Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Réunion du mardi 26 juin 2018 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

J'ai entendu nos rapporteurs, mais aussi M. Gosselin, évoquer l'équilibre des pouvoirs sous la Ve République. Vous me permettrez donc de commencer par exprimer les réserves d'une grande partie de notre groupe sur cet équilibre.

Après avoir copieusement dénigré ce qui s'était passé sous les IIIe et IVe Républiques – en oubliant que la IVe a reconstruit la France après la guerre mais a chu parce qu'elle n'avait pas su gérer la décolonisation –, la Ve République a été instaurée en créant, en 1958, puis en 1962, le Président de la République. Le chef de l'État français est celui qui, dans le monde occidental, concentre le plus grand nombre de pouvoirs et a, en face de lui, le moins de contre-pouvoirs. Le paradoxe, c'est qu'au cours des quarante dernières années, cette forme de monarchie républicaine, rééligible tous les sept ans, puis tous les cinq ans, a réussi à aboutir au résultat que la France est le pays occidental qui a fait le moins de réformes.

Cela devrait nous faire réfléchir à ce que l'on appelle l'équilibre des pouvoirs au sein des démocraties occidentales. À l'époque, on voulait instaurer un parlementarisme rationalisé, raisonné. Nous n'avons obtenu qu'un Parlement arraisonné, ficelé et même souvent corseté, encore plus depuis le passage au quinquennat et l'inversion du calendrier électoral. Hélas, l'Assemblée nationale s'est retrouvée considérablement diminuée, de législature en législature, avec l'assentiment des majorités successives. Il y a malheureusement une grande continuité sur ce point. Le renoncement à un équilibre des pouvoirs par le Parlement lui-même est sans doute ce qui doit le plus étonner les observateurs étrangers. Lorsque nous avons l'occasion de rencontrer des parlementaires d'autres pays, nous nous apercevons qu'alors même que nous avons décidé d'avoir un Parlement composé de parlementaires à 100 % de leur temps, nous sommes un Parlement qui n'a pas 10 % des pouvoirs des autres parlements.

J'aimerais que cela puisse inspirer nos débats, parce que je ne crois pas que la démocratie se trouverait amoindrie si ces parlementaires à 100 % se voyaient confier un peu plus de pouvoirs et de responsabilités. Il est vrai que le travail ici est insatisfaisant. C'est une des raisons pour lesquelles nous souhaiterions qu'une réforme puisse aboutir et nous essaierons d'y contribuer. Mais disons les choses clairement : si cela fonctionne si mal ici, c'est parce qu'il est difficile de demander à une assemblée d'être responsable quand on ne lui confie pas de responsabilités. C'est, me semble-t-il, un des travers de la Ve République que nous pourrions corriger.

Mais tel n'est pas l'objet du texte qui a été présenté par le Gouvernement. Il se limite à d'autres ambitions, qui sont respectables et qu'il faut étudier, me semble-t-il, plus avant. L'exécutif a choisi de présenter les trois textes à la fois. Je veux saluer sa volonté de transparence quant à la globalité du raisonnement et des modifications qu'il entend proposer.

Les votes que nous exprimerons seront fonction non pas du seul texte constitutionnel, mais des trois textes. Cela nous conduira, je le dis d'ores et déjà, à poser souvent des questions, à la majorité, et au Gouvernement lorsqu'il sera présent, sur les évolutions des autres textes. Connaître la globalité de la réforme est la seule façon de juger de sa pertinence.

Le texte qui nous est soumis aujourd'hui contient essentiellement la fin, la conclusion de la réforme constitutionnelle de 2008, laquelle n'avait pas trouvé une majorité sur un certain nombre de sujets pourtant consensuels. Je pense à la suppression de la Cour de justice de la République, qui était déjà prête mais n'a pas obtenu la majorité des trois cinquièmes – nous nous souvenons tous que la réforme de 2008 est passée à une voix près. Je pense aussi à la fin de l'appartenance de droit des anciens Présidents de la République au Conseil constitutionnel, une bonne chose tant cette institution finissait par être emplie de personnalités, certes éminentes, mais dont on ne pouvait dire qu'elles n'étaient pas politiques. La réforme du Conseil supérieur de la magistrature, prévoyant l'avis conforme du CSM pour les nominations au Parquet, peut nous convenir, avec une interrogation toutefois sur le moment où la magistrature échange avec la société – nous y reviendrons.

Nous soutenons le droit à la différenciation, à même de faire évoluer notre République dans un sens plus proche des réalités locales. La réforme du CESE, que l'on veut transformer en chambre de la société civile, nous inquiète. Nous contestons absolument ce titre : la chambre de la société civile se trouve ici, dans cette pièce, dans l'hémicycle, à l'Assemblée nationale. Que sommes-nous d'autre que la société civile ? (Applaudissement sur les bancs des groupes UDI, Agir et Indépendants, Mouvement Démocrate et apparentés, Les Républicains et Nouvelle Gauche). D'ailleurs, tous ceux qui viennent d'être élus savent que nous sommes les représentants de la société civile. Il faudra donc veiller à la place et au titre qui seront donné au CESE.

D'autres éléments concernent la fabrique de la loi. Disons les choses concrètement : nous pouvons ici être plus efficaces, et parfois plus rapides. Encore faut-il que ce ne soit pas au détriment des débats de fond et d'un Parlement, dont j'ai dit combien il était faible par rapport à ses homologues dans les démocraties occidentales. Nous veillerons à ce qu'il ne sorte pas davantage affaibli de cette réforme. Nous ferons donc un certain nombre de propositions qui permettent à la fois de libérer les initiatives parlementaires et de résoudre un certain nombre d'anomalies démocratiques.

Il convient par exemple d'améliorer la rédaction de l'article 40 de la Constitution, qui nous empêche quasiment de débattre de la plupart des domaines budgétaires. On doit attendre du Parlement, non pas qu'il ne débatte pas du budget, mais qu'il équilibre le budget, et ne pas lui faire le procès de vouloir influer sur telle ou telle chose. L'article 40 fait que la plupart du temps, sans trop que l'on sache pourquoi, selon une jurisprudence constante et bien établie, des amendements qui auraient pu être discutés sans nuire aux finances publiques ne viennent pas en débat dans notre assemblée.

Nous souhaitons un Parlement qui soit renforcé, plus efficace grâce à la fin du cumul des mandats. Nous souhaitons que le Sénat puisse être respecté. Nous avons plus que des interrogations, des réticences, sur la réforme de la navette parlementaire et le raccourcissement du mandat du Sénat. Nous souhaitons qu'on libère le droit d'initiative : la semaine de contrôle, M. Marc Fesneau y a fait allusion, n'est pas efficiente ; on contrôle mal et insuffisamment. Ce temps pourrait être redistribué, dévolu à l'ordre du jour gouvernemental en partie peut-être, mais aussi au droit d'initiative des groupes parlementaires. Si l'on veut restreindre le droit d'amendement, pour le « rationaliser » – je dirai mon sentiment sur le sujet lorsque nous en débattrons –, il faut en contrepartie augmenter le nombre des espaces réservés, afin que les parlementaires puissent proposer des lois ou débattre – c'est ce à quoi ils doivent servir, me semble-t-il.

Pour mieux contrôler, il faut aussi pouvoir travailler dans le cadre de sous-commissions, comme dans tous les parlements du monde. Cela ne se fait pas ici, alors que c'est la garantie d'un travail à la fois plus pointu, plus efficace, plus poussé. De la même façon, les commissions d'enquête sont limitées dans notre Parlement à une par an et par groupe : comment peut-on dire que le Parlement doit mieux contrôler et en même temps limiter sa capacité à mener des enquêtes ?

Enfin, la réforme globale vise à modifier la façon dont on élit la représentation nationale et la représentation politique. L'interdiction du cumul de trois mandats dans le temps ne porte pas grief, encore que cela ne soit pas indispensable pour les maires – j'en veux pour preuve que vous avez dû instaurer un seuil. Il nous semble que la baisse du nombre de parlementaires est excessive – elle pourrait être limitée à 150 parlementaires. Par ailleurs, l'introduction d'une dose de proportionnelle est toute symbolique et ne sera pas efficiente. Il nous semble que nous devons trouver un équilibre sur ce point.

Pour notre part, nous cherchons une modernisation, pas un affaiblissement. Nous souhaitons une réforme pour que le Parlement puisse être plus efficace, plus rapide mais prenne aussi plus de place dans l'équilibre des pouvoirs, avec des prérogatives élargies. Nous verrons l'accueil que le Gouvernement réservera à nos objections, mais aussi à nos propositions.

Une réforme constitutionnelle est un moment très particulier de la vie parlementaire – la réforme de 2008 a été adoptée à une voix. C'est la seule fois, mes chers collègues, que chacune et chacun d'entre nous, dans les trois réponses à sa disposition – pour, contre ou abstention – a un pouvoir, même s'il s'abstient. Les réformes constitutionnelles réussies sont celles où la majorité et l'opposition savent s'écouter, s'entendre et avancer ensemble.

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