Intervention de Christophe Naegelen

Séance en hémicycle du jeudi 5 juillet 2018 à 9h30
Érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Naegelen :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mes chers collègues, la concurrence fiscale exacerbée entre les États, l'hétérogénéité des systèmes fiscaux et l'incapacité des gouvernements à corriger les failles des conventions bilatérales existantes ont constitué un terreau fertile pour la prolifération de pratiques agressives en matière fiscale, qu'elles soient le fait d'États, d'entreprises ou de particuliers. Ce constat ainsi que la révélation de scandales fiscaux de grande ampleur ont légitimement donné l'image d'un système fiscal international structurellement défaillant et donc largement perfectible. Aussi les dirigeants internationaux ont-ils tenté d'esquisser les contours d'une réforme d'envergure pour lutter réellement contre les chemins de traverse fiscaux, qu'il s'agisse de fraude, d'évasion ou d'optimisation.

Parmi les nombreuses pratiques agressives auxquelles recourent les acteurs privés, le chalandage fiscal retient ici toute notre attention. Cette pratique abusive permet aux groupes internationaux de jouer sur les conventions fiscales bilatérales afin d'échapper à l'impôt ou être soumis à un taux plus favorable, en utilisant des montages financiers complexes pour transférer leurs bénéfices d'un pays à un autre, dans le but de contourner l'impôt. Ne faisons pas ici d'amalgame : lorsque l'on parle d'entreprises, il ne faut pas confondre ces profiteurs, qui utilisent leur argent pour ne pas payer ce qu'ils doivent au pays qui les héberge, avec la majorité des entreprises françaises, qui, elles, jouent le jeu, et que notre pays s'honore d'accueillir. Selon l'OCDE, les pertes associées à ces pratiques pour les finances publiques des États atteignent de 100 milliards à 240 milliards de dollars.

Dans un contexte de déficit public pour la majorité des États, dont le nôtre, et bien que ces chiffres varient fortement en fonction des sources, il semble important de légiférer pour stopper cette hémorragie. C'est l'objectif que s'est fixé le projet BEPS. Cette ambition est née en 2012, lorsque le G20 a mandaté l'OCDE pour modifier les règles de la fiscalité internationale dans le but de réaligner la localisation des profits des entreprises sur celle de leurs activités.

Cette stratégie a le mérite d'être globale et d'associer le plus de parties possible afin de favoriser l'inclusion des approches et de prohiber l'exclusivité. Si l'on peut bien sûr déplorer l'absence des États-Unis à la signature de la convention, elle résulte d'une décision engagée sous l'administration Obama et qui ne doit aucunement remettre en cause la portée de cet accord, ô combien nécessaire sur le fond comme sur la forme.

Sur le fond, tout d'abord, l'instrument multilatéral dont le présent projet de loi vise la ratification permet de traduire en droit positif les recommandations du plan BEPS dans quatre domaines : la lutte contre le chalandage fiscal, l'encadrement des produits hybrides, l'amélioration des procédures de règlement des différends et la définition de la notion d'établissement stable. J'insisterai sur deux points particulièrement importants : la lutte contre le chalandage fiscal et la définition de la notion d'établissement stable.

Le questionnement est légitime : à partir de quand une entreprise qui exerce des activités sur un territoire donné y devient-elle taxable sans pour autant y être incorporée ? La révision de la définition de cette notion occupe donc une place centrale dans la lutte contre le chalandage fiscal. Cette réforme devrait intégrer notamment les évolutions de notre économie, qui, d'industrielle, est devenue numérique, intangible et difficilement localisable.

Il convient de rappeler que les États parties sont tenus d'appliquer des normes minimales, mais aussi des normes non minimales qui peuvent faire l'objet de réserves de la part des États signataires. Cette procédure permet de garantir une certaine flexibilité et ainsi d'assurer l'adhésion du plus grand nombre d'États. Tout l'enjeu du texte réside précisément dans ces pouvoirs de réserve.

Comparée à ses voisins européens, la France n'a émis que très peu de réserves sur les articles, notamment sur ceux relatifs à la définition des établissements stables, préférant une conception plus large de la convention multilatérale. Sur ce sujet, il est important de ne se montrer ni trop naïf ni trop méfiant, car la France engage ici sa crédibilité. Ainsi, tout en ayant confiance dans le processus qu'elle a elle-même lancé, la France doit néanmoins éloigner tout risque d'asymétrie préjudiciable, sous peine d'imposer à ses fleurons industriels une taxation étrangère importante sans pour autant taxer de manière équivalente les entreprises étrangères imposées sur son sol. C'est une sorte de dilemme du prisonnier fiscal, aux lourdes répercussions, que nous devons aborder avec pragmatisme et prudence. Inversement, faire preuve de timidité et de frilosité pourrait brouiller le message que notre pays voulait initialement émettre, notamment à l'intention de ses voisins européens. Nous devons donc être fermes et, notamment, montrer aux entreprises françaises, qui contribuent, je le répète, à la richesse de notre pays, qu'elles ne sont pas oubliées et que nous les soutenons.

De plus, au niveau européen, la ratification de la convention intervient dans un contexte où la Commission européenne a décidé de relancer, non sans mal, le projet d'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés. Non sans mal car certains États assimilent malheureusement la fiscalité à un élément essentiel de leur concurrence. Le projet BEPS a donc trouvé une traduction concrète en droit européen et peut s'apparenter à un galop d'essai fiscal pour l'échelon communautaire, ainsi qu'à la première étape d'un engagement vers la convergence.

À bien des égards, ces premiers pas apparaissent donc cohérents et vont vers une convergence des modèles sociaux et fiscaux dans le cadre communautaire. Aussi l'adoption de cette convention doit-elle être également envisagée dans sa dimension européenne, et il convient de garantir à nos partenaires européens notre constance et notre fiabilité sur ce dossier éminemment important pour la poursuite de notre projet commun.

Sur la forme, nous pouvons saluer la mise au point d'une procédure audacieuse et innovante. Il s'agit d'une démarche inédite en matière fiscale, d'un accélérateur juridique qui permettra la modification simultanée et coordonnée de l'ensemble des conventions fiscales bilatérales signées par la France avec ses partenaires. Ce dispositif ingénieux, imaginé par un groupe ad hoc auquel des représentants français ont pris part, représente une innovation majeure en matière de fiscalité internationale, en ce sens qu'il s'imposera dans les relations entre États et permettra d'économiser un temps précieux en évitant l'éventuelle réouverture de chantiers fiscaux fastidieux aux résultats incertains.

Par ailleurs, la France dispose d'un garde-fou : elle peut choisir de ne pas appliquer ce dispositif aux États qui auraient émis des réserves sur un certain nombre de dispositions de la convention BEPS. C'est le cas notamment de l'Irlande concernant la définition de l'établissement stable. La France a donc tout intérêt à maintenir une position claire afin d'encourager l'alignement d'autres pays parties à cette convention.

Au vu de ces nombreux éléments et sous bénéfice de ces observations, notre groupe appelle de ses voeux la ratification de l'instrument multilatéral proposé par l'OCDE. Utilisé pour préserver nos intérêts nationaux, cet outil permettra de lutter contre l'évitement de l'impôt et consolidera le système fiscal international tout en constituant une base crédible sur laquelle l'Union européenne pourra s'appuyer pour poursuivre ses objectifs internes.

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