Intervention de Bertrand Bouyx

Séance en hémicycle du jeudi 5 juillet 2018 à 15h00
Protocole contre la fabrication et le trafic illicites d'armes à feu — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBertrand Bouyx, rapporteur de la commission des affaires étrangères :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, j'ai l'honneur aujourd'hui d'être devant vous le rapporteur d'un projet de loi autorisant ratification du protocole contre la fabrication et le trafic illicites d'armes à feu. Ce protocole a été adopté le 31 mai 2001, soit six mois après la convention dite « de Palerme », qu'il venait compléter au même titre que deux autres protocoles relatifs à la lutte contre la traite et le trafic d'êtres humains.

Si la France a ratifié la convention de Palerme et ses deux premiers protocoles dès 2002, celle du présent protocole n'a jamais pu aboutir : les principales difficultés étaient liées aux modalités techniques de mise en oeuvre par le ministère de l'intérieur et la direction générale des douanes et droits indirects. Ces obstacles étant aujourd'hui levés, et la France se trouvant dans l'obligation de mettre sa législation en cohérence avec celle de l'Union européenne en la matière, il est aujourd'hui proposé à l'Assemblée nationale d'approuver la ratification du présent protocole. Je tiens à souligner ici l'importance toute particulière que revêt cette ratification, non seulement en raison du fléau que le protocole entend combattre, mais aussi parce que c'est la première fois qu'un accord international est juridiquement contraignant dans la lutte contre ces trafics, dans un environnement international où les accords sont essentiellement politiques et de principe.

Rappelons quelques faits qu'il convient de garder à l'esprit au moment de voter ce texte.

Les populations civiles sont les premières victimes de la circulation d'armes incontrôlée. On estime qu'il y a entre 600 millions et 800 millions d'armes légères et de petit calibre en circulation dans le monde, et qu'elles causent environ 500 000 victimes par an. La campagne de mobilisation internationale « Control Arms », engagée par Amnesty International, Oxfam et le Réseau d'action international des organisations non gouvernementales sur les armes légères, a mis en lumière ces statistiques glaçantes : chaque minute, une personne est tuée par arme à feu dans le monde et quinze sont blessées ; 60 % des violations graves des droits de l'homme sont liées à l'utilisation d'armes légères et de petit calibre ces dix dernières années ; 80 % des victimes des conflits armés sont des civils ; 875 millions d'armes à feu sont en libre circulation dans le monde, dont 640 millions d'armes légères et de petit calibre ; la production de cartouches militaires atteint 14 milliards d'unités par an.

Voilà, s'il était nécessaire, de quoi se convaincre de la nécessité impérieuse de se doter d'outils juridiques contraignants et efficaces pour lutter contre les trafics d'armes de petit calibre qui nourrissent les réseaux criminels et aussi terroristes, comme l'histoire récente de notre pays nous l'a douloureusement rappelé.

Pour autant, il m'apparaît, à ce moment, important de préciser que l'engagement de la France dans la lutte contre le trafic d'armes illicites n'a pas attendu la ratification de ce protocole. À la suite des attentats de janvier et novembre 2015, la France s'est remobilisée à tous les niveaux – national, régional, global – pour mieux lutter contre les trafics illicites d'armes à feu.

Le Programme d'action en vue de prévenir, combattre et éliminer le commerce illicite des armes légères sous tous ses aspects est le seul instrument universel et consensuel en matière de lutte contre les trafics d'armes conventionnelles. Sa troisième conférence d'examen s'est déroulée la semaine dernière, au siège des Nations unies à New York, sous la présidence de la France, qui s'est attachée de manière prioritaire à remobiliser les États, la société civile et la communauté du désarmement sur le sujet des armes légères et de petit calibre.

La France a également activement participé à l'adoption du traité sur le commerce des armes, dit TCA, ratifié dès 2013 et entré en vigueur le 24 décembre 2014. Le TCA poursuit deux objectifs interdépendants : améliorer les systèmes de contrôle des exportations d'armes classiques et lutter contre les trafics illégaux.

En ce qui concerne le protocole proprement dit, son champ d'application et ses apports, je rappelle en tout premier lieu son objet : promouvoir, faciliter et renforcer la coopération entre les États parties afin de prévenir et de combattre la fabrication et le trafic illicites des armes à feu, de leurs pièces, éléments et munitions. Le protocole vise les infractions qui y sont détaillées lorsqu'elles sont de nature transnationales et qu'un groupe criminel y est impliqué.

L'article 5 stipule que les actes intentionnels suivants doivent être pénalisés par la législation nationale des États parties au protocole : la fabrication et le trafic illicites d'armes à feu, de leurs pièces, éléments et munitions d'une part ; la falsification ou l'effacement, l'enlèvement et l'altération de façon illégale des marques que doivent porter les armes à feu. En outre, le protocole prévoit que soit pénalisé le fait de tenter de commettre, de se rendre complice, d'organiser, de diriger, de faciliter, d'encourager ou de favoriser la commission de l'une de ces infractions. Des sanctions pénales sont prévues par le code de la défense, le code pénal, le code de la sécurité intérieure et le code des douanes.

L'article 6 du protocole prévoit des dispositions visant à permettre la confiscation des armes à feu, de leurs pièces, éléments et munitions ayant fait l'objet d'une fabrication ou d'un trafic illicites. Notre droit est déjà pleinement conforme avec les dispositions de cet article.

L'article 9, relatif à la neutralisation des armes à feu, stipule que les États parties ne considérant pas les armes neutralisées comme des armes à feu doivent prendre les mesures nécessaires pour prévenir leur réactivation illicite. Il établit des principes généraux de neutralisation. Le droit français est également conforme à cet article. Cependant, il importe de le préciser, les armes neutralisées restent classées selon les dispositions de la réglementation nationale.

L'article 10, relatif aux obligations générales concernant les systèmes de licences ou d'autorisations d'exportation, d'importation et de transit, prévoit que les États parties établissent ou maintiennent un système de licences d'exportation et d'importation, ainsi que des mesures relatives au transit international pour le transfert d'armes à feu, de leurs pièces, éléments et munitions, et en précise la nature. Notre système national d'autorisation, d'exportation, d'importation et de transit dans le droit interne est également conforme au protocole.

L'article 11 stipule que les États parties prennent les mesures appropriées afin d'assurer la sécurité des armes à feu, de leurs pièces, éléments et munitions au moment de leur fabrication, de leur importation, de leur exportation et de leur transit, et afin d'accroître l'efficacité des contrôles des importations, des exportations et du transit. Sur ce point également, les dispositions du droit interne prévoient un régime de mesures de sécurité et de prévention conforme au protocole.

L'article 12 détaille les principes d'échanges d'informations, maillon essentiel de la lutte contre les trafics de quelque nature qu'ils soient. La France participe d'ores et déjà à des coopérations institutionnelles et bilatérales, qui peuvent être générales ou porter spécifiquement sur les armes. C'est le cas au sein de l'Organisation internationale de police criminelle – OIPC-Interpol – mais également dans le cadre du système d'information Schengen, auquel participent vingt-neuf pays et qui regroupe notamment les données relatives aux armes perdues ou volées, et aux signalements des personnes recherchées.

Enfin, il faut préciser que le Gouvernement prévoit d'assortir son adhésion de deux déclarations : la première porte sur la définition des armes historiques, prévue à l'article 3, et la seconde sur l'obligation de marquage à l'importation permettant l'identification de l'État importateur prévue à l'article 8.

En ce qui concerne l'article 3 et la terminologie, ses différentes définitions sont compatibles avec celles figurant à l'article R. 311-1 du code de la sécurité intérieure, à l'exception de la définition des armes à feu anciennes – qui doivent être définies en droit interne – pour lesquelles ce même article 3 stipule qu'elles « n'incluent en aucun cas les armes à feu fabriquées après 1899 ». Le droit français ne reprend pas la notion d'armes anciennes mais fait référence aux armes historiques et de collection. Une déclaration devrait, par conséquent, être formulée au sujet de la définition des armes historiques.

En ce qui concerne l'article 8 et le marquage, la France ne prévoit pas l'apposition de marquages à l'importation. Elle impose, en vertu de sa participation à la Commission internationale permanente pour l'épreuve des armes à feu portatives, l'apposition d'un poinçon d'épreuve sur toutes les armes fabriquées ou importées sur le territoire national. Ce poinçon permet l'identification du banc d'épreuve, mais pas directement celle de l'État importateur. Le droit français n'est, par conséquent, pas conforme à cet article 8 en matière d'obligation de marquage à l'importation permettant l'identification de l'État importateur. Une réserve sera formulée sur ce point précis.

Pour conclure, le protocole dont l'Assemblée nationale est appelée à autoriser la ratification constitue une étape importante dans la lutte contre les trafics qui, à travers la criminalité transnationale ou le terrorisme, mettent en danger notre société. La France doit saisir ici l'occasion d'envoyer un signal à nos partenaires et d'engager une dynamique multilatérale en matière de lutte contre les trafics d'armes de petit calibre. Cent vingt États ont déjà ratifié cet accord ; la France doit montrer qu'elle est en capacité de mettre sa législation en accord avec ses engagements, qui sont forts et sincères.

Pour toutes ces raisons, je vous propose d'adopter le présent projet de loi.

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