Intervention de Aina Kuric

Séance en hémicycle du jeudi 5 juillet 2018 à 9h30
Érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAina Kuric :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, chers collègues, depuis les premières cités athéniennes, des techniques sont développées pour échapper à l'impôt, même dans les pays dont les gouvernements cherchent à lutter contre de telles pratiques. En exploitant les failles des règles fiscales internationales actuelles, certaines entreprises multinationales développent des stratégies leur permettant de transférer des bénéfices vers des États ou juridictions dans lesquels elles ne seront pas ou peu taxées. Ces pratiques sont à l'origine d'une perte massive de recettes fiscales, tous pays confondus : en effet, comme cela a été dit, l'OCDE estime qu'elles privent les États d'entre 100 milliards et 240 milliards de dollars de recettes fiscales par an.

Le développement des échanges commerciaux ne doit pas se faire au détriment des recettes de l'État. Il est certes nécessaire d'éliminer les doubles impositions, qui nuisent à la mobilité. En revanche, une exonération totale d'impôt due à une double non-imposition n'est pas acceptable. En ce sens, dans la perspective d'une réponse internationale et coordonnée en matière de chalandage fiscal, l'Organisation de coopération et de développement économiques a lancé le projet de lutte contre l'érosion des bases fiscales et le transfert de bénéfices, dit « BEPS », qui consiste à mettre en place des outils destinés à éliminer au maximum les possibilités d'optimisation fiscale internationale.

Cette convention est donc d'un genre tout à fait novateur : elle autorise une réponse rapide, coordonnée et souple, dans une matière qui se heurte bien souvent à des blocages, tout en permettant de modifier en même temps l'ensemble des conventions fiscales en vigueur, en laissant cependant des marges de manoeuvre importantes aux États.

La France, animée par une détermination sans faille pour lutter contre l'évasion fiscale, a fait le choix de couvrir 61 de ses conventions par la convention multilatérale, soit environ la moitié de son réseau conventionnel, ce qui témoigne d'une ambition certaine en matière d'équité fiscale internationale. Ainsi, il a été décidé que la finalité des conventions fiscales, à savoir l'élimination de la double imposition, mais aussi la lutte contre la non-imposition concerneraient l'ensemble des conventions que la France a notifiées. Cette exhaustivité permet non seulement une meilleure lisibilité mais aussi une harmonisation des textes à ce sujet.

Il convient d'évoquer plus en détail les choix effectués par la France. Ainsi, les règles encadrant les régimes favorables d'imposition des dividendes n'ont fait l'objet d'aucune réserve de notre part. Ces règles sont formulées afin de lutter contre les comportements abusifs consistant à prendre des participations dans une société étrangère peu de temps avant la distribution de dividendes à la seule fin de bénéficier d'une exemption fiscale ou d'une imposition à taux réduit.

La lutte contre les accords de commissionnaire est par ailleurs pleinement engagée par la France, car ceux-ci peuvent se révéler abusifs. En effet, ils consistent à charger un agent d'une opération dans laquelle celui-ci jouera un rôle déterminant sans pour autant qu'il conclut le contrat. Faute d'engagement juridique, l'établissement pour le compte duquel il aura négocié ne sera pas qualifié d'établissement stable. En conséquence, il ne sera pas possible d'engager la responsabilité de l'entreprise. Une telle disposition avait fait défaut, en juillet 2017, dans l'affaire concernant le groupe Google ; en effet, la qualité d'établissement stable ne pouvait être reconnue à Google France, malgré son poids dans les négociations commerciales et économiques. Aussi cette convention permet-elle de dépasser les fictions juridiques afin de privilégier les réalités économiques.

Ces différents dispositifs permettront de mettre fin à des schémas abusifs d'optimisation fiscale, qui sont établis en utilisant les conventions actuelles. Il est essentiel de dépasser ce cadre pour atteindre notre objectif de lutte contre les abus fiscaux et l'évasion fiscale. Bien que d'autres pays, qui facilitent la mise en place de ces schémas, aient formulé des réserves, l'engagement de certaines sociétés à modifier leurs pratiques permet d'envisager des évolutions favorables dans les années à venir, tant de la part des entreprises que des États. L'opinion publique ainsi que le nombre de parties ratifiant ces accords seront également un levier majeur dans l'évolution des positions des uns et des autres.

L'approche retenue dans cette convention rejoint l'objectif affiché du Gouvernement dans la lutte contre l'optimisation fiscale et va de pair avec le changement de paradigme que traduit cette dernière : elle permet aux sociétés d'anticiper des changements qui vont s'intensifier dans les années à venir. L'interprétation des conventions fiscales internationales, si elle n'est pas rendue totalement impossible, reste tout au moins plus ardue pour les sociétés qui chercheraient à éviter sciemment l'impôt.

Pour toutes ces raisons, la ratification de cette convention permettra d'envoyer un signal fort : une réelle coopération internationale est à l'oeuvre pour lutter contre les pratiques déloyales. Le Président de la République Emmanuel Macron a fait du multilatéralisme une pierre angulaire de la politique internationale de la France. Je vous invite donc à autoriser la ratification de cette convention.

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