Intervention de Philippe Gosselin

Réunion du mardi 26 juin 2018 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gosselin :

Sans doute, mais j'estime qu'en tant que rapporteurs pour avis, ils ont une importance particulière dans le débat, et je trouve dommage qu'ils ne prennent pas part à la discussion générale, où chaque groupe expose sa vision des institutions.

Nous sommes aujourd'hui à la veille du soixantième anniversaire de l'adoption de la Ve République. Au printemps et à l'été 1958, dans les communes, au sein du Conseil d'État et des assemblées parlementaires, chacun s'agitait et réfléchissait, tentant de trouver le moyen de redonner du poids à des institutions singulièrement malmenées par une instabilité ministérielle bien connue sous la IVe République : Edgar Faure employait à ce sujet l'expression de « gouvernements à secousses », tant il est vrai que vingt-quatre gouvernements en douze ans, cela faisait beaucoup – à tel point que la stabilité du pouvoir s'en trouvait menacée. C'est dans ce contexte que le général de Gaulle fut rappelé aux affaires en 1958 et qu'une loi constitutionnelle fut votée le 3 juin de la même année, fixant un certain nombre de grands principes fondateurs de la Ve République.

En tant qu'héritiers légitimes, sinon exclusifs, du gaullisme, les députés du groupe Les Républicains sont évidemment très attachés à cette Ve République, et il leur paraît important de maintenir l'esprit des institutions et leur stabilité – en rappelant, comme le disait le général de Gaulle dans sa conférence de presse du 31 janvier 1964, qu'« une Constitution, c'est un esprit, des institutions, une pratique ». Oui, nous voulons préserver l'esprit de la Ve République et la stabilité du pouvoir, avec un Parlement certes rationalisé, mais pas à la botte du pouvoir, un Parlement renforcé par la révision constitutionnelle de 2008 – parce qu'il y avait, en effet, matière à progresser –, ce qui nous conduit à nous poser bien des questions sur ce que souhaitent faire le Gouvernement et la majorité.

En 1958, il était question de « donner un pouvoir à la République », c'est ce que disait Michel Debré dans son discours bien connu devant le Conseil d'État le 27 août 1958. S'agit-il aujourd'hui de défaire ce qui a été fait, de partir tous azimuts dans une logorrhée constitutionnelle ? Si certains articles qui nous sont soumis ne nous posent aucun problème – ainsi, il n'y a pas de difficulté sur le non-cumul des fonctions gouvernementales et exécutives, ni sur le fait que les anciens Présidents de la République ne siègent plus au Conseil constitutionnel – en revanche, nous sommes très sceptiques lorsque le texte prétend vouloir renforcer les droits du Parlement.

Nous aurons l'occasion de revenir sur le paquet formé par les lois organiques et les lois ordinaires, que le Président de la République entend remettre sur la table à l'automne, mais je veux d'ores et déjà souligner qu'avec la diminution de 30 % du nombre de parlementaires, des circonscriptions qui vont doubler de taille, une représentation proportionnelle se situant à au moins 15 % et qui va instaurer un double statut au sein des parlementaires, entre ceux qui relèveront de la représentation proportionnelle et ceux qui, « de droit commun », relèveront du scrutin uninominal, avec ces différentes procédures qui encadrent le droit constitutionnel d'amendement qui, en vertu d'une tradition de très longue date, est conféré à chaque parlementaire à titre individuel, il y a de quoi se poser bien des questions.

Pour ce qui est de la volonté de donner plus de pouvoir aux collectivités locales, si le principe constitutionnel d'autonomie doit effectivement être renforcé jusqu'à l'autonomie financière, assortie d'un certain nombre de procédures et d'adaptations, on comprend mal que, dans le même temps, le Gouvernement s'acharne à diminuer les moyens de ces collectivités et à réorganiser les territoires dans des buts souvent inavoués. Cela nous conduit à nous interroger sur ce qu'il en est de l'unité de notre République : certes, cette unité dans la diversité peut être acceptée en vertu du principe d'adaptation, mais ce principe ne saurait aller trop loin et doit être particulièrement encadré, car l'unité de la République constitue, elle, un principe fondateur de la Ve République. Si nous sommes favorables à la reconnaissance indispensable des singularités des outre-mer ou des particularités continentales de tel ou tel territoire, nous nous interrogeons très clairement sur la reconnaissance de certaines insularités – je sais qu'il y a plus de 200 amendements sur le sujet.

L'heure est grave, puisque nous nous apprêtons à toucher à notre grande charte, notre code de bonne conduite, le code que les Françaises et les Français ont accepté en 1958 par une grande manifestation d'adhésion revêtant la forme d'un référendum. La réforme qui nous est soumise, qui constitue la vingt-cinquième révision constitutionnelle depuis 1958, contient à la fois des modifications importantes et d'autres plus anecdotiques, mais il nous paraît essentiel de savoir où la majorité veut nous emmener. Avec les 1 378 amendements qui ont été déposés, on a l'impression d'assister à une sorte de concours Lépine – le nombre d'amendements a été multiplié par deux par rapport à 2008. Mme la présidente de la commission des Lois nous a laissé entendre qu'un certain nombre d'arbitrages n'étaient pas rendus, notamment au sujet du Conseil économique, social et environnemental, qui devait initialement se transformer en une grande chambre de la citoyenneté et qui, finalement, deviendrait plutôt un forum. La rédaction actuelle du texte suscite de nombreuses interrogations au sujet de ce qui ressemble fort à l'instauration d'une troisième chambre, ce qui viendrait heurter la légitimité démocratique de l'Assemblée nationale et du Sénat. Ce n'est pas l'existence même du CESE que nous critiquons, car il nous paraît très important que les corps intermédiaires soient associés, afin que les forces vives de la Nation puissent s'exprimer : ce qui nous gêne, c'est cette forme ultime qu'il est proposé de lui donner, qui viendrait nous heurter dans nos légitimités et sans doute, parfois, court-circuiter un certain nombre de débats.

Dans l'attente des débats qui s'ouvriront avec l'examen des articles, nous avons déposé prudemment des amendements de suppression. Peut-être défendrons-nous en séance d'autres amendements plus constructifs, plus complets, une fois que nous aurons précisé l'épure.

Nous voulions éviter de partir tous azimuts, car, comme le faisait remarquer en 1992 le Conseil d'État à propos de certains textes législatifs ou réglementaires, nous n'étions pas loin de la logorrhée. Nous voulons ne réformer que ce qui est nécessaire et conserver l'essentiel, cet esprit de la Ve qui nous anime et permet à la France de connaître la stabilité, contrairement à l'Italie, et peut-être à l'Allemagne, aujourd'hui bien en difficulté.

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