Intervention de Mathilde Panot

Séance en hémicycle du jeudi 5 juillet 2018 à 21h30
Transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathilde Panot :

Madame la présidente, madame la ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur, madame la rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, mes chers collègues, nous voici au terme de la navette parlementaire de cette proposition de loi déposée par les membres du groupe La République en marche relative à la mise en oeuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes et aux communautés d'agglomération.

Comme en première lecture, nous tenons tout d'abord à exprimer notre désapprobation face aux méthodes particulièrement grossières et douteuses de la majorité La République en marche qui, après avoir rejeté en octobre dernier la proposition de loi de nos collègues du groupe Les Républicains portant exactement sur le même sujet, l'a reprise à son compte, avec un opportunisme sans vergogne, pour en proposer une version nettement moins ambitieuse. Comme quoi le vieux monde et ses manoeuvres politiciennes ont encore de beaux restes avec la majorité La République en marche !

Il n'empêche : ce geste, tout inélégant qu'il soit, a au moins le mérite de confirmer que le transfert des compétences eau et assainissement des communes aux intercommunalités, prévu pour 2020 par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République – la loi NOTRe – , pose un certain nombre de problèmes, et que la majorité a péché par orgueil et manque de sérieux en refusant d'amender la proposition de loi du groupe Les Républicains, faisant ainsi perdre un temps précieux tant aux parlementaires que nous sommes qu'aux élus locaux qui nous ont alertés sur le caractère néfaste de cette mesure.

Sur le fond, alors que la proposition de loi du groupe Les Républicains et la position défendue par notre groupe lors des précédents débats consistaient à permettre à de nombreuses communes de conserver leurs compétences eau et assainissement, le texte dont nous débattons ce soir est de bien moindre qualité : il ne fait qu'assouplir la loi en reportant à 2026 le délai de transfert obligatoire pour les seules communes n'ayant pas encore procédé à ce transfert et ayant obtenu une minorité de blocage. Là encore, on retrouve la marque de votre majorité : obligés de vous rendre aux arguments de l'opposition, vous trouvez le moyen d'en faire le moins possible en refusant toutes les autres contributions pour finir par produire un texte bien rabougri sur un sujet pourtant majeur.

Je ne reviendrai que très brièvement sur les raisons de notre soutien à la proposition de loi initiale du groupe Les Républicains. Votre texte traduit une position de repli, qui s'inscrit dans la lignée de notre opposition à la loi NOTRe de 2015. Cette dernière a, en effet, constitué une rupture historique majeure s'agissant de la place de la commune dans l'organisation territoriale et politique française et de la place du service public de l'eau. Sous couvert d'une plus grande autonomie et d'une possibilité d'adaptation, ce processus a ouvert des services publics essentiels aux appétits des grandes transnationales.

Je souhaite profiter de la dernière occasion qui nous est donnée de nous exprimer sur ce sujet précis pour insister à nouveau sur les enjeux qui sous-tendent la question du niveau pertinent de compétence en matière d'eau et d'assainissement.

Pour nous, il ne s'agit pas ici d'une question de privilèges territoriaux ou d'une loi à visée électoraliste en direction des communes et de leurs élus locaux. Il est question du bien commun qu'est l'eau et de l'organisation, par les pouvoirs publics, d'un accès uniforme et suffisant à cette ressource sur l'ensemble du territoire de la République française.

Or cet accès uniforme et suffisant n'est garanti ni à court terme, ni à moyen terme. À court terme, il n'existe pas d'accès ininterrompu à l'eau potable, ni pour les foyers, ni pour les individus vivant en France. C'est la question de la précarité hydrique. À moyen terme – ce n'est qu'une façon de parler, tant il y a urgence en matière écologique – , les mesures nécessaires ne sont pas prises non plus.

En France, 1 % de la population n'aurait pas accès à l'eau potable. Les premières victimes sont les personnes sans-abri, dépendantes de la mise à disposition de points d'eau potable et de bains publics par les municipalités.

En 2013, le code de l'action sociale et des familles a été modifié afin d'interdire les coupures d'eau, quand bien même les foyers n'étaient pas en mesure de payer leurs factures. Mais il a fallu de longues années, ponctuées de batailles juridiques, pour que cette mesure soit mise en oeuvre de manière large. Elle a été d'autant plus difficile à faire appliquer quand la gestion de l'eau et de l'assainissement faisait l'objet d'une délégation – le groupe d'entreprises SAUR a d'ailleurs attaqué cette disposition devant le Conseil constitutionnel. Cela montre de nouveau que l'eau, qui est un bien commun vital, doit être gérée directement par une entité publique.

La situation en Guadeloupe constitue également un exemple tristement parfait de l'impact de la réglementation de la gestion de l'eau sur la qualité de la distribution de celle-ci dans les foyers. Je veux vous en parler ici suite à la visite de ma collègue Danièle Obono sur cette île. La situation y est depuis longtemps déplorable : les habitants de la Guadeloupe doivent faire face à une distribution aléatoire de l'eau, subissant des coupures fréquentes avec, dans certains endroits, une eau sortant du robinet de couleur marron.

En juin 2015, le conseil économique, social et environnemental régional de Guadeloupe soulignait dans son rapport que 85 % des abonnés étaient desservis par un opérateur privé et que seule 60 % de la production d'eau traitée était utilisée par les usagers, du fait de la qualité désastreuse des réseaux.

Jusqu'en 2013, la gestion de l'eau et de son assainissement était prise en charge par sept groupements et cinq communes. Depuis août 2016, suite à l'entrée en vigueur de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles – la loi MAPTAM – et de la loi NOTRe, la gestion est uniquement faite en EPCI – établissement public de coopération intercommunale. L'entrée en vigueur de ces lois a ainsi imposé une réorganisation complexe de la gestion de l'eau, sans pour autant apporter de solution aux graves dysfonctionnements qui préexistaient.

Le Gouvernement a annoncé un plan de 71 millions d'euros afin de rénover les réseaux. Si ce plan est nécessaire, il ne règle pas en profondeur les problèmes structurels de la gestion de l'eau. Ces problèmes, qui sont criants en Guadeloupe, sont liés au cadre juridique actuel qui les rend possibles. L'État vient ici se substituer, non pas aux collectivités locales, mais aux acteurs privés qui profitent de contrats de longue durée, sur un secteur de nécessité commune, avec un cocontractant présentant de très grandes garanties de solvabilité. Ces acteurs se désengagent de la rénovation régulière et nécessaire des réseaux. Pourquoi ne pas mieux encadrer, sinon interdire, la gestion de l'eau et de l'assainissement en dehors du cadre d'une régie directe ?

Nous avons déposé une proposition de loi visant à constitutionnaliser le droit à l'eau, ce qui permettrait un meilleur encadrement de sa gestion. Je rappelle ici que les EPCI ont davantage tendance que les communes à recourir aux délégations de service public.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.