Intervention de Denis Masséglia

Séance en hémicycle du jeudi 5 juillet 2018 à 9h30
Érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenis Masséglia :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, chers collègues, 600 milliards d'euros : c'est la part estimée des profits réalisés par les entreprises multinationales qui seraient chaque année délocalisés de manière artificielle dans des centres offshore, soit 40 % de leurs bénéfices ; ce montant, c'est aussi la richesse nationale de l'Argentine, vingtième PIB mondial. Ces 600 milliards d'euros sont soustraits aux administrations fiscales de pays développés ou émergents pour être rapatriés dans des pays à la fiscalité plus avantageuse, voire parfois proche de zéro.

En 2016, Airbnb a payé 92 944 euros d'impôts en France, son deuxième marché mondial, pour un chiffre d'affaires de 130 millions d'euros ; ne pas déclarer d'établissement stable dans notre pays lui a permis, en toute légalité, de ne déclarer que 166 373 euros de bénéfices sur notre territoire. Apple, dont le chiffre d'affaires estimé en France est proche de 5,8 milliards d'euros par an, n'en déclare que 618 millions, et 39,8 millions de bénéfices ; elle n'a payé, en 2015, que 12,9 millions d'euros d'impôts sur les sociétés, quand son chiffre d'affaires mondial était estimé à 215,6 milliards d'euros, pour un bénéfice net de 45,69 milliards d'euros. De la manière la plus légale, Google ne paie en Europe en impôts qu'entre 0,36 et 0,82 % de ses revenus encaissés, et Facebook moins de 0,1 % ; le manque à gagner concernant seulement ces deux entreprises seulement est estimé à 5,4 milliards d'euros en Europe pour la période 2013-2015, dont 741 millions d'euros pour la France. Si l'on considère ces entreprises multinationales du numérique, pour la France, le préjudice fiscal s'élevait à 2,5 milliards d'euros en 2013 et approche désormais 4 milliards d'euros par an. À celles et ceux qui s'interrogeaient récemment sur le financement de nos armées, cette somme représente environ le coût d'un porte-avions ; elle permettrait aussi de payer chaque année plus de 120 000 professeurs des écoles.

Cette situation n'est plus acceptable, et le texte qui nous est présenté ce matin est le premier jalon d'une lutte contre les déséquilibres fiscaux. Le Président de la République et le ministre de l'économie et des finances, M. Bruno Le Maire, plaident auprès de nos partenaires européens pour une politique volontariste de taxation à l'échelle européenne. Parallèlement, cette convention vise à lutter d'abord contre le transfert de bénéfices réalisés dans des pays plus taxés, où ces entreprises réalisent un chiffre d'affaires important, vers des pays plus accueillants, aux marchés sont bien plus réduits.

Il peut être long d'obtenir puis de mettre en place un accord européen ; il convient donc de supprimer dès maintenant cette distorsion fiscale aujourd'hui tout à fait légale, qui se pratique à l'échelle internationale mais aussi à l'intérieur de l'Union européenne. J'en veux pour preuve la condamnation par l'Union européenne de la société Apple à rembourser près de 13 milliards d'euros d'arriérés fiscaux à la République d'Irlande, et la contestation en appel de ce jugement par ce pays. Nous créons les conditions de notre propre faiblesse.

La ratification de la convention devrait nous permettre d'imposer les bénéfices là où s'effectue réellement l'activité économique et de limiter les conventions fiscales autorisant ces pratiques. Enfin, elle clarifiera la définition d'un « établissement stable », afin de ne plus voir les situations que je vous ai exposées au début de mon propos.

Concrètement, la convention tend à mieux retracer les transferts de bénéfices d'une filiale à l'autre au sein d'une même entreprise. Il s'agit d'identifier les flux pour mieux visualiser les transferts financiers afin de mettre en place, demain, de nouveaux outils harmonisés à l'échelle européenne.

Au-delà du principe de justice fiscale pour nos TPE, PME et ETI – entreprises de taille intermédiaire – , imposés jusqu'à l'an dernier à 33 % en France alors que l'imposition moyenne en Europe est de 23 %, il convient d'agir vite pour préserver notre modèle social, qui ne peut fonctionner que si chacun paie ce qu'il doit à proportion de ses capacités afin de financer les politiques publiques.

Chers collègues, nous nous battons depuis un an pour que le travail paie, pour que les investissements reprennent, pour que la croissance revienne, pour que nos entreprises repartent de l'avant et recréent de l'emploi et de l'activité. Elles doivent pouvoir jouer à armes égales avec les grandes entreprises internationales ; sinon, tous nos efforts pourraient être réduits à néant.

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