Intervention de Sébastien Jumel

Réunion du mardi 26 juin 2018 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Jumel :

Derrière un titre ambitieux et prometteur, « Pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace », se cache un texte sans grande ambition. Ou alors avec l'ambition d'un apothicaire, lequel dissimule dans ses poches quelques fioles de poison dangereux pour la démocratie représentative. Ce manque d'ambition a été d'ailleurs souligné par le président de l'Assemblée nationale lui-même, qui a dit qu'il fallait réserver le référendum aux grandes occasions, sous-entendant que celle-ci n'en était pas une.

Il y a les textes, et le contexte. Le contexte est celui dans lequel votre majorité et le président omniprésent, jupitérien, exercent le pouvoir depuis un an. Nous sommes bien placés ici pour voir comment cela s'est concrétisé : un nombre record de procédures accélérées, des temps programmés, un recours quasi systématisé aux ordonnances, au vote bloqué, aux commissions mixtes paritaires en catimini – la dernière en date étant celle qui a permis de caler l'accord entre la droite sénatoriale et la droite de la majorité En Marche sur la réforme ferroviaire.

Dans votre esprit, le Parlement a vocation à être libéralisé pour souvent, trop souvent dans la bouche du président de l'Assemblée nationale, être méprisé. C'est ce qui a conduit notre groupe, avec d'autres, à considérer qu'il ne fallait pas cautionner le bilan de la première année au perchoir de M. François de Rugy, lequel a passé son temps à disqualifier le Parlement, à le discréditer, au risque d'ouvrir la porte à des réflexes peu conformes à nos valeurs républicaines.

Au sein de ce Parlement méprisé travaillent des fonctionnaires qui ne savent pas à quelle sauce ils seront mangés, au terme de la réforme du statut de la fonction publique parlementaire, ce qui en dit long sur l'expertise dont on ambitionne de se doter pour renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement.

Les projets de loi organique et ordinaire affichent la volonté de découper au scalpel la République, d'éloigner encore un peu plus les parlementaires de leur territoire. Au bout du compte, vous êtes porteurs du projet d'une République désincarnée, d'une République déshumanisée, d'une République start-upisée.

Ce texte accentue le déséquilibre des pouvoirs : réduction du droit d'amendement, accélération de la discussion législative, rabougrissement de l'initiative parlementaire pour l'Assemblée nationale, perte de contrôle dans la fixation de l'ordre du jour, fléchage de textes, dans des conditions dont nous ignorons tout, directement en commission pour échapper à l'appropriation démocratique que permet la séance publique, sont autant d'illustrations de votre volonté d'affadir, d'affaiblir le Parlement et, in fine, de priver l'opposition de sa capacité à discuter de la loi, à l'enrichir, voire à la modifier.

Certaines dispositions font partie des marronniers constitutionnels. Dire qu'elles ne mangent pas de pain serait désobligeant, mais elles font consensus. Nous sommes favorables à la suppression des membres de droit du Conseil constitutionnel, lequel risque de devenir une réserve pour anciens Présidents de la République et ex-Premiers ministres. On voit bien à quel point cela peut porter préjudice au Conseil des Sages. C'est le cas aussi de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, de la suppression de la Cour de justice de la République ou encore de l'interdiction du cumul des fonctions ministérielles avec un mandat exécutif local. Nous ferons des propositions d'amélioration, mais ces dispositions, globalement, font consensus.

D'autres dispositions, en revanche, nous semblent profondément dangereuses, ainsi que la pratique l'a démontré. À titre d'exemple, nous ne considérons pas que le Premier ministre doit être un collaborateur du Président de la République. Lorsque l'on réunit le Congrès à Versailles la veille d'une déclaration de politique générale, on le rabaisse. Réunir le Congrès à Versailles le lundi 9 juillet, alors que nous sommes en train de travailler sur la révision de la Constitution, en dit long, aussi, sur la volonté du Président de la République de fixer la feuille de route des députés de sa majorité et de transformer le Gouvernement et le Parlement en simples exécutants. Nous ferons un grand nombre de propositions visant à rétablir la primauté du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif et à réduire le fait majoritaire en assurant une déconnexion avec les pouvoirs du Président, car nous sommes attachés à la séparation des pouvoirs. Nous voulons freiner l'hypertrophie présidentielle que cette première année de mandat a bien montrée. Nous entendons aussi, même si c'est un peu plus anecdotique, supprimer le fait du prince dans un grand nombre de domaines – des grâces à la capacité du Président de la République de déclencher seul un conflit armé, en ne consultant le Parlement qu'a posteriori.

Nous avons déposé d'autres amendements qui permettront de graver dans le marbre de la Constitution un certain nombre de principes fondamentaux. Dans un discours prononcé à la Mutualité, le Président de la République nous a livré une relecture personnelle de Marx, sur la question des libertés formelles et réelles. Nous estimons qu'il est nécessaire de consacrer dans la Constitution plusieurs libertés formelles qui sont irréfragables. Nous vous proposerons de supprimer le mot « race » à l'article 1er de la Constitution, M. André Chassaigne présentera des propositions de modification de la Charte de l'environnement, et nous défendrons aussi des amendements relatifs aux biens communs, à la dignité et à l'égalité entre les hommes et les femmes, qui constituent à nos yeux des principes fondamentaux.

Nous aurons par ailleurs l'occasion de revenir sur certains débats récents. Nous proposons d'inscrire dans la Constitution la moralisation de la haute fonction publique – je pense en particulier au pantouflage, que nous devons définitivement faire sortir des pratiques de notre République. Face à votre volonté de casser le socle du modèle social français et de notre organisation territoriale, nous ferons également d'autres propositions. En matière de dialogue social, nous avons besoin d'avoir des garanties constitutionnelles lorsque l'on élabore des lois concernant les salariés, comme la démocratie en entreprise. Nous ferons aussi des propositions pour que le référendum d'initiative populaire, c'est-à-dire le principe de la démocratie participative, soit au coeur d'une nouvelle ambition pour la République, que nous souhaitons renforcer au bénéfice de nos concitoyens.

Comme un grand journal national l'a récemment souligné, dans un titre bien choisi, le président Macron « insupporte ceux qu'il ne faisait qu'irriter. Il désenchante ceux qu'il avait emballés ». Notre fonction est évidemment de faire la loi, en l'initiant ou en la modifiant, mais elle consiste aussi à contrôler son exécution, avec des moyens réels, de faire entrer la force du peuple à l'Assemblée et d'y faire entendre la voix des territoires. Les parlementaires communistes réaffirmeront leur attachement à une République qui ne doit pas être éclatée « façon puzzle » : il faut, au contraire, qu'elle soit présente partout et pour tous. C'est pourquoi nous proposerons d'inscrire l'aménagement du territoire dans la Constitution. Nous le ferons dans le respect de notre composante ultramarine, qui fera sonner son originalité, sa sensibilité et son apport sur la question de la spécificité des outre-mer.

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