Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du jeudi 5 juillet 2018 à 9h30
Ratification de l'ordonnance relative aux services de paiement dans le marché intérieur — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la rapporteure, chers collègues, nous discutons ici de la ratification d'une ordonnance du 9 août 2017 portant transposition d'une directive européenne datant de novembre 2015 relative aux services de paiement dans le marché intérieur.

La directive comprend plusieurs points positifs. En premier lieu, elle améliore la sécurité des paiements et la protection des données des utilisateurs. En second lieu, les acteurs concurrents des banques vont pouvoir s'inscrire dans ce cadre concurrentiel de manière plus juste. Cette directive avait été férocement combattue, on s'en souvient, par l'Union européenne des banques, prétendument pour défendre la protection des données des utilisateurs. Ces inquiétudes étaient en réalité sans fondement et servaient juste à masquer les vraies raisons de leur opposition, à savoir que de telles mesures ne pouvaient que remettre en cause leur monopole en permettant à de nouveaux acteurs de développer des services de paiement dorénavant mieux encadrés par la loi. Il s'agit d'avancées positives pour les consommateurs et les nouveaux services de paiement, qui seront ainsi mieux armés pour concurrencer le monopole des grandes banques. En outre, la protection des données des utilisateurs est renforcée. Enfin, la directive permet de réguler le marché des nouveaux opérateurs, qui jusqu'alors ne l'était pas du tout.

Cependant, le groupe La France insoumise souhaite critiquer plusieurs points du texte.

Tout d'abord, lors de la première lecture, le Gouvernement a déposé un amendement visant à développer le cashback, c'est-à-dire le retrait d'espèces chez les commerçants. Cette modification a également été votée par le Sénat. Or – nous l'avions déjà dit à l'époque – nous sommes opposés à ce système.

En effet, nous estimons qu'il ne revient pas aux commerçants de se substituer aux banques en faisant circuler des liquidités. Il faudrait plutôt lutter contre la désertification rurale et le retrait des services du quotidien dans les campagnes plutôt que d'autoriser une sorte de marché alternatif. Je rappelle à cet égard combien il est souvent difficile pour les communes rurales, pour leurs maires, d'obtenir ne serait-ce qu'un distributeur bancaire étant donné le grand nombre de conditions demandées par les banques. De ce point de vue, la suppression de plus en plus fréquente des bureaux de poste dans les zones rurales aggrave évidemment le problème. En outre, c'est à la Banque de France de garantir l'accès des citoyens à des liquidités. Une telle garantie devrait d'ailleurs être obligatoire.

S'il faut donc renforcer les moyens et obliger les banques à réinvestir les zones rurales, il ne faut pas, en revanche, que celles-ci se défaussent sur les commerçants – lesquels sont d'ailleurs souvent eux-mêmes opposés au cashback pour des raisons de sécurité – du soin de fournir des liquidités à nos concitoyens.

Ensuite, la commission mixte paritaire a échoué car le Sénat a décidé d'aller plus loin que la directive en prévoyant un système de protection du consommateur en cas de fraude étendu aux comptes non couverts par la directive, c'est-à-dire aux comptes autres que ceux de paiement – notamment le livret A.

Concrètement, le système envisagé permettait au consommateur d'obtenir, en cas de fraude, un remboursement auprès du prestataire tiers en engageant la responsabilité des prestataires de services de paiement au titre de leur activité d'initiation de paiement ou d'agrégation de comptes. Or la majorité La République en marche a refusé ce point lors de la CMP et a supprimé la disposition lors de l'examen en nouvelle lecture en commission des finances, indiquant qu'elle ne voulait pas « surtransposer la directive » et qu'il fallait régler ce problème au niveau européen. Notre collègue du groupe Nouvelle Gauche, Marie-Noëlle Battistel, vient d'évoquer la question. Comme elle, nous ne pouvons que regretter ce choix qui remet à plus tard la protection du consommateur, alors que cette dernière devrait pourtant, dans le cadre de ce projet de loi, constituer notre priorité absolue.

De plus, du fait de la faiblesse des moyens alloués à la régulation, des dérives importantes pourraient advenir, notamment en matière de fraude bancaire. En effet, en France, c'est l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, l'ACPR, qui sera chargée de surveiller ces nouveaux opérateurs. Or dans la loi de finances pour 2018 – et nous en revenons, une fois encore, aux politiques de restriction des dépenses publiques – , la majorité a fixé le plafond d'emplois de l'ACPR à 1 050 équivalents temps plein, ce qui correspond à une baisse de 7 % de son effectif.

On peut donc s'interroger sur les moyens dont l'ACPR disposera pour exercer cette nouvelle mission de contrôle. Le problème a déjà été soulevé en commission et Mme la rapporteure a répondu que l'ACPR s'était engagée à réallouer des ressources en interne pour faire face à cette nouvelle mission.

Dans ce cas, madame la rapporteure, quelles seront les autres missions actuellement exercées par l'ACPR qui pâtiront de cette réallocation, alors même que toutes les missions qui lui incombent sont importantes ? Je suis sûr que vous répondrez tout à l'heure sur ce point. Si l'on confie de nouvelles missions à l'ACPR, il faut augmenter ses moyens humains, pas les diminuer.

Enfin, ce débat doit également être l'occasion de rappeler que les moyens de paiement, en ligne notamment, ne sont pas accessibles à tous les citoyens. Très souvent, en effet, habitant à proximité des centres-villes, nous oublions que beaucoup de nos concitoyens continuent de vivre ce que l'on peut appeler la fracture numérique.

Ainsi, il aurait été utile de prévoir pour tous les citoyens en dessous du seuil de pauvreté le droit à l'ouverture d'un compte bancaire gratuit, avec une carte de paiement : là aussi, cela aurait permis d'affirmer que le service bancaire est un droit pour tous les citoyens, et non pas quelque chose qu'on leur alloue en fonction du lieu où ils habitent ou de leur condition sociale.

Pour toutes ces raisons, ce projet de loi, dont j'ai dit au départ qu'il comportait plusieurs points positifs, est également marqué, malheureusement, par nombre d'imperfections et de limites, en dépit d'ailleurs, comme nous l'avons vu, des dispositions proposées par le Sénat. C'est donc, malheureusement, une belle occasion manquée. Nous nous abstiendrons.

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