Intervention de Delphine Gény-Stephann

Séance en hémicycle du jeudi 5 juillet 2018 à 9h30
Érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices — Présentation

Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'état auprès du ministre de l'économie et des finances :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur de la commission des affaires étrangères, madame la rapporteure pour avis de la commission des finances, mesdames, messieurs les députés, vous examinez aujourd'hui la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, signée le 7 juin 2017 par la France et 67 autres États et territoires.

Cette convention constitue une innovation majeure en matière de fiscalité internationale en ce qu'elle s'imposera dans les relations entre États sans qu'il soit besoin de modifier les conventions fiscales bilatérales existantes. Ce tournant décisif dans la coopération fiscale internationale a été imaginé pour gagner un temps précieux en matière de lutte contre les pratiques d'évasion fiscale des entreprises qui cherchent à réduire voire annuler leurs impôts en tirant avantage des conventions fiscales bilatérales. La ratification de la convention multilatérale s'inscrit donc pleinement dans les objectifs portés par le Président de la République et le Gouvernement en matière de lutte contre la fraude fiscale.

Le Sénat a adopté ce projet de loi de ratification à l'unanimité. J'espère qu'il en sera de même pour votre assemblée, car la France est et doit rester moteur en matière de lutte contre la fraude fiscale. Cette convention est l'une des pièces maîtresses de ce nouvel édifice, mais pas la seule. Je pense notamment à l'inclusion prochaine de la liste européenne des États et territoires non coopératifs dans notre droit, dans le cadre du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude adopté il y a peu au Sénat, à la transposition prochaine de la directive sur la lutte contre l'évasion fiscale dite directive « ATAD », à l'adoption par le Conseil européen de la directive DAC 6 sur les intermédiaires financiers, ou encore à la volonté très forte de la France de faire adopter dès que possible une directive visant la juste imposition des activités numériques sur le territoire européen, par l'évolution des règles applicables à la détermination des bénéfices et, à court terme, par l'institution d'une taxe de 3 % sur le chiffre d'affaires de ces géants numériques.

Quant à la convention multilatérale, elle permettra de traduire dans nos relations avec nos partenaires les avancées du projet porté par l'Organisation de coopération et de développement économiques de lutte contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, dit projet BEPS. Elle parera ou rendra plus difficile l'évasion fiscale pratiquée par certaines entreprises, qui cherchent à réduire leur impôt dû en France, en transférant leurs bénéfices dans des États ou territoires à fiscalité plus faible, voire nulle.

Comme vous le savez, ce projet BEPS a été amorcé par le G20, notamment à l'initiative de la France, dans un contexte de mobilité croissante des activités économiques, à l'occasion du sommet de Los Cabos de 2012. Il a conduit l'OCDE à élaborer un ensemble de mesures structurées autour de quinze actions. Ces mesures de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales nécessitent pour une partie d'entre elles de modifier les conventions fiscales bilatérales.

Très novatrice, cette convention multilatérale permettra de mettre à jour les 1 100 conventions fiscales conclues entre ses signataires, sans nécessiter l'ouverture de longues négociations bilatérales. De telles négociations auraient constitué un chantier à l'issue incertaine et susceptible de durer plusieurs dizaines d'années pour les États concernés. La France, du fait d'un réseau conventionnel très étendu, aurait ainsi dû modifier l'ensemble de ses 121 conventions fiscales bilatérales.

Les dispositions de la convention multilatérale visent principalement à s'assurer que les bénéfices soient imposés là où s'exercent réellement les activités économiques qui les engendrent, en luttant notamment contre l'utilisation abusive des conventions fiscales et le contournement artificiel du statut d'établissement stable, tout en améliorant les modalités de règlement des différends entre États en cas de double imposition.

À cet effet, la convention multilatérale contient d'abord des mesures obligatoires pour les États signataires : les standards minimaux. Ils visent, d'une part, à modifier le préambule des conventions fiscales et à insérer une clause anti-abus de portée générale permettant de refuser le bénéfice de la convention en présence de montages dont le principal objet est l'obtention des avantages fiscaux prévus par les conventions bilatérales. D'autre part, ces normes minimales visent à moderniser la procédure de règlement des différends, pour résoudre les cas de double imposition. Il s'agit de dispositions protectrices pour les entreprises et les acteurs économiques.

À titre d'exemple, la règle générale anti-abus du critère des objets principaux de la convention multilatérale, qui sera insérée dans les conventions fiscales, permettra de refuser un avantage conféré par une convention fiscale lorsque l'un des principaux objets d'un montage ou d'une transaction est l'octroi d'un avantage prévu par la convention. Il s'agit de contrer les opérations sans réalité économique, motivées par le bénéfice d'un avantage fiscal.

Par ailleurs, afin d'associer le plus grand nombre d'États, tout en s'assurant d'une large application de certaines dispositions anti-abus, la convention multilatérale contient d'autres stipulations, optionnelles, dont les parties peuvent faire usage selon leur politique conventionnelle. Le Gouvernement a fait le choix de ne retenir les stipulations optionnelles que dans la mesure où elles renforcent les dispositifs de lutte contre l'évasion et la fraude fiscales et qu'elles correspondent à la pratique conventionnelle de la France. En conséquence, les options qui n'étaient pas considérées comme essentielles pour remédier à l'évasion fiscale ou dont les effets étaient trop incertains ou insécurisants juridiquement, notamment pour nos entreprises, n'ont pas été retenues.

Certaines stipulations optionnelles constituent de réelles avancées, telles celles destinées à empêcher les pratiques de contournement artificiel du statut d'établissement stable, avec pour objectif de ne pas être assujetti à l'impôt sur les sociétés au titre d'une activité conduite sur un territoire donné. D'autres dispositions concernent l'insertion d'une clause sur l'arbitrage interétatique, dont l'objet est de résoudre les conflits de double imposition dans le cadre des conventions fiscales.

Ainsi, la convention multilatérale permettra de déjouer les schémas dits de commissionnaire, qui consistent à localiser artificiellement à l'étranger des activités commerciales pour ne pas payer l'impôt sur les sociétés afférent à une activité conduite sur un territoire donné. Avant les modifications proposées, échappait à la détermination d'établissement stable en France l'activité d'une entreprise française agissant pour le compte d'une entreprise étrangère et engageant, dans les faits, cette entreprise dans une relation commerciale avec des clients français, au seul motif que les contrats étaient in fine signés par la société étrangère. Vous le savez, de tels schémas se rencontrent notamment dans le secteur du numérique.

La France considère également avec intérêt mais prudence l'option consistant à empêcher que les entreprises ne contournent la définition d'un établissement stable en cas de fractionnement de contrats. Là encore, il s'agit de mieux faire coïncider le droit et la réalité économique. Il convient toutefois de veiller à ce que le choix de cette option ne place pas nos entreprises dans une situation d'insécurité juridique quant à leurs opérations à l'étranger, notamment au regard des États ayant également choisi cette option.

Le Gouvernement a poursuivi la réflexion à cet égard, et en a conclu qu'il était préférable de poser une réserve sur l'article 14 au moment du dépôt de l'instrument multilatéral. Comme vous le savez, mesdames, messieurs les députés, le choix d'une option est irrévocable, contrairement à celui d'une réserve. Bien que nous manquions encore d'éléments visant à démontrer un risque avéré pour notre secteur du bâtiment et des travaux publics, il convient d'être prudents – a minima, de manière transitoire.

Lors de la signature de la convention multilatérale, la France a communiqué la liste des 88 conventions fiscales bilatérales qu'elle souhaite couvrir. Elles correspondent aux États ayant participé aux travaux d'élaboration de la convention multilatérale, qui ont conclu avec la France une convention fiscale.

Au 29 juin dernier, date de la dernière mise à jour par l'OCDE, 83 États et territoires sont signataires de l'accord. Parmi ces parties, l'Autriche, l'île de Man, Jersey, la Nouvelle-Zélande, la Pologne, le Royaume-Uni, la Serbie, la Slovénie et la Suède ont d'ores et déjà achevé leur processus de ratification. La convention qui est aujourd'hui soumise à votre approbation est entrée en vigueur le 1er juillet pour les cinq premiers États ayant ratifié le texte. Pour la France, comme pour chaque autre État signataire, l'entrée en vigueur de la convention interviendra le premier jour du mois qui suit l'expiration d'une période de trois mois calendaires à compter de la date de dépôt de son instrument de ratification.

Le Gouvernement est pleinement conscient du caractère novateur de cet instrument dans ses relations avec le Parlement, mais également pour celles de l'administration fiscale avec les contribuables. C'est pourquoi il s'engage à informer le Parlement chaque année des effets produits par les évolutions de la convention multilatérale à l'égard de ses conventions fiscales bilatérales dans le rapport annuel relatif au réseau conventionnel annexé au projet de loi de finances. Compte tenu des délais d'entrée en vigueur et de prise d'effet de la convention multilatérale, ce point d'étape annuel apparaît parfaitement adapté.

L'administration assurera par ailleurs la lisibilité des conventions fiscales bilatérales affectées par la convention multilatérale, par la publication de versions consolidées, qui permettront d'assurer la bonne information des usagers. Notre souhait est de lever toute ambiguïté quant à l'interprétation qui devra être faite de l'articulation de la convention multilatérale avec les conventions fiscales bilatérales.

Si les versions consolidées des conventions fiscales bilatérales ne constitueront pas formellement une interprétation de l'administration et ne sauraient par suite lui être opposables, les instructions fiscales commentant la convention multilatérale et les réponses aux demandes de rescrit constitueront une garantie opposable à l'administration, de nature à assurer la pleine sécurité juridique des opérateurs économiques.

Telles sont, mesdames, messieurs les députés, les principales observations qu'appelle la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation.

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