Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du jeudi 28 juin 2018 à 9h30
Agriculture durable pour l'union européenne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

En commission, le rapporteur, les auteurs de la proposition de résolution européenne et le président de la commission ont beaucoup cité Edgard Pisani, qui a fondé la politique agricole commune il y a maintenant un peu plus de cinquante ans. Il est présenté un peu partout comme l'artisan de la modernisation de l'agriculture française. Edgard Pisani aurait pu se contenter de ces louanges, s'endormir couvert d'encens et accepter que soit construite, de son vivant, une statue pour rendre hommage à son oeuvre. Or, en honnête homme, en intellectuel qui refuse de se mentir à lui-même, il a effectué quelque chose de plus courageux : à la fin de sa vie, il a dressé un bilan critique de son oeuvre politique.

Il disait : « Je n'aurais pas imaginé que cette politique aille aussi loin, et je me le reproche. J'ai été fasciné par les contraintes techniques des tracteurs. Je me reproche maintenant, honnêtement mais profondément, de ne pas avoir fixé une limite au remembrement ». Il s'est mis à dénoncer les usines agricoles étrangères à leur milieu et indifférentes à leur environnement. Il se demandait comment il était possible de faire marche arrière. Il accusait le marché, nécessaire comme mécanisme, mais détestable comme loi, et invitait à bouleverser la politique agricole commune, notamment le premier pilier, c'est-à-dire à ne plus faire reposer les aides essentiellement sur la production.

C'est donc le fondateur de la politique agricole commune qui réclamait que lui soient fixés une nouvelle direction, un nouveau cap, de nouvelles finalités. L'autosuffisance ayant été atteinte en France voilà près de quarante ans, on ne peut plus se fixer la seule production comme objectif – et il faut sans doute en finir aussi avec la mission exportatrice de l'agriculture française.

Voilà le chemin qu'a réalisé le fondateur de la politique agricole commune. Mais la PAC, elle, a continué comme avant – j'allais dire, citant Rimbaud, comme un bateau ivre, sauf qu'elle évoque plutôt un paquebot qui peine à tourner et continue, par la force de l'inertie, à ne vouloir que produire, avec l'obsession des marchés et de la libre concurrence, comme l'ont montré, voilà quelques années, la fin des quotas laitiers et, tout dernièrement, celle des quotas sur les betteraves, et avec une volonté de plonger l'agriculture française dans le libre-échange par des accords internationaux, malgré l'urgence que représentent, pour le monde agricole, la crise des revenus et les risques de disparition.

J'étais cette semaine en Lorraine avec Dominique Potier, dans le cadre de la mission sur le foncier. On sait qu'au cours des vingt dernières années, un agriculteur sur deux environ a disparu. En Lorraine, ce mécanisme de disparition de l'agriculture – cette « hémorragie », pour reprendre le terme du président de la chambre d'agriculture – se poursuit et n'est pas endigué. Il faut donc faire face à cette urgence sociale pour le monde agricole, ainsi qu'à une urgence écologique. Il ne s'agit pas d'accuser seulement l'agriculture de la disparition de 75 % des insectes volants en Europe depuis trente ans, mais elle y a sa part.

Dans « politique agricole commune », le premier mot est « politique ». Cela signifie que nous devons faire un choix commun, et nous donner des priorités : dans le paquebot, il faut un capitaine, et qui ne doit pas se laisser guider par l'inertie.

Et puisque je parle de paquebot, je me rappelle que j'ai visité la Commission européenne pour procéder à des entretiens – il y a là un véritable paquebot de verre et d'acier, posé à la périphérie de Bruxelles. Le président de la branche fruits et légumes de la FNSEA m'a dit qu'il y avait là-bas des petits soldats de Milton Friedman – et c'est le cas : on a laissé cette politique agricole commune entre les mains, non pas des politique, mais de décideurs techniques à Bruxelles. Cet agriculteur me disait, après s'être rendu à son tour à la Commission européenne pour une réunion avec des chefs de service, que celui qui était chargé du dossier du lait leur avait annoncé la fin des quotas, qu'il n'y croyait pas mais qu'il y avait là-bas une armée de types calés sur Friedman – aucune régulation, la main invisible du marché !

C'est bien de cela qu'il faut sortir. Il faut conserver les budgets de la politique agricole commune – je l'ai bien lu dans la résolution ! – mais pour la transformer profondément, la secouer, la bouleverser, pour en révolutionner les priorités. Il ne s'agit plus de la production à tout-va, à tout prix social et à tout coût environnemental, mais de la transition écologique : sauver l'air, l'eau, la terre, les vers de terre, les hannetons et les hirondelles – une nouvelle étude démontre en effet la disparition de ces dernières !

La question qui devrait nous hanter, la seule question qui vaille, est celle de savoir ce que nous laisserons à nos gamins. Nous voterons donc pour cette résolution, qui réclame cette inflexion vers une agriculture durable et veut notamment renforcer les circuits courts.

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