Intervention de Régis Lebrun

Réunion du jeudi 21 juin 2018 à 10h30
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

Régis Lebrun, directeur général de Fleury Michon :

Effectivement. C'est pour cela que j'ai dit, dans mon propos liminaire, qu'il fallait évidemment que les industriels changent – nous sommes certainement parmi ceux qui l'ont compris le plus tôt –, et que les pouvoirs publics et la distribution ont un rôle à jouer. Chacun sait que le rapport est assez défavorable à l'industrie en termes de négociations commerciales et que la pression sur les prix est très forte, notamment depuis la constitution des super centrales en 2015. En effet, il y a dorénavant quasiment quatre points d'achat, ce qui veut dire que lorsqu'on discute avec nos clients, c'est 25 % de notre chiffre d'affaires qui est systématiquement en jeu. Notre écoute clients est naturellement très développée, mais elle l'est encore plus lors des négociations.

Dans le cadre du projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable, une disposition concerne le seuil de revente à perte. Si ce sujet ne nous intéresse pas tellement puisqu'il n'est pas fondamental pour nos rayons, en revanche la capacité à maîtriser notre politique tarifaire est très importante. Nous avons eu des contacts avec les différents ministères ces derniers mois, et nous leur avons expliqué notre point de vue. Nous l'avons payé très cher en 2017, puisque le prix du porc a fortement augmenté à la suite de la crise porcine de 2015 – et heureusement pour les éleveurs. Comme il y a une forme de pression pour « acheter français », il y a eu une très forte demande de jambon français. Les abatteurs intermédiaires ont augmenté leurs prix dans une proportion beaucoup plus forte que le prix du porc lui-même et nous n'avons pas pu répercuter ces hausses de prix à la distribution. Le surcoût final a été pour nous de 25 millions d'euros, ce qui est énorme puisque le résultat de l'entreprise est compris entre 16 et 17 millions, et nous n'avons pas pu le répercuter. Nous militons donc pour que l'on retrouve la liberté tarifaire, c'est-à-dire que les conditions générales de vente prévalent sur les conditions générales d'achat.

Quand on est dans une position de négociation aussi défavorable, si les conditions générales d'achat s'imposent aux conditions générales de vente, on est dans la quasi-incapacité de pouvoir négocier les tarifs, y compris d'ailleurs sur l'innovation. C'est pour cela que je disais dans mon propos liminaire que l'innovation coûte cher. Or nous sommes une société de taille intermédiaire et nos moyens ne sont pas illimités, contrairement à ceux de très grands groupes. Quand on fabrique des plats cuisinés, il faut investir dans toutes les filières, par exemple dans la filière carotte, dans la filière tomate, dans la filière céleri et, bien sûr, dans la filière porcine ; on est obligé de mettre en place des équipes et de payer le juste prix aux producteurs. Nous avons développé des filières bio, en Vendée, juste à côté de chez nous : il faut payer nos collaborateurs qualifiés pour qu'ils mettent en place ces plans de progrès. Or aujourd'hui, nous n'arrivons pas à valoriser ces produits auprès de la distribution. Nous militons donc pour modifier la loi, afin de pouvoir fixer librement nos prix – quitte à être sanctionnés par le consommateur si nous nous trompons.

Nous avons lancé la marque Fleury Michon au Québec. Là-bas, les rapports sont complètement différents. Comme nous étions en phase de lancement, notre compte d'exploitation montrait que nous n'avions pas de marges. Nous avons donc augmenté nos prix de 15 %, ce qui est significatif. Les clients que j'ai rencontrés m'ont dit que cette hausse était énorme, mais ils nous ont mis face à nos responsabilités, c'est-à-dire que nous serions déréférencés si les ventes n'étaient pas au rendez-vous. Nous acceptons ce système, car c'est notre métier de savoir à quel prix commercialiser les produits. Résultat : les ventes n'ont pas baissé. Au contraire, elles ont continué à augmenter et nous avons reconstitué nos marges.

En France, il faut vendre toujours moins cher. Du coup, nous ne parvenons pas à valoriser les produits, ce qui constitue un véritable frein à la transformation alimentaire. Or cette transformation, il faut la financer d'une manière ou d'une autre. Nous ne demandons de l'argent à personne, nous voulons juste que notre organisation, notre innovation et notre performance nous permettent de proposer des produits accessibles. Mais encore faut-il qu'on nous laisse fixer nos tarifs.

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