Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du jeudi 5 juillet 2018 à 9h30
Érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices — Motion d'ajournement

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

« À des maux étranges, on applique d'étranges remèdes. » C'est une phrase de Shakespeare, extraite de Beaucoup de bruit pour rien, titre qui pourrait résumer le projet de loi qui nous est proposé ce matin. Néanmoins, comme je suis d'excellente humeur, je dirais que c'est plutôt « beaucoup de bruit pour pas grand-chose ». En tout cas, ce texte a malheureusement – car je pense que nous allons tous le regretter – davantage de rapport avec l'apparence d'une lutte contre l'évasion fiscale qu'avec une réalité concrète.

Je voudrais revenir sur les objectifs affichés de la ratification de cette convention multilatérale, qui sont de deux ordres : mettre en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir, premièrement, l'érosion de la base d'imposition et, deuxièmement, le transfert de bénéfices. Ce projet, mis en place en 2014 par l'OCDE à la demande du G20, a été signé par 78 États, mais de grandes puissances comme les États-Unis – cela a été rappelé à de nombreuses reprises ce matin – ou le Brésil ne sont pas parties à cette convention multilatérale.

Reconnaissons d'abord – c'est pourquoi j'ai dit qu'il s'agissait non pas de rien mais de pas grand-chose – que cette convention présente au moins un mérite : elle pose le problème du hold-up fiscal organisé par les multinationales, en particulier celles du numérique, dites « GAFA », qui réduisent le bénéfice d'une filiale située dans un pays à taux d'imposition élevé pour augmenter celui d'une filiale située dans un pays à plus faible fiscalité. Les pertes imputables à ce hold-up permanent sont estimées entre 100 milliards et 240 milliards de dollars par an – on l'a dit et redit, mais je pense qu'il faut toujours avoir en tête ces chiffres, qui méritent que l'on s'y intéresse.

L'objectif de cette convention est louable puisqu'elle incite notamment à réfléchir à la taxation des bénéfices là où ils sont réalisés. Mais, quand on examine les conditions de sa mise en oeuvre, on tombe des nues : chaque pays peut sélectionner, un peu comme sur un catalogue, les actions du plan qu'il souhaite inscrire dans ses conventions bilatérales ; si une mesure en particulier est choisie par un seul des deux États, elle ne peut figurer dans la convention bilatérale. Dans un contexte où l'on applique, partout en Europe, des politiques d'austérité très dures pour les peuples, je ne comprends pas comment on peut se permettre, sur une question aussi importante, de laisser une vague formule catalogue aux États, sans aucune contrainte.

Certes, je l'ai dit, nous soutenons les objectifs de ce plan, mais ceux de tout le plan, pas seulement celui ou ceux de tel ou tel article. Et nous le soutenons avec de nombreuses réserves.

D'abord, ce plan est organisé par le G20, club des pays riches, auquel nous dénions toute légitimité. Nous pensons, pour notre part, que cette convention devrait être discutée au niveau mondial, par le seul organisme légitime reconnu par les États, à savoir l'ONU.

Ensuite, seuls les pays volontaires ont signé l'accord multilatéral ; les USA ainsi que certains paradis fiscaux ne l'ont pas fait. Les multinationales pourront donc continuer à déclarer leurs bénéfices dans ces pays en pratiquant le jeu de bonneteau que l'on connaît.

Le fait que les États-Unis n'aient pas signé cette convention n'est pas anodin. Il faut dire que les profits accumulés par les GAFA dans certains paradis fiscaux ont de quoi faire pâlir les États européens, à qui l'on impose toujours plus d'austérité. Jusqu'à très récemment, le système fiscal américain était fondé sur le principe du bénéfice mondial : tant que les firmes américaines ne rapatriaient pas leurs bénéfices réalisés à l'étranger, ceux-ci n'étaient pas taxés. C'est ainsi que les géants du numérique – mais pas seulement eux – ont bâti des montagnes colossales de cash dans des paradis offshore : 16 milliards de dollars pour Facebook, 63 milliards pour Google et même la somme incroyable de 252 milliards pour Apple évoquée par ma camarade Clémentine Autain.

Qui plus est, les États-Unis se moquent bien de ce type de convention multilatérale. D'une part, la mise en place par le FACTA – Foreign Account Tax Compliance Act, ou loi sur la conformité des comptes fiscaux des étrangers – , sorte d'imposition universelle fondée sur la nationalité, leur permet déjà de lutter un peu plus efficacement contre la fraude fiscale. Nous soutenons d'ailleurs l'idée d'un tel système d'imposition, que l'on devrait appliquer dans notre pays. Au moins, les États-Unis n'ont pas peur, eux, de prendre des mesures unilatérales à l'égard de leurs ressortissants qui contreviennent au principe d'égalité devant l'impôt.

D'autre part, la réforme fiscale ultralibérale de Donald Trump prévoit la mise en place d'un taux d'imposition réduit à 15 % pour que les firmes américaines puissent rapatrier aux États-Unis leurs bénéfices réalisés à l'étranger. À elle seule, l'entreprise Apple versera ainsi 38 milliards de dollars dans les caisses du fisc américain. Bien sûr, les États européens n'en verront pas la couleur, et la présente convention n'y changera malheureusement rien.

Notons par ailleurs que certains paradis fiscaux comme Hong Kong, l'île de Man ou Jersey, font tout de même partie des signataires. Allons un peu plus loin et examinons les engagements qu'ils ont pris, sachant que la plupart des normes comprises dans cette convention sont optionnelles, c'est-à-dire non obligatoires, et que la souplesse d'application est grande. Par exemple, l'Irlande a déjà émis une réserve sur l'article 12, qui définit ce qu'est un établissement stable. Dès lors, le fait que ce pays ratifie la convention ne changera malheureusement rien à la fiscalité appliquée aux GAFA qui y sont installés pour échapper à l'impôt.

Devant la commission des finances, ce matin, Bruno Le Maire – étant présent dans l'hémicycle et n'ayant pas encore le don d'ubiquité, je n'ai pas participé à cette réunion, ce que je regrette car le ministre a manifestement dit des choses intéressantes – a évoqué la nécessité de définir, à plus long terme, au niveau de l'Union européenne puis de l'OCDE, la notion d'établissement. Mais, en même temps, il a expliqué que, s'agissant de l'Irlande, qui posait effectivement un problème, on pourrait travailler à une taxation préférentielle, c'est-à-dire à une sorte de privilège sur une fiscalité à venir.

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