Intervention de Marie-Noëlle Battistel

Séance en hémicycle du jeudi 5 juillet 2018 à 15h00
Transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Noëlle Battistel :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, chers collègues, voilà maintenant plusieurs mois que la représentation nationale s'est emparée de la question de la mise en oeuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux intercommunalités. Avec un peu de recul, le moins que nous puissions dire, c'est que nous avons encore un peu de chemin à parcourir pour aboutir, ensemble, à une position claire, pragmatique, partagée et utile à tous.

À la fin de 2017, la proposition de loi déposée par le groupe Les Républicains visant à rendre optionnel le transfert des compétences eau et assainissement aux intercommunalités a été rejetée par votre majorité. Soutenue au-delà des sensibilités et des groupes politiques, afin d'exiger que les attentes des territoires, fondées sur leurs réalités, soient écoutées, l'intérêt de cette proposition était d'avoir pour elle la force du bon sens. Et c'est bien la force et le bon sens des élus locaux qui vous ont convaincue, madame la ministre, d'infléchir quelque peu votre position et de dépasser l'avis de la majorité en première lecture, pour travailler de nouveau sur le sujet avec des représentants des différents groupes politiques des deux chambres.

Je tiens de nouveau à vous remercier, madame la ministre, de votre écoute ainsi que du respect de vos engagements, qui ont permis la tenue, dans le cadre de la Conférence nationale des territoires, de son groupe de travail « eau et assainissement ». Après de nombreux échanges, la loi, adoptée le 30 janvier dernier, a finalement donné aux communes la possibilité de s'opposer au transfert de la compétence eau et assainissement aux intercommunalités jusqu'en 2026, si une minorité de blocage est réunie. Sur le modèle du plan local d'urbanisme intercommunal, il est permis à cette minorité de s'opposer au transfert obligatoire, si elle représente au moins 25 % des communes et 20 % de la population du territoire. Nous avons collectivement accepté cette avancée, qui représente à nos yeux un petit pas en avant et un compromis minimal, même si la limitation dans le temps ne nous paraît pas adaptée à la réalité de territoires pour lesquels le problème demeurera entier après 2026.

Après l'échec de la commission mixte paritaire le 18 avril dernier, que nous regrettons, et la réécriture complète de la proposition de loi par nos collègues sénateurs, celle-ci est de nouveau soumise à nos débats. Vous avez déclaré, madame la rapporteure, que les désaccords entre le Sénat et l'Assemblée nationale sont sur ce texte « fondamentaux » et « irréconciliables » : je crains que ce ne soit plutôt l'éloignement des considérations quotidiennes des élus locaux, ruraux et montagnards, qui soit irrémédiable.

Ayant voté le compromis minimal acceptable que vous proposez, permettez-moi de saluer, non sans enthousiasme, la sagesse de la chambre haute et son texte ambitieux. Comme il nous faut être cohérents, je profite de ma présence à cette tribune pour rappeler une nouvelle fois ma position de principe et celle du groupe Nouvelle Gauche. Si la rédaction proposée, nous l'avons dit, constitue un assouplissement par rapport au droit actuel, il est toutefois possible, souhaitable et même nécessaire d'aller plus loin, comme je l'ai défendu en première lecture.

La solution proposée est à mi-chemin entre le transfert obligatoire pour toutes les communes au 1er janvier 2020, inscrit dans la loi NOTRe, et le compromis proposé, dans sa motion, par le comité directeur de l'Association nationale des élus de montagne, dont le seul parti est celui de la montagne et que je préside actuellement, comité directeur qui se prononce en faveur du maintien de l'optionalité totale de ces compétence. Les bases de la minorité de blocage – 25 % des communes représentant au moins 20 % de la population – continuent en effet d'inquiéter les élus locaux : que se passera-t-il quand certaines communes de montagne, minoritaires dans une intercommunalité urbaine ou de plaine, ne seront pas en nombre suffisant pour atteindre cette minorité ?

C'est la raison pour laquelle je vous proposerai, au cours de nos débats, de revenir à l'esprit des mesures proposées par le Sénat et que j'avais déjà défendues en première lecture : tout d'abord, l'application de la minorité de blocage aux communautés d'agglomération, ensuite la suppression de la date du 1er janvier 2026 pour les raisons que j'ai déjà évoquées plus haut dans mon intervention. Je ne crois pas que vous vous renieriez si nous pouvions, les uns et les autres, nous entendre sur la suppression de cette date butoir. Il convient enfin de donner aux communes de montagne la possibilité de décider individuellement le transfert ou le non-transfert des compétences eau et assainissement, ou de l'une des deux. Nous évoquerons également la sécabilité des compétences.

Je rappelle que l'Observatoire des services publics d'eau et d'assainissement a estimé, dans une récente étude, que 50 % des communes de montagne ont décidé de gérer le service de l'eau au niveau communal. Cette organisation des compétences a une vraie pertinence en montagne, compte tenu du relief prononcé, des conditions climatiques et des distances à parcourir. Vous devez faire confiance aux élus et, s'agissant de ces compétences particulières, leur laisser le choix de l'organisation territoriale : leurs décisions ne sont pas le fruit du hasard.

À l'occasion de nos précédents débats, en début d'année, afin d'étayer ma démonstration, j'avais pris l'exemple de la communauté de communes de la Matheysine, dans le sud de l'Isère : 19 500 habitants, 44 communes, 700 kilomètres carrés et quelques heures de route pour boucler les paysages magnifiques que la moyenne montagne offre à notre pays. Je n'ai pas besoin d'y revenir en détail pour demander qui peut, dans notre assemblée, imaginer que ces villages de montagne puissent être traités de la même façon qu'une métropole ou qu'une ville de zone périurbaine. Personne, vous le savez : les enjeux des distances, les bassins hydrologiques et le climat ne permettent pas de prévoir les mêmes règles partout. Ce n'est pas de la politique politicienne, c'est simplement du pragmatisme, la raison renvoyant à une réalité très concrète.

Je me réjouis, madame la rapporteure, que vous ayez déposé un amendement qui récrit l'article 2 et qui rend possible la séparation des compétences eaux pluviales et ruissellement de celles de l'assainissement. S'il avait été déposé un peu plus tôt, peut-être eût-il évité un long débat.

Que reste-t-il, autrement, du droit à l'adaptation reconnu par la loi montagne ? Visiblement, peu de chose ! Pourtant, ce droit a été créé pour répondre à une vraie nécessité. Ces territoires, trop souvent oubliés, pour ne pas dire niés, ont le droit d'être défendus et leurs spécificités reconnues et respectées. C'est ce qu'a voulu le législateur, dès 1985, en leur reconnaissant le droit à la différence à l'article 8 de la première loi montagne, et c'est ce qu'il a confirmé et renforcé, en 2016, en établissant le principe d'adaptation des politiques publiques aux spécificités de ces territoires.

Que reste-t-il également de l'appel prononcé, lors du récent congrès des maires, par le Président de la République, afin de conférer « une capacité inédite de différenciation, une faculté d'adaptation des règles aux territoires » ? Visiblement pas plus qu'un slogan, ce qui est très regrettable.

Je l'ai souligné en janvier dernier et je le répète aujourd'hui avec la même force : nous sommes, élus d'opposition, en désaccord avec la politique menée par le Président de la République sur de nombreux sujets. Toutefois, l'honnêteté intellectuelle doit nous conduire à assumer des points de convergence, lorsqu'ils existent. Tel est le cas sur le droit à l'innovation et à la différenciation dans les territoires.

Or, une nouvelle fois, je crains, pour ces communes, une complexification sans amélioration flagrante de la qualité du service mais avec un coût supplémentaire pour l'usager. En effet, vous n'avez démontré ni l'amélioration de l'efficacité de la gestion ni la maîtrise du coût, bien au contraire. En dépit de son évolution, ce texte ne fait donc que reculer jusqu'à 2026 l'échéance, et donc les problèmes soulevés sur plusieurs bancs depuis des mois.

C'est pourquoi je ne doute pas que nos débats puissent être à l'origine de nouvelles avancées. Il s'agit, pour nous, non pas d'avoir raison tout seuls, mais bien de tendre à l'intérêt général comme un point d'équilibre exigeant et ambitieux. Acceptez, à cette fin, les amendements que nous vous proposerons dans quelques instants. Ils sont le fruit d'une expérience de terrain et de la remontée des élus, auxquelles la représentation nationale a le devoir d'être attentive.

L'enjeu de notre travail n'est pas de gagner un combat politicien stérile entre l'Assemblée et le Sénat, entre l'ancien et le nouveau mondes : il est de faire en sorte que les désaccords entre le législateur et le pays réel ne soient ni « fondamentaux » ni « irréconciliables ». Madame la ministre, madame la rapporteure, j'espère pouvoir compter sur votre écoute, s'agissant tant de la spécificité des territoires français que du respect de l'engagement du Président de la République sur le droit à la différenciation et à l'expérimentation.

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