n'ont rien à voir avec les marchés continentaux, y crée des conditions de concurrence particulières. La Polynésie, c'est plusieurs millions de kilomètres carrés, un territoire grand comme l'Europe, sur lequel on ne peut évidemment pas agir comme on le ferait en France continentale.

Les autorités polynésiennes ont élaboré un code de la concurrence, inspiré du livre IV du code de commerce national, prévoyant notamment la création d'une autorité polynésienne de la concurrence, sur le modèle de l'autorité métropolitaine de la concurrence. La Nouvelle-Calédonie avait fait de même quelque temps auparavant.

Par une loi du pays du 23 février 2015, l'Assemblée de la Polynésie française a créé une autorité administrative indépendante : l'Autorité polynésienne de la concurrence. Cette autorité reprend les grandes missions de l'Autorité nationale de la concurrence : une fonction consultative, une fonction de nature administrative d'autorisation des opérations de concentration économique et une fonction de nature contentieuse de sanction des pratiques anticoncurrentielles.

Cette initiative de l'Assemblée de la Polynésie française, que je salue, répond à des enjeux spécifiques aux territoires ultramarins – nouvelle illustration du principe d'unité dans la diversité. Garantir l'existence d'une concurrence dans ces territoires isolés demeure un défi très complexe. C'est pourtant primordial pour nos concitoyens polynésiens et calédoniens confrontés à l'augmentation continue du coût de la vie et à la constitution sur leur territoire de différents monopoles que je n'hésite pas à qualifier d'abus de position dominante. Que l'insularité emporte un certain nombre de conséquences, c'est une évidence, mais la responsabilité des collectivités et du pays dans son ensemble est de lutter contre cette concentration et d'assurer à nos concitoyens ultramarins que leur pouvoir d'achat sera le plus possible préservé et qu'ils pourront avoir des conditions de vie dignes.

L'Assemblée de la Polynésie française a demandé à l'État français de prendre les dispositions complémentaires de sa compétence en matière de droit pénal, de procédure pénale, de procédure administrative contentieuse et d'organisation judiciaire. À ce titre, l'ordonnance étendant et adaptant à la Polynésie française certaines dispositions du livre IV du code de commerce relatives aux contrôles et aux sanctions en matière de concurrence a pour objet de prendre les mesures nécessaires afin que l'Autorité polynésienne de la concurrence puisse exercer pleinement ses fonctions et disposer notamment de moyens de contrôle coercitifs – un organe de contrôle sans moyens, notamment coercitifs, n'aurait pas d'intérêt, sinon de faire bien dans le décor.

Concrètement, en quelques mots, quelles sont les dispositions prévues par cette ordonnance ?

Elle détermine les tribunaux compétents en Polynésie française pour connaître des litiges en matière de pratiques anticoncurrentielles ; elle fixe les règles de prescription de l'action publique, elle attribue aux agents de l'APC des pouvoirs d'enquête spécifiques et contraignants : pouvoir de visite en tous lieux et saisie de tous documents – c'est assez classique mais il importe de le préciser – , possibilité de demander communication de tous documents en possession d'une administration publique ou, bien sûr, d'une juridiction. Enfin, elle fixe les voies de recours devant le juge judiciaire pour les décisions prises par l'APC en matière de pratiques anticoncurrentielles.

En revanche, l'ordonnance ne prévoit pas les pouvoirs d'enquête ordinaires des agents de l'APC, leur détermination relevant de la compétence de l'Assemblée de la Polynésie française. Il y a donc bien quelques partages de compétences dans la logique des statuts de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie.

Le 14 mars 2018, l'Assemblée de la Polynésie française a adopté une nouvelle loi du pays pour corriger certains aspects du code de la concurrence. Ce texte supprime d'ailleurs certaines prérogatives de l'APC en matière de contrôle des pratiques anticoncurrentielles et autorise le Président de la Polynésie française à évoquer une affaire de concentration économique en statuant lui-même à la place de l'APC mais, il faut le préciser, rien n'est prévu sur les pouvoirs d'enquête ordinaires des agents de l'APC. À peine ratifiée, l'ordonnance devra sans doute être actualisée : nous nous retrouvons donc aujourd'hui avec une clause de revoyure, si je puis dire, notamment s'agissant des références au code de la concurrence de la Polynésie française. L'ordonnance n'ayant pas encore été promulguée, compte tenu des délais de recours encore ouverts pour la contester devant le Conseil d'État, il n'était pas possible aujourd'hui d'en tenir compte.

Quoi qu'il en soit, le projet de loi initial prévoyait un article unique visant à ratifier l'ordonnance. Au regard de tout cet historique, la rapporteure du Sénat, notre collègue Mme Catherine Troendlé, avait rappelé l'avis défavorable sur le projet de loi du pays émis en janvier 2018 par le Conseil économique, social et culturel de la Polynésie française, qui a considéré que « ce texte réduisait de façon trop importante les prérogatives de l'APC et pouvait porter atteinte à son indépendance », tout en concluant qu'il « appartient aux seules autorités compétentes de la Polynésie française de décider des évolutions qu'elles souhaitent en matière de droit de la concurrence ». Voilà qui est dit, afin de rappeler la singularité du droit en Polynésie.

Des modifications ont donc été apportées par le Sénat. Quelques mots rapides à ce propos. Le nouvel article 2 de ce projet de loi tire les conséquences du retard du Gouvernement dans la publication du décret d'application de l'ordonnance en élevant au plan législatif des dispositions relatives aux voies de recours. Il organise la coopération en matière d'enquête de concurrence entre l'APC et, sur le plan national, l'Autorité de la concurrence et les services de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

Le nouvel article 3 du projet de loi, quant à lui, soumet les membres et les agents les plus élevés des autorités de la concurrence de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie à des obligations qui, d'une certaine façon, relèvent du droit commun : déclaration d'intérêts et déclaration de situation patrimoniale auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique – que nous connaissons bien – de façon à renforcer le contrôle déontologique dans ces institutions. La France est une et indivisible dans sa diversité mais un certain nombre de règles supérieures doivent s'appliquer quels que soient les statuts des territoires, c'est une évidence que rappelle ce projet de loi.

Enfin, à l'Assemblée nationale, en commission des lois, l'ensemble des groupes a voté en faveur de ce texte malgré les modifications apportées, non sans avoir rappelé le manque de diligence du Gouvernement, j'y reviens : il importe, monsieur le secrétaire d'État, que l'État soit au rendez-vous de la fabrique de la loi et que l'Assemblée ni le Sénat ne portent pas seuls la responsabilité – apparente – d'un retard à l'allumage.

À l'article 3, qui complète utilement ce texte, la rapporteure a souhaité que les obligations de déclaration d'intérêts et de situation patrimoniale soient étendues aux rapporteurs généraux dès lors qu'ils disposent de prérogatives significatives. Cela a été fait sans difficulté particulière.

Je vous renvoie au texte figurant dans le code de la concurrence s'agissant de l'application en Nouvelle-Calédonie de diverses dispositions relatives à des techniques et des procédures d'enquête en matière de concurrence que le législateur n'avait pas étendues à la suite de leur création, sauf à les rappeler en petites lettres, en tête de paragraphes ou de chapitres. Nous n'avons donc pas d'objection particulière à formuler et, comme nous l'avons fait en commission des lois, le groupe Les Républicains se prononcera en faveur de ce texte.

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