Intervention de Dr Bertrand Joseph

Réunion du jeudi 21 juin 2018 à 11h30
Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Dr Bertrand Joseph, médecin coordonnateur de la Maison de santé pluri-professionnelle de Grindelle Châteaudun et président de la communauté professionnelle territoriale de santé Sud :

Je veux tout d'abord remercier les membres de votre commission, et notamment son président et son rapporteur, de me permettre de m'exprimer sur la question de l'égal accès aux soins. Médecin généraliste, installé en 1993, j'ai, durant vingt ans, exercé en libéral de manière isolée. Depuis cinq ans, j'exerce au sein d'une maison de santé pluri-professionnelle, dans laquelle je suis maître de stage universitaire et animateur de groupes de pratique. Je suis ainsi, par groupes de six, une quarantaine d'internes par an – ce qui est très important, comme nous le verrons ultérieurement.

Je souhaiterais aborder trois axes. Premièrement, je ferai un parallèle assez rapide entre maison de santé pluri-professionnelle (MSP) et communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). Deuxièmement, je vous présenterai les pistes de travail qui permettraient de résoudre les problèmes de démographie médicale. Enfin, j'aborderai la question de la rémunération, puisqu'il en a été question lors de vos précédentes auditions.

En 2004, j'ai pris mon bâton de pèlerin et constitué une équipe de soins primaires. Nous avons organisé des réunions publiques avec l'ensemble des professionnels du territoire, d'où a émergé une équipe d'une vingtaine de professionnels. Au cours de la phase d'élaboration de notre projet, qui nous a pris du temps, nous nous sommes aperçus que le trio réunissant professionnels de santé, élus et partenaires financiers était indispensable.

La maison de santé pluri-professionnelle a ouvert en 2012. Nous nous sommes retrouvés face à des difficultés auxquelles nous n'étions absolument pas préparés : il nous a fallu assurer la gestion du bâtiment, organiser la structure, animer une équipe de professionnels et mettre en oeuvre un projet de santé, qui comprend le développement d'actions de prévention et la recherche de financements. Très rapidement, heureusement, nous avons pu nous appuyer sur un partenaire que nous avions rencontré dès le début : la MSA. C'est pourquoi je suis accompagné de Sylvie Mathiaud, qui est une partenaire indispensable de la maison de santé et qui est aujourd'hui coordinatrice de la CPTS.

L'équilibre d'une maison de santé est très précaire. Le départ à la retraite d'un professionnel, par exemple, provoque un bouleversement financier car les charges pèsent sur le restant des professionnels installés. Grâce à Sylvie Mathiaud et à la MSA, nous avons pu structurer l'organisation de la maison de santé, en désignant un référent distinct pour chaque domaine : le bâtiment, la gestion du personnel, la gestion financière, la gestion des actions de prévention, qui sont au nombre de huit… Par ailleurs, afin d'assurer de bonnes conditions de vie au sein de la maison santé, nous avons également désigné un référent électricité, un référent plomberie, un référent ascenseur, etc. Ainsi chacun des professionnels de santé a pris la charge d'un domaine lié à la vie du bâtiment.

Nous aimons à dire que la CPTS est une MSP sans les murs, mais avec des couloirs représentant autant de voies de communication. Les individualités que nous n'avons pas pu intégrer initialement, en 2004, dans la maison de santé, nous sommes allés les chercher pour organiser le travail sur le territoire. Nous avons ainsi réuni les trente-sept professionnels qui participaient à la réflexion au sein de notre maison de santé et développé une réelle attractivité puisque onze professionnels ont adhéré après la création de celle-ci : un médecin généraliste un kiné, une sage-femme… Dans le cadre de la CPTS, nous avons pu réunir 250 acteurs autour d'un projet de santé.

La maison de santé nous permet d'exercer notre métier, la CPTS permet d'organiser son exercice sur le territoire. On s'aperçoit aujourd'hui que ces 250 acteurs, dans le cadre d'une CPTS, permettent aussi et surtout d'assurer une représentativité face à l'hôpital et à d'autres instances.

Les partenaires qui nous sont indispensables aujourd'hui et sur lesquels nous avons pu nous appuyer sont les suivants : les Unions régionales des professionnels de santé médecins libéraux, l'Agence régionale de santé (ARS), qui est un partenaire important, la MSA – dont le réseau nous a apporté une expertise en ingénierie et en conduite de réunion et de structuration –, la CPAM et l'hôpital, avec lequel nous nous efforçons de travailler à la définition de parcours : l'idée est de revenir à l'accès direct aux services, qui était très facile il y a une quinzaine d'années et qui ne l'est plus aujourd'hui, d'où l'engorgement des urgences. Il est très compliqué de travailler avec l'hôpital – chez nous, le contexte est peut-être un peu particulier –, mais c'est un partenaire indispensable. Il y a moins d'un mois, nous avons pu rencontrer de nouveau le directeur et établir certaines bases de travail ; je pense à la participation d'un représentant au sein de la commission médicale d'établissement, à l'officialisation de ces parcours de santé et à la participation des hospitaliers aux différents groupes de travail de la CPTS.

Deuxième axe : les pistes de travail qui pourraient être explorées pour remédier aux problèmes de démographie médicale sont au nombre de dix.

Première piste : en tant qu'animateur de groupes de pratique, je suis une quarantaine d'internes par an. La maison de santé et, désormais, la CPTS, à laquelle je travaille depuis un an également, sont une vitrine pour le territoire ; notre action porte donc ses fruits. La maison de santé est en effet très bien cotée auprès des internes en matière de maîtrise de stage. Ceux d'entre eux qui la choisissent sont les meilleurs, mais ils ne sont pas toujours, hélas ! originaires de notre territoire et, après leur stage, ils repartent à Angers, Rennes, Brest, Strasbourg ou Metz. Quel dommage ! Une solution consisterait à leur demander, en contrepartie de ce bon stage, de donner à la structure un an ou deux ans.

Deuxième piste : le remplacement. Nous avons la chance inouïe, au sein de notre maison de santé, d'avoir fidélisé, grâce à notre organisation de travail, trois remplaçantes qui, depuis deux ans, viennent chaque semaine et permettent ainsi à l'un des cinq médecins de bénéficier d'un jour « off » pour se former, se reposer ou travailler pour la CPTS. Il est donc indispensable de fidéliser ces jeunes.

La troisième piste de travail, c'est la création d'une unité de soins non programmés. À ce propos, on entend beaucoup parler de l'engorgement des urgences et de la responsabilité des médecins généralistes qui ne prennent pas en charge les soins non programmés. Lundi prochain, je réunirai les trente-sept médecins généralistes du secteur et je les interrogerai sur ce point. C'est ainsi, du reste, que la CPTS a été créée : nous avons établi un diagnostic puis organisé quarante réunions qui se tenaient le soir. L'équipe de soins primaires et les autres professionnels se sont exprimés et nous avons posé huit diagnostics. L'unité de soins non programmés fait l'objet de discussions avec l'hôpital. Il s'agit de faire tourner un service avec des internes de niveau 2, qui sont donc supervisés de manière indirecte, puis en fin de journée. Ces internes doivent donc être suffisamment nombreux pour disposer d'un pool de remplaçants. Hôpital, maison de santé, autres cabinets ? C'est en cours de discussion. L'article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 nous permet de mener une expérimentation dans ce domaine.

Quatrième piste : actuellement, une dermatologue travaille en tant que gériatre à l'hôpital de Châteaudun… Elle est argentine et a enfin pu obtenir la nationalité italienne ; c'est en effet le parcours le plus rapide pour obtenir une nationalité dans l'Union européenne – heureusement, son mari est italien. Ses compétences professionnelles viennent de lui être reconnues, puisqu'elle a été admise au concours du Centre national de gestion (CNG). Du coup, elle doit trois ans au milieu hospitalier ! Son mari – c'est une chance – travaille à Châteaudun, où ses enfants sont gardés par une nourrice. J'ai conclu un deal avec l'hôpital, de manière à ce qu'au terme de ces trois années, elle puisse nous rejoindre tout en conservant une activité hospitalière. La dermatologie évoluant, grâce aux biothérapies et aux nouvelles technologies de traitement de maladies complexes telles que le psoriasis ou les maladies inflammatoires, il est intéressant pour l'activité libérale d'avoir un pied dans l'hôpital. Mais trois ans en gériatrie, n'est-ce pas un peu trop long ? Le secteur libéral est vraiment trop borné par la législation. Or, à l'hôpital, malheureusement, des médecins se retrouvent aux urgences sans avoir les compétences que l'on exige de nous en libéral – vous me pardonnerez de parler cash !

Cinquième piste : l'adjoint. Grâce à Philippe Vigier et Olivier Marleix, deux députés de l'Eure-et-Loir assez toniques, nous avons obtenu – malheureusement, au bout de deux ans – la possibilité de faire travailler un adjoint dans une zone médicalement dépeuplée. Pour ce faire, nous avons un peu inversé la logique du texte, qui a été conçu pour les zones d'affluence, mais le service juridique de l'Assemblée a bien voulu aller dans notre sens, et je les en remercie. Demeurait un seul point noir, qui a été éclairci la semaine dernière seulement : le médecin qui travaille avec cet adjoint n'aura pas de TVA à payer. Il faut savoir en effet que le médecin travaille avec l'adjoint, contrairement au médecin remplacé. En tout état de cause, dans une zone à forte densité de population, les incitations financières ne nous semblent pas être l'élément le plus important car il y a du travail et l'on peut donc gagner de l'argent si on le souhaite.

Sixième piste : simplifier la gestion comptable et financière. Malheureusement, les étudiants, les internes, les remplaçants ne sont pas accompagnés dans ce domaine. Il est prévu, dans le cadre de notre structure, de les accompagner dans leur installation et de les préparer à la gestion comptable et financière.

Septième piste : amélioration de la protection sociale. Pour les médecins libéraux, le délai de carence est de 90 jours, contre trois jours pour le salariat. C'est la raison pour laquelle les jeunes médecins préfèrent le salariat à l'heure actuelle. Qu'attendons-nous pour passer outre ces problèmes de carence ?

Je passe rapidement sur les trois dernières pistes : certains chantiers actuels me semblent très positifs. Tout d'abord, la formation est hospitalo-centrée. Vous en êtes, je crois, tous conscients : la médecine générale n'est pas encore assez représentée dans le monde hospitalo-universitaire. Ensuite, la réduction des tâches de gestion a une grande importance. Enfin, l'article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale nous permet, grâce à l'expérimentation, d'élaborer des protocoles de coopération et de délégation de tâches. Dans ce domaine, nous servons un peu d'exemple, car nous sommes partis bien avant l'heure : une délégation en milieu professionnel existe depuis cinq ans dans le cadre de la maison de santé.

Troisième axe, enfin : la rémunération. Les médecins ou les professionnels doivent-ils être rémunérés pour les réunions du soir ? Non, absolument pas. Gardons plutôt l'argent pour organiser des actions de prévention et des formations, pour rémunérer l'organisateur et défrayer les intervenants, qui viennent de loin. Nous avons organisé quarante réunions, et, si notre CPTS est en train de monter en charge, c'est grâce aux temps de convivialité que nous aménageons. Nous accueillons les participants le soir, nous les écoutons lors d'un tour de table, nous les respectons et nous prenons soin d'eux : à vingt heures, ils n'ont pas dîné, ils ont faim et sont fatigués.

Un mot sur le Contrat de stabilisation et de coordination des médecins (COSCOM). La Sécurité sociale indemnise, à hauteur de 5 000 euros par an, le médecin, et uniquement le médecin, au motif qu'il adhère à une équipe fédérée, qu'il s'agisse d'une maison de santé ou d'un CPTS. Ces 5 000 euros tombent dans la poche du seul médecin alors que nous travaillons dans un cadre pluri-professionnel. Imaginez la discorde que cela peut créer au sein d'une équipe, surtout lorsque la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) insiste lourdement sur cet avantage dont bénéficie le médecin par rapport aux autres… Au sein des équipes, les niveaux de revenus et les indemnités kilométriques – la voiture du médecin coûte plus cher que la voiture de l'infirmière – sont déjà différents. Nous serions les rois du monde si ces 5 000 euros étaient versés à l'association de la CPTS : ils nous permettraient de développer beaucoup plus rapidement nos pistes de travail, les groupes et le projet de santé.

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