Intervention de Yves Struillou

Réunion du mercredi 20 juin 2018 à 18h05
Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

Yves Struillou, directeur général du travail :

Il y a aussi la question du fonctionnement des CRRMP, notamment sous l'angle de la présence des médecins inspecteurs, qui se heurte à un problème de nombre et de limites physiques.

Faudrait-il que l'ANSES donne, en quelque sorte, des lignes directrices ? Je pense que l'on a besoin d'un travail à plusieurs. S'agissant des risques psychosociaux (RPS), la direction générale du travail et celle de la sécurité sociale, qui sont les autorités de tutelle, ont demandé par une instruction de 2012 que l'on prenne en compte non pas un taux consolidé, car c'est assez difficile, mais un taux prévisible, ce qui a permis d'améliorer la prise en charge. L'ANSES a un rôle à jouer, notamment pour la prise en compte de pathologies hors tableaux ou faisant l'objet d'une discussion scientifique, mais elle ne doit pas jouer un rôle exclusif.

Par ailleurs, le fond du problème reste l'actualisation des tableaux de maladies professionnelles. La grande question qui se pose est celle de la création d'un tableau pour le burn-out. Je pense que c'est totalement incompatible avec la logique des tableaux de maladies professionnelles, même si elle peut être contestée. Les tableaux reposent en effet sur une liste de métiers, soit indicative soit limitative. Or tous les métiers seraient concernés : une pathologie de ce type peut frapper, par exemple, vos propres collaborateurs, ou vous-mêmes. Quel serait donc l'intérêt d'un tableau ? C'est plutôt du côté des lignes directrices ou d'un dispositif ad hoc de prise en charge que l'on doit agir.

En ce qui concerne le suivi des expositions, il faut tirer les leçons de l'expérience des fiches individuelles, qui ont d'abord concerné les produits chimiques. Croire que l'on va résoudre le problème de la traçabilité par des fiches d'exposition me paraît une erreur de diagnostic. Il faut une traçabilité mais, à mon sens, elle doit être intégrée dans la démarche d'évaluation des risques professionnels mise en oeuvre par l'employeur, faute de quoi on manquera l'objectif. Cela doit faire partie des risques à évaluer : il faut réaliser un inventaire des postes de travail qui conduisent à une exposition. L'évaluation des risques devant être actualisée de manière permanente, en fonction des produits nouveaux, je pense que c'est le bon vecteur. Il faut un couplage avec la fiche d'entreprise et la connaissance que doit avoir l'équipe pluridisciplinaire réunie autour du médecin du travail. En clair, la fiche d'entreprise élaborée par le service de santé au travail doit comporter la liste des produits, ce qui permet un recoupement. La troisième clef est le partage d'informations sur le dossier médical du patient salarié. On ne résoudra pas tout de cette manière, mais il me semble que ce sont les trois clefs à utiliser, plutôt qu'une fiche individuelle d'exposition. Celle-ci est extrêmement difficile à manier, sauf dans les grandes entreprises mais le problème de la traçabilité des expositions se pose davantage dans les TPE.

J'ai participé, dans ma jeunesse, à la mise en place des CHSCT, à partir de 1983. La France était alors une grande puissance industrielle. La catastrophe de Liévin, aux Charbonnages de France, datait de quelques années. Elle avait fait plusieurs dizaines de morts, et nous étions traumatisés par ce très grave sinistre. Il fallait une institution dédiée pour mettre le pied à l'étrier. J'ai le souvenir de réunions où nous passions en revue, dans le détail, toutes les déclarations d'accidents du travail. Cet exercice était réalisé en commun avec le médecin du travail et l'ingénieur de prévention. Notre pays a évolué, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a plus d'accidents ni de pathologies du travail, mais les effets du droit sont très forts. Les CHSCT sont montés en puissance et, à un moment donné, il y a eu une confusion et parfois une distanciation. Il y avait une confusion lorsque les CHSCT se prenaient pour des comités d'entreprise, en demandant les mêmes informations et en voulant avoir la même voix au chapitre qu'eux, ce qui posait un problème car on dupliquait les informations et les consultations sur un même sujet. Une telle réitération n'a jamais été corrélée à l'efficacité de la prévention. Quid, ensuite, lorsqu'il y avait des projets de dimension nationale à appliquer ? Ce n'est pas qu'il n'aurait pas fallu que l'instance pertinente au niveau de l'établissement se saisisse de la mise en oeuvre, mais on s'exposait à des processus de décision extrêmement longs, parfois parsemés de contentieux judiciaires à répétition, ce qui éloignait le CHSCT de sa mission première, qui est d'agir sur les conditions de travail.

J'ai eu la possibilité de visiter l'usine Renault de Flins, où une expérience sur la qualité du travail est menée depuis plusieurs années par le professeur Yves Clot, avec l'appui de la direction et des organisations syndicales. Cet établissement n'était pas dépourvu, loin de là, de toute représentation ; il y avait même tout : des délégués du personnel, des délégués syndicaux et un CHSCT. Néanmoins, des questions très triviales de conditions de travail et de qualité du travail n'étaient pas prises en compte. La direction a confié une expérience au professeur Clot, sur la base d'un cahier des charges : sur une chaîne, les travailleurs élisent un délégué qui n'est pas nécessairement un délégué syndical, mais qui va discuter avec la maîtrise de tout ce qui ne va pas, et la maîtrise doit ensuite répondre, selon un calendrier de travail. Les sujets abordés vont du nombre de pas pour aller chercher une pièce qui n'est pas à proximité au fait que l'on cale souvent les fenêtres latérales d'un véhicule à grands coups de coude. Tous les feux orange s'allumaient dans l'établissement : des arrêts de travail, des inaptitudes, de l'absentéisme, des grèves perlées, plus ou moins, et une qualité désastreuse. Le chef d'entreprise a fait ses calculs. Je ne dirais pas que tout est rose maintenant – je pense notamment à des conflits sur la question des intérimaires – mais on a au moins donné aux salariés la possibilité de s'exprimer de manière utile et efficace sur les conditions de travail et les gestes. C'est le seul point sur lequel je compléterais le plan « Santé au travail » pour une quatrième édition – le PST4 : il faut lier la qualité de vie au travail et la qualité du travail. Nous avons besoin d'une vision globale.

Je voudrais vous donner un autre exemple, tiré de ce que j'ai vu chez Michelin : vous avez un travailleur âgé qui, à 50 ou 55 ans, a des problèmes de dos, ne dort pas très bien, prend des médicaments et ne supporte plus le travail en trois-huit. Comment traiter la question ? Doit-on le faire par le biais des délégués du personnel ? C'est une question individuelle. On se demande alors s'il y a inaptitude ou non, et reclassement ou non. Si on traite la question sous l'angle exclusif du CHSCT, on raisonne en termes d'organisation du poste – peut-on le conserver et dans quelles conditions ? Mais on peut aussi se placer dans une perspective globale, qui est celle de la stratégie de l'entreprise et de son organisation. C'est là que doit se situer le vrai débat. L'organisation ne doit-elle pas être modifiée pour permettre à la personne de rester au travail, en prévenant ce que l'on appelle aujourd'hui la désinsertion professionnelle, grâce à une action en amont ? Dans l'entreprise dont je vous parle, l'organisation mise en place était responsabilisante. Elle a permis, par un accord entre les salariés, de recaser la personne dans une équipe de jour. La matrice des conditions de travail se trouve dans l'organisation du travail.

Permettez-moi de reprendre ce qu'a écrit Hervé Lanouzière, ancien directeur général de l'ANACT, dans un article que j'ai apporté avec moi : nous avons besoin d'une vision stratégique dans laquelle la question des conditions de travail est posée immédiatement, et non dans un second temps, lorsqu'il y a un projet de réorganisation, industrielle ou autre. Cela correspond à ce que demandait Mme Pénicaud dans son rapport : à tout projet de réorganisation doit être associé un volet humain, touchant aux conditions de travail. Nous avons beaucoup de progrès à faire dans ce domaine.

Cela présente des risques, notamment celui de voir la santé au travail passer au second rang. Mais je pense que cela risque déjà d'arriver, comme le montre l'exemple de Flins, et je rappelle que le législateur a prévu des représentants de proximité. Par ailleurs, les entreprises ont la capacité de maintenir des commissions « santé au travail » et de leur donner des moyens. Il y a le standard fixé par la loi, mais aussi l'accord collectif. Certains accords, comme celui de PSA sur la mise en oeuvre du CSE, donnent des moyens aux représentants de proximité. L'enjeu est de revenir vers le terrain, vers ce qui constitue la matrice des conditions de travail, c'est-à-dire le travail réel, en faisant le lien avec une vision plus stratégique, de telle manière que les questions de santé au travail ne soient pas sous-traitées à une instance spécialisée. Rappelons que la fonction est maintenue : c'est sur l'organe que porte la question. Parfois, quand on estime qu'il n'assume plus sa fonction, ou pas de manière pertinente, il faut en changer, au moyen d'une reconfiguration. L'institution sera ce que les acteurs en feront. L'idéal serait que, à l'occasion d'un projet, le patron du CSE soit interpellé sur la culture de prévention du management, par exemple, et que des réponses soient apportées. On aura alors fait des progrès.

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