Intervention de Jean-Paul Lecoq

Séance en hémicycle du jeudi 5 juillet 2018 à 15h00
Partenariat entre l'union européenne et la nouvelle-zélande — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq :

Nous, membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, avons déposé une motion de rejet préalable sur le texte afin de tirer la sonnette d'alarme à propos des textes relatifs au commerce mondial. Par sa philosophie, l'accord dont nous débattons met en avant le commerce – et rien que le commerce, excusez-moi, madame la rapporteure !

Tout ce qui ne s'y rapporte pas est marginalisé et à peine approfondi. Il est issu de la réflexion sur les traités commerciaux récents. Son objectif est de détruire les normes nationales afin de faciliter les mouvements de marchandises, ce qui est d'ailleurs assez cynique si l'on compare, d'un côté, les efforts visant à faciliter la circulation des marchandises et, de l'autre, les moyens déployés pour empêcher la circulation des êtres humains.

Le texte couvre un champ très large d'applications, qui ne méritent pas toutes un rejet préalable, bien entendu – nous avons bien compris, madame la rapporteure, que tout n'est pas à jeter. Je démontrerai néanmoins les raisons de notre méfiance envers certaines dispositions, laquelle légitime ma présence à cette tribune.

Soumis par l'Union européenne à la France, cet accord nous parvient, comme tout texte international, sans qu'aucune possibilité ne nous soit donné, à nous, parlementaires français, d'intervenir directement dessus et de l'amender. Or – et c'est la justification de la motion de rejet préalable défendue par notre groupe – , certains articles n'ont pas leur place dans l'accord de partenariat et ouvrent une large brèche dans l'application du traité de libre-échange entre la Nouvelle-Zélande et l'Union européenne actuellement débattu au sein de la Commission européenne.

Le texte propose des articles valorisants, par exemple sur la coopération culturelle ou judiciaire, sur l'aide au développement ou sur la recherche, ce qui témoigne de louables intentions que nous soutenons très fortement – raison pour laquelle tout ne doit pas être rejeté – parce qu'elles correspondent aux valeurs de coopération et d'amitié entre les peuples que nous soutenons, et non à celles d'une mise en concurrence dans un monde où règne le « chacun pour soi ».

Le traité rappelle les fondements de la coopération comme les droits de l'homme, les libertés fondamentales ou l'État de droit et prévoit que les parties s'engagent à renforcer leur dialogue dans plusieurs domaines comme la sécurité, l'aide humanitaire, le développement économique, la justice, la recherche, l'innovation, l'éducation ou le développement durable.

Toutefois, entre ces différents articles plutôt positifs se glissent bon nombre de dispositions dangereuses que nous refusons absolument. Six exemples sont à mon sens fondamentaux pour comprendre notre opposition claire et ferme à ce texte. Le premier est l'article 22, qui, relatif aux droits de douane, dispose que « les parties intensifient leur coopération sur les questions douanières, y compris par des mesures de facilitation des échanges en vue de continuer à simplifier et à harmoniser les procédures douanières [… ] ».

Il n'est pas possible de signer un accord qui autorise l'Union européenne à se lancer une fois de plus dans un traité de libre-échange commercial de nouvelle génération qui s'attaque à toutes les barrières non-tarifaires et qui est le vecteur d'une logique d'abaissement généralisée des normes et des réglementations en matière de santé et de protection des consommateurs. Assez de cette logique de destruction des services publics, de remise en cause drastique des droits sociaux et du travail !

Depuis toujours, les députés communistes luttent contre ce type d'accords pour au moins trois raisons : ces derniers placent les populations sous le joug des entreprises, ils dépossèdent les États de leurs prérogatives souveraines, notamment dans le domaine de la justice – menacée par les tribunaux d'arbitrage privés – , et, enfin, ils sont toujours négociés dans le plus grand secret, ce qui ne donne jamais confiance.

En effet, la coopération commerciale ne souffre presque plus de barrières tarifaires. Depuis plusieurs décennies, l'Organisation mondiale du commerce a fait s'écrouler ces tarifs. Maintenant, pour diminuer ce qu'il reste des coûts d'échanges, les forces néolibérales considèrent qu'il faut s'attaquer à tout ce qui ne relève pas des barrières douanières, c'est-à-dire à tout ce qui relève des normes et des lois qu'elles ne trouvent pas adaptées.

Ce vaste chantier est en cours et avance rapidement. Pour rappel, près de vingt-cinq de ces traités sont en cours de négociation avec le Canada, le Japon, le MERCOSUR – c'est-à-dire le marché commun de l'Amérique du Sud qui inclut l'Argentine, le Brésil, le Paraguay, l'Uruguay, le Chili, le Pérou, l'Équateur et la Bolivie – , avec Singapour, la Nouvelle-Zélande et l'Australie – nous en parlons – , le Vietnam, le Mexique, la Chine, la Tunisie et le Maroc, les Philippines, l'Indonésie, la Malaisie, la Birmanie, et j'en passe.

La menace, évidemment, c'est que dans le cadre commercial, c'est toujours le moins-disant qui gagne les négociations. Ces traités commerciaux de nouvelle génération créent donc un dumping à l'échelle mondiale, pour le plus grand bonheur des multinationales. Évidemment, dans le cas des normes, ce n'est pas le chiffre d'affaires de la petite PME qui explosera : c'est la gigantesque entreprise multinationale qui sera systématiquement gagnante !

Le second exemple concerne la coopération en matière fiscale, décrite à l'article 23. Tiens, tiens, en matière fiscale… C'est la journée ! Il est ainsi prévu que, je cite, « en vue de renforcer et de développer les activités économiques, les parties reconnaissent la nécessité d'appliquer une concurrence fiscale loyale ». Je pose simplement deux questions, auxquelles Mme la rapporteure répondra peut-être : qu'est-ce qu'une concurrence fiscale loyale ? Surtout, qui la détermine ? Est-ce le peuple qui, par la voix de ses représentants, jugera ce qui est acceptable en termes fiscaux ou est-ce la Commission européenne qui le fera, à l'abri des regards, comme elle a pris l'habitude de le faire en matière de traités commerciaux ?

Autre sujet important : le développement durable et du respect de la planète. Comment peut-on écrire sérieusement, dans un accord de partenariat entre deux pays situés à 20 000 kilomètres l'un de l'autre, que la priorité de l'accord concerne le respect de l'environnement ? Vingt mille kilomètres de distance ! Alors qu'il sera question d'intensifier les échanges commerciaux avec la Nouvelle-Zélande, il n'est pas possible d'inscrire dans la même phrase que les parties à l'accord « réaffirment leur volonté de promouvoir des échanges et des investissements mondiaux » et que, d'autre part, elles « reconnaissent qu'elles peuvent contribuer à l'objectif du développement durable ». Il est encore plus risible de voir l'article 45, consacré à la question du changement climatique, réaffirmer que les parties soutiennent « l'objectif de maintenir en-deçà de deux degrés Celsius l'élévation de la température moyenne mondiale [… ] » !

Je vous propose donc de rejeter ce texte et de demander une renégociation en enlevant soit les références à la libéralisation des échanges commerciaux, soit celles qui sont faites au respect du climat et au développement durable. Les cyniques préciseront qu'il s'agira d'enlever la référence au développement durable, complètement hypocrite, et les écologistes – nous en sommes – demanderont d'enlever la notion de « promotion des échanges commerciaux ».

Nous ne voulons pas d'un repli sur soi. L'alternative entre le libre-échange et le protectionnisme rabougri n'est qu'une technique des néolibéraux qui consiste à créer un monstre pour se poser en défenseur du premier. Les alternatives sont nombreuses en matière la mondialisation. Je le martèle ici pour anticiper les caricatures qui ne manqueront pas d'être faites : non, être contre le libre-échange économique ne fait pas de nous des gens paranoïaques et xénophobes. Je laisse cela à nos ennemis d'extrême droite – qui d'ailleurs ne sont pas là aujourd'hui.

Beaucoup d'autres voies existent. Contre la mondialisation sauvage de l'entreprise et de la mise en concurrence généralisée des États et des populations, nous proposons la mondialisation des peuples, l'intensification des échanges non économiques : les échanges culturels, sportifs, intellectuels, universitaires et d'amitié entre les peuples.

Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir, en lisant l'accord dont nous parlons, l'article 42, qui évoque le « lien entre les peuples ». Je me suis dit qu'enfin cet accord présentait quelque chose d'ambitieux, d'humain, en faveur de cette partie fondamentale de la mondialisation que nous soutenons. Bien évidemment, j'ai été très déçu. Cet article, qui tient en quatre lignes à peine, ne propose qu'une chose : que ces « liens peuvent comprendre des échanges de fonctionnaires et des stages de courte durée pour les étudiants de troisième cycle ». « Lien entre les peuples », est-il écrit… Quelle tristesse ! Voilà l'Europe ! Évidemment, vous me direz que lorsque l'on a une bonne idée, on tente de la remettre partout. Nous y voilà !

L'une des rares grandes réussites de l'Europe est reprise, le fameux Erasmus, qui permet aux étudiants européens une mobilité simple et encadrée par l'Union européenne. Est-ce la seule chose que l'on peut proposer dans le cadre des liens entre les peuples ? À la lecture de ce texte, on voit tout de suite que c'est bien là le parent pauvre de l'accord de coopération, ce qui est tout à fait regrettable.

L'Union européenne a certainement dû oublier que la Polynésie française était aux portes de la Nouvelle-Zélande et qu'à ce titre, elle aurait pu promouvoir des échanges culturels et une valorisation de l'histoire commune des Maoris. Nous aurions pu aussi valoriser la paix au nom de l'engagement des Néo-Zélandais lors des guerres mondiales qui se sont principalement déroulées, comme chacun sait, sur le territoire européen.

Et que dire du titre III, qui évoque les questions de développement et d'aide humanitaire ? Ce chétif titre, qui tient en quelques lignes, est bien pauvre lui aussi, contrairement au titre IV, relatif à la coopération économique et commerciale et développé, lui, sur quatre pages entières. La coopération en matière de développement et d'aide humanitaire repose donc sur des échanges d'information entre les deux parties. Voilà ! C'est tout. J'ai tout dit ! Rien d'autre !

Il y aurait pourtant certainement des choses à mettre en place pour valoriser une coordination sur des zones géographiques, peut-être sur des ambitions communes en matière de financement de projets globaux sur la santé ou le réchauffement climatique dans les zones à risque comme l'Océanie, qui comporte tant de fragiles îlots, îles et autres atolls gravement menacés par la montée du niveau des océans et par son acidification, qui tue peu à peu leurs multiples barrières de corail. Il n'en est rien – rien ! – , et c'est très décevant.

Bref, la timidité de ce quarante-deuxième article et du titre III est scandaleuse. Elle illustre le peu de cas que l'Union européenne fait de ces sujets.

Contrairement à la timidité de l'aide au développement et au lien entre les peuples, le quarante-neuvième article est, lui, très court mais plein d'espoir pour les grosses entreprises d'élevage. On y apprend, au détour du second alinéa, que « les domaines dans lesquels des mesures pourraient être envisagées englobent, sans toutefois s'y limiter, la politique agricole [… ] ». « Sans toutefois s'y limiter »… Cette phrase est pleine d'espoir ! C'est tout le contraire de l'article sur le lien entre les peuples – qui ne semble pas intéresser nos négociateurs. Ici, on le voit bien, une simple petite phrase ouvre une brèche énorme dans laquelle semblent prêts à s'engouffrer les exportateurs de viande ou de produits agricoles.

L'importation de produits de contrées aussi lointaines peut créer des problèmes environnementaux, alors que nous les produisons chez nous. S'il s'agissait de produits exotiques introuvables en Europe, on pourrait considérer qu'une telle importation est justifiée. Mais non, il s'agit de produits que l'on trouve chez nous ! Avec l'accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande, les syndicats agricoles français craignent aussi des coûts de production inférieurs aux coûts français, donc une concurrence déloyale.

En plus de doutes légitimes sur les différences de norme, la pratique néo-zélandaise consistant à vendre la viande à des prix dérisoires est très répandue puisque la viande ovine n'est, là-bas, qu'un sous-produit de la laine et non l'inverse. Aussi l'exportation est-elle peu coûteuse, à l'inverse de ce qui se passe en France !

Ce pays est également un grand producteur de lait puisqu'il produit, en ce domaine, près de 30 % des exportations mondiales. Son modèle productif est opposé à celui que nous soutenons : les exploitations sont gigantesques et très intensives, avec des machines aux cadences allant jusqu'à traire dix fois plus de vaches par heure qu'en France.

Nous sommes bien loin d'un modèle soutenable de petites fermes de polyculture-élevage qui maillent le territoire et produisent de la nourriture de qualité en favorisant le commerce de proximité et en évitant au maximum l'apport d'intrants ! En Nouvelle-Zélande, les 10 000 fermiers produisent pratiquement autant de lait que nos 90 000 éleveurs français !

De plus, la quasi-totalité de ces fermiers appartiennent à la même coopérative agricole, Fonterra, qui a un poids important puisqu'elle détermine le prix mondial du lait. On peut donc craindre que le prix du litre ne soit tiré vers le bas, ce qui pourrait fragiliser un secteur déjà mis à rude épreuve. C'est inquiétant pour notre agriculture, qui souffre terriblement de la pression exercée par l'industrie agro-alimentaire et des marges de la grande distribution, qui souffre du modèle économique ultra-productiviste qu'on lui impose depuis des années, et qui souffre parce que les politiques soutenues par la FNSEA – Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles – ne s'intéressent qu'aux gros agriculteurs sans prendre en compte les vrais problèmes des petits agriculteurs.

Dans un accord comme celui-ci mais aussi dans le CETA ou dans l'accord entre l'Union européenne et le MERCOSUR, ce sont bien les gros entrepreneurs de l'agriculture qui gagnent au détriment des petits, comme toujours. Ces petits agriculteurs, eux, devront fermer la boutique ou se contenter de revenus encore plus faibles qu'aujourd'hui ou seront forcés de se spécialiser sur des niches différentes.

Les chantres du libre-échange verront la « main invisible » qui opère et qui rééquilibre le monde, comme par magie. C'est cela qui plaît à M. le secrétaire d'État ! Regardons cependant l'état de notre agriculture. Le libre-échange l'oblige à se spécialiser ou à mourir, mais cette spécialisation est dangereuse car, qui dit spécialisation des acteurs français de l'agriculture dit secteurs laissés à des producteurs non-français, donc à l'importation.

C'est inquiétant, puisque c'est la perte de la souveraineté alimentaire de notre pays qui est en ligne de mire. Ce sujet est grave car les évolutions climatiques que nous sommes en train de subir modifieront profondément nos modes de vie à long terme. Si nous ne préparons pas dès aujourd'hui une agriculture résiliente et relocalisée, je pense que nos enfants souffriront fortement de ce choix.

Enfin, une autre question se pose à la lecture de cet accord : l'article 51 fait mention de l'emploi et des affaires sociales – il s'agit pour les parties de renforcer leur coopération dans ces deux domaines. Deux questions se sont rapidement imposées à moi : de quelle politique de l'emploi parle-t-on ? Depuis quand l'Union européenne a-t-elle une politique de l'emploi ? Je n'en sais rien, mais M. le secrétaire d'État nous éclairera sans doute.

Il me semble que les politiques sociales et d'emploi sont encore des prérogatives nationales et non communautaires. Il est donc étrange de voir ce secteur surgir dans un accord entre l'Union européenne et un autre État.

Les réflexions proposées par cet article sur « le plein-emploi productif » m'ont beaucoup étonné. Tout d'abord, que signifie le « plein-emploi productif » ? Nous pourrions signer, nous les communistes, comme d'autres : le « plein-emploi »… Cela fait rêver ! Mais à quoi cela fait-il référence ? À rien dans cet accord. Ensuite, quel intérêt y a-t-il à intégrer les références à l'emploi sur un tel sujet ? Nous n'avons pas trouvé…

La politique sociale de l'Union européenne, nous la connaissons : c'est une incitation à la concurrence et à la fin des services publics à la française, c'est un code du travail bien moins protecteur que ne l'était le nôtre avant qu'Emmanuel Macron y jette son dévolu, c'est également une protection sociale à la française en danger et une volonté de privatiser toutes les conquêtes sociales obtenus de haute lutte par les Français au XXe siècle.

Aujourd'hui, de nombreuses personnes sont réunies dans notre assemblée pour défendre l'hôpital public. Les députés et sénateurs de notre groupe ont rassemblé les forces vives de l'hôpital, et tous essaient d'éviter que l'hôpital public ne meure. Nous voyons bien ce que donne cette réglementation européenne !

Ce petit accord peut être vu comme un cheval de Troie, qui introduira demain le loup dans la bergerie. Expurgé de ses défauts liés à l'obsession des échanges commerciaux, nous l'aurions applaudi. S'opposer au libre-échange économique tel qu'il se dessine à travers tous ces accords de nouvelle génération, c'est, pour les députés communistes, mettre en avant le fait qu'une mondialisation alternative est possible. Il importe d'intensifier les échanges culturels, intellectuels et sportifs. Ces échanges ne tueront pas notre planète, contrairement à ce qui se prépare sous nos yeux dans le cadre de l'augmentation du commerce mondial.

Organiser les choses pour que l'Union européenne facilite les échanges commerciaux avec un pays qui se trouve, géographiquement, aux antipodes de l'Europe, est un projet fou. Combien de tonnes de carburant faut-il à un bateau qui part de Nouvelle-Zélande pour parvenir jusqu'à nos côtes ? Si encore il débarquait sa marchandise dans le port du Havre, je pourrais dire que c'est une bonne chose, …

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.