Intervention de Stéphane Pénet

Réunion du mercredi 30 mai 2018 à 16h00
Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Stéphane Pénet, directeur des assurances de dommages et de responsabilité de la Fédération française de l'assurance (FFA) :

Merci pour cette invitation. Si je comprends bien, nous allons commencer par parler de l'ouragan Irma, et nous élargirons ensuite le débat.

L'ouragan Irma est tout à fait inédit dans l'histoire de l'assurance, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, par sa violence. Les assurances ont rarement eu à indemniser des biens ayant subi de tels dommages. Je me suis rendu trois fois sur l'île de Saint-Martin et j'ai été immédiatement frappé par la violence des destructions. Lorsque des tempêtes ont frappé la métropole, telles que Klaus, Quentin ou Xynthia, les dommages étaient certes très importants, mais 80 % d'entre eux étaient de petits dommages : des toitures envolées, des vitres brisées. À Saint-Martin, le taux de destruction est extrêmement élevé, ce qui est tout à fait inédit.

La deuxième caractéristique de l'ouragan Irma est qu'il est intervenu en milieu insulaire. Or l'île de Saint-Martin – et puisque vous vous y êtes rendus, vous avez pu constater que son cas était bien différent de Saint-Barthélemy et qu'il concentrait le plus grand nombre de difficultés – n'a pas la capacité intrinsèque de gérer administrativement un tel montant de sinistres. Elle ne dispose pas non plus des ressources locales pour engager la reconstruction. Il faut tout faire venir de Guadeloupe, de Martinique ou de métropole. En 2016, les inondations du centre de la France étaient bien plus simples à gérer sur le plan logistique.

Autre particularité de Saint-Martin, que vous avez sans doute notée également, le principal port d'arrivage et l'aéroport ne se trouvent pas dans la partie française de l'île, mais à Sint Maarten, dans la partie hollandaise. Le fait que ces infrastructures ne soient pas sous l'autorité de la collectivité d'outre-mer ou de l'État français pose évidemment des problèmes.

La troisième caractéristique de l'ouragan Irma est qu'il a frappé un territoire dans lequel 50 % des gens n'étaient pas assurés, ce qui là aussi était totalement inédit. Je rappelle qu'en métropole, le taux de souscription à l'assurance habitation s'élève à 98 % de la population, soit seulement 2 % de personnes qui ne sont pas assurées, contre une sur deux à Saint-Martin.

Les habitations du centre de l'île se trouvent dans des communes plutôt pauvres et n'étaient pas assurées pour la plupart lors de l'ouragan. Sur le littoral, les très nombreuses copropriétés appartiennent à des copropriétaires qui, pour beaucoup, ne sont pas présents sur l'île. Du fait de l'importante politique de défiscalisation appliquée à Saint-Martin, un grand nombre de personnes ont investi dans ces appartements, parfois sans même le savoir. Elles ont confié l'entière gestion de ces biens immobiliers à des syndics. Les appartements sont loués soit à des touristes, soit à des fonctionnaires ou des commerçants qui vivent sur l'île. Pour ce qui nous concerne, nous sommes essentiellement intervenus dans ces copropriétés.

Ce qui m'amène à la quatrième caractéristique de l'ouragan Irma. À Saint-Martin, la présence de ces nombreuses copropriétés a posé d'énormes problèmes aux assureurs. Juridiquement, il a été extrêmement compliqué d'avancer dans le processus d'indemnisation. Les syndics de copropriété ont été débordés par l'événement et dû gérer des situations extrêmement difficiles. Leurs fichiers ayant été détruits, ils étaient dans l'incapacité d'identifier les propriétaires de certains appartements. L'un de ces syndics, parmi les plus importants de Saint-Martin, est au bord de la faillite et en cours de rachat par une société canadienne. Les copropriétaires présents sur place, estimant que leur sécurité n'est pas garantie, lui ont interdit de traiter à leur place.

Tel est le contexte dans lequel les assureurs ont dû intervenir.

Aujourd'hui, la situation est la suivante : 90 % des sinistrés assurés ont reçu soit une provision, soit un règlement total, ce qui est à peu près la norme pour ce type d'événement. Nous suivons les chiffres semaine après semaine et nous les comparons au rythme d'indemnisation d'autres événements importants, tels que la tempête Xynthia, les inondations de juin 2016, les inondations des Alpes-Maritimes en 2015 ou les inondations du Var en 2010.

Pour le nombre de biens partiellement indemnisés, nous sommes à peu près dans les clous. Nous avons rattrapé notre retard initial six mois après l'événement. En revanche, pour le montant de l'indemnisation, la situation n'est pas aussi avancée. Je vous rappelle que nous estimons aujourd'hui à 2 milliards d'euros le montant des dégâts assurés sur les deux îles, selon la répartition suivante : 1,164 milliard d'euros pour Saint-Martin et 840 millions d'euros environ pour Saint-Barthélemy. La semaine dernière, soit neuf mois après l'ouragan, nous avions réglé 46 % de ce montant. Ce résultat, pour le coup, nous situe très en-deçà de notre taux d'indemnisation habituel neuf mois après un tel événement, soit 70 %.

L'explication de ce retard, je vous l'ai donnée en partie. Tout d'abord, nous avons pris du retard dès l'origine, puisque pendant trois semaines aucun expert n'a pu mettre les pieds sur l'île de Saint-Martin. Ensuite, comme je vous l'ai expliqué, la question des copropriétés nous a posé d'énormes problèmes.

Un exemple. Après s'être entendu avec son assureur sur le montant de l'indemnisation, un syndic doit convoquer une assemblée générale extraordinaire des copropriétaires pour faire approuver ce montant, avec un quorum suffisant, sous peine d'une contestation éventuelle de l'un des copropriétaires. Or, il est particulièrement compliqué d'organiser une telle réunion avec des copropriétaires pour beaucoup en métropole ou qui ne se sont même pas manifestés après le sinistre.

Deuxième exemple. Les expertises sont réalisées sur la base de devis d'artisans. À Saint-Martin, ces derniers ont été complètement débordés par les demandes et les devis n'arrivent pas.

Le troisième exemple concerne la reconstruction. Une fois l'accord trouvé sur le montant expertisé, de nombreux assureurs versent 70 % du montant au titre de l'indemnité immédiate et attendent de recevoir les factures pour verser les 30 % restants, ce qui implique que les travaux aient été effectués. Là encore, les factures ne rentrent pas. Les artisans locaux n'ont pas les moyens de répondre à cet énorme appel d'air que représente la reconstruction de l'île de Saint-Martin. Il n'y a pas que le problème des artisans. Il y a aussi celui des matériaux, qui n'arrivent pas sur l'île ou qui sont parfois bloqués au port de Sint Maarten. Pour des raisons administratives fort compliquées, ils ne sortent pas du port. Bref, on cumule un nombre impressionnant de déboires.

Qu'a fait la FFA après le passage de l'ouragan Irma ? Elle a rapidement mis en place deux cellules de gestion. La première, locale, permet de suivre la situation de l'île au quotidien et de régler les problèmes de manière collective. Nous sommes en contacts réguliers avec les experts et les assureurs sur place. La seconde réunit les patrons des maisons-mères, généralement à Paris, ce qui permet d'accélérer un certain nombre de procédures.

Nous sommes, par ailleurs, en lien permanent avec le préfet Philippe Gustin, délégué interministériel à la reconstruction des îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. M. Gustin a été, je veux le souligner, d'une grande efficacité pour nous aider à régler les difficultés sur place. Lorsque nous peinions à récupérer les titres de propriété ou les « K-bis » des commerçants, il est intervenu auprès de la préfecture pour accélérer les choses. Je veux tout particulièrement saluer le travail qui a été le sien.

Autres mesures prises par la Fédération, nous avons instauré un suivi hebdomadaire de l'évolution des sinistres et nous nous sommes rendus à cinq reprises à Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Le président de la FFA, M. Spitz, a accompagné M. Macron juste après l'événement, et j'ai personnellement accompagné le Premier ministre, ainsi que Mme Girardin. Nous sommes également retournés dans les îles entre assureurs, pour faire le point avec les artisans, les syndics de copropriété et les chambres de commerce locales, et tenter de dénouer les problèmes qui se posaient. Une nouvelle délégation est partie aujourd'hui même pour une visite de trois jours afin de rencontrer à nouveau les assureurs neuf mois après l'événement.

Voilà globalement quelle est la situation. Il m'est difficile de dire à quel moment elle pourra être définitivement réglée car je n'ai pas de visibilité sur la manière dont vont évoluer certains paramètres. De nombreux commerçants ont vu leur magasin totalement détruit et ne savent toujours pas s'ils vont continuer leur activité sur place. L'indemnité que les assurances leur verseront dépendra évidemment de cette décision. Les propriétaires de maisons particulières ne savent pas non plus s'ils vont rester à Saint-Martin. Ils attendent la révision des plans de prévention des risques naturels pour savoir s'ils pourront satisfaire aux nouvelles normes et reconstruire sur place.

Nous mettons tout en oeuvre actuellement pour que les choses avancent. Il n'est pas impossible que le montant de 2 milliards d'euros de dégâts estimé pour les deux îles finisse par diminuer.

Quand un commerce est détruit, un assureur provisionne un montant correspondant à la réparation du local commercial, mais aussi à la perte d'exploitation subie par le commerçant. Si ce dernier ne reprend pas son activité, l'assureur n'est pas tenu de lui verser le montant correspondant à cette perte d'exploitation. C'est l'une des raisons pour lesquelles ce montant de 2 milliards d'euros pourrait finalement diminuer.

Il existe, par ailleurs, un grand nombre de copropriétés pour lesquelles nous n'avons aucune information de la part des sinistrés. Nous savons simplement qu'ils sont assurés chez nous, mais, à ce jour, ils ne se sont toujours pas manifestés et ne nous ont pas déclaré leur sinistre. Nous avons placé une provision moyenne, statistique, dans nos comptes, mais elle pourrait bien être revue à la baisse, là aussi.

Pour ces deux raisons, il est probable que le montant des dégâts assurés sur les deux îles sera finalement moins élevé. À titre personnel, je pense qu'il devrait diminuer de 5 % à 10 %.

Outre les dommages causés par l'ouragan Irma, les territoires d'outre-mer sont confrontés à des problèmes plus globaux. Les assureurs sur place ne sont pas très nombreux. Ils sont au nombre de cinq : Allianz ; Generali ; Nagico, une société d'assurance hollandaise de Sint Maarten ; Groupama, présent surtout à Saint-Barthélemy et moins à Saint-Martin ; Ocealiz, un courtier qui travaille pour la Caisse d'assurance meusienne, basée à Bar-le-Duc. La MAIF est également représentée outre-mer.

Vous m'aviez demandé les chiffres des sinistres par assureur. Je ne peux malheureusement pas vous communiquer cette information qui ne relève pas de la compétence de la Fédération.

Historiquement, les principaux assureurs présents outre-mer sont Generali et Allianz. Ils ne sont pas nombreux... Pourquoi les grosses sociétés d'assurance de la place française telles qu'Axa et Covea ne sont-elles pas implantées dans ces territoires ? Parce qu'elles les jugent trop vulnérables. Allianz et Generali ont réaffirmé leur intention d'y rester quoi qu'il arrive. Il fait peu de doute néanmoins que ces assureurs se posent des questions, tout comme Groupama. Un tel ouragan peut tout à fait se reproduire dans deux mois. La capacité des assureurs à assurer des territoires aussi exposés est en jeu.

Tout dépendra aussi de la façon dont Saint-Martin veut se reconstruire. La résilience de l'île fait aujourd'hui l'objet d'une importante discussion dans le cadre de sa reconstruction. Cette résilience va coûter de l'argent. Or, les assureurs sont là pour reconstruire à l'identique. Si l'on veut reconstruire plus résilient, cela risque de coûter plus cher. Existe-t-il localement des moyens pour reconstruire plus cher ? Par ailleurs, les normes de résilience actuelles sont-elles suffisantes pour faire face à des risques élevés ?

Je rappelle qu'il y a eu, pendant l'ouragan Irma, des vents à 340 kilomètres par heure. Comme je le dis souvent, cela revient à se mettre debout sur un TGV. C'est ce qu'ont subi les habitants de Saint-Martin ! Généralement, les normes anticycloniques européennes fixent le niveau de résistance des constructions à des vents maximum de 250 kilomètres par heure. Pour des vents de 340 kilomètres par heure, aucune norme n'existe actuellement.

Selon moi, l'île de Saint-Martin doit se remettre en position de pouvoir affronter des cyclones classiques, avec des vents entre 250 et 260 kilomètres par heure. L'ouragan Irma était tout à fait exceptionnel, il faut le reconnaître. Les assureurs seront évidemment très vigilants quant aux normes qui seront appliquées pendant la reconstruction : elles décideront de leur capacité ou non à assurer l'île. Permettez-moi d'être très clair sur ce point, car il faut dire les choses comme elles sont. On ne peut pas aujourd'hui assurer contre un phénomène qui n'est plus un aléa. Il est donc nécessaire que soient clarifiés les objectifs que se donne l'île en matière de résilience de la construction.

De manière plus générale, si on compare cet ouragan à d'autres événements climatiques majeurs en termes de coûts pour l'industrie de l'assurance, Irma est numéro deux sur le podium des sinistres naturels depuis 1982, c'est-à-dire depuis que le régime d'assurance des catastrophes naturelles existe. La première place revient aux tempêtes Lothar et Martin de 1999. On était alors très loin au-dessus puisqu'elles ont coûté 7 milliards d'euros aux assureurs, contre 1,8 milliard d'euros pour Xynthia et 1,8 milliard d'euros également pour les inondations de juin 2016.

Irma a constitué un événement extrêmement important, sur un territoire extrêmement réduit. Les coûts moyens que nous voyons dans les sinistres à Saint-Martin sont cinq à six fois plus élevés que ceux que nous avons constatés par ailleurs. Au bout du compte, le nombre de sinistrés est relativement faible si l'on compare à d'autres catastrophes naturelles, mais les coûts moyens sont absolument inédits du fait de la destruction totale des bâtiments.

Vous suggériez, madame la députée, que les assureurs avaient sans doute réfléchi à la question de l'évolution du climat. Le fait que celui-ci pèse de plus en plus lourd dans l'activité des assureurs est une réalité. C'est pourquoi nous avons lancé en 2015, lors de la 21e Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP 21), une réflexion sur l'impact du climat pour notre secteur, non pas à un horizon de deux ou trois cents ans, comme les experts climatologues, mais, de manière plus audacieuse, à l'horizon 2040. Cette étude, qui se limite à la métropole, a été menée de manière très sérieuse avec des laboratoires extérieurs et en particulier avec le laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de M. Jean Jouzel, membre du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). S'appuyant sur des modèles climatiques et économiques, l'étude conclut, au terme de cinq cents pages, que le coût des dommages causés par les aléas naturels sera multiplié par deux en métropole au cours des vingt-cinq prochaines années.

Une partie de cette hausse s'explique par l'augmentation naturelle des richesses et paraît donc normale. En revanche, dès l'horizon 2040, 20 % de cette augmentation devrait relever de l'intensification des aléas naturels, avec deux périls particulièrement dynamiques en métropole.

Le premier, curieusement, est la sécheresse. D'après les modèles du laboratoire de M. Jouzel et nos extrapolations en termes de dommages et d'assurance, c'est elle qui engendrera la croissance la plus élevée des sinistres dans les prochaines années. La sécheresse provoque à la fois un effet sur les maisons – le gonflement et le retrait des sous-sols entraînent des fissures dans les maisons, voire leur écroulement - et sur les récoltes des agriculteurs.

Le second péril le plus dynamique est la submersion marine. L'inondation restera un risque majeur à l'avenir dans notre pays au regard des montants financiers en jeu, mais, sur le plan dynamique, la sécheresse et la submersion marine domineront.

S'agissant de la submersion marine, en réalité, depuis vingt-cinq ans, nous n'en avons connu qu'une qui a eu des dégâts malheureusement dramatiques, mais aussi très coûteux : Xynthia. En métropole, il y a environ vingt-cinq à trente submersions marines par an, mais elles sont de taille réduite. Elles endommagent des cabanons, quelques maisons, et l'on en parle peu. Avec un niveau de la mer plus élevé de 50 à 60 centimètres, ces mêmes submersions pourraient avoir des effets dévastateurs et des enjeux économiques particulièrement élevés pour notre pays, où les zones de forte croissance se concentrent à proximité des rivières et des zones littorales. À terme, les submersions marines pourraient donc représenter un sujet très important pour l'assurance.

Nous avons conclu de notre étude de 2015 sur l'évolution du climat que la seule variable d'ajustement face à ce phénomène est la prévention, en particulier dans les domaines de la protection et de l'aménagement du territoire. Nous avons formulé des propositions très concrètes en ce sens afin de faire évoluer le régime d'assurance des catastrophes naturelles. Nous estimons que ce régime est relativement efficace en France, même s'il doit être aménagé ici ou là. En revanche, les politiques de prévention doivent s'accélérer et s'intensifier.

Nous voyons trop souvent, quand nous indemnisons une commune, des plans de prévention qui certes ont été prescrits, mais qui n'ont pas été mis en place. Nous voyons trop souvent des plans communaux de sauvegarde qui n'ont pas été dictés alors qu'ils auraient dû l'être. Nous voyons trop souvent des zones industrielles ou commerciales inondées parce qu'aucune étude préalable sur les effets de ruissellement n'a été menée. Il y aurait, en un mot, beaucoup à faire pour améliorer les politiques de prévention dans notre pays.

Outre des documents d'information relatifs à l'ouragan Irma, j'ai apporté à votre intention plusieurs exemplaires de notre étude sur le climat. Ses principales conclusions sont résumées dans un fascicule que nous mettons également à votre disposition.

Tels étaient les éléments que je souhaitais vous communiquer en tant qu'assureur. Je suis prêt maintenant à répondre à vos questions.

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