Intervention de Michel Fanget

Réunion du mercredi 11 juillet 2018 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Fanget, rapporteur :

En préambule, je dois vous remercier Mme la présidente, de nous avoir engagés dans une mission aussi passionnante. Pour ma part, je ne connaissais le nucléaire qu'à travers mon métier de cardiologue, qui a recours aux radio-isotopes. En France, nous débattons assez peu de l'arme nucléaire, depuis que les dirigeants de la IVème République puis le général De Gaulle nous ont engagés dans cette voie.

Nous avons vécu, au cours de notre mission, des moments d'émotion intense, notamment lorsque nous sommes allés sur le sous-marin nucléaire lanceur d'engins Le Triomphant, sur la base de l'Île Longue. Le contre-amiral Lecoq, qui nous a fait visiter cette base, me confiait que les Américains trouvaient que nous avions là « un bijou ». J'ai aussi ressenti une vive émotion en pénétrant que le quartier général de la dissuasion nucléaire à Balard, après avoir passé deux ou trois sas qui m'ont donné l'impression que cet endroit était mieux gardé que la réserve d'or de la Banque de France. Emotion enfin, sur la base des Forces aériennes stratégiques, à Saint-Dizier, face à ces pilotes de 25 à 30 ans, qui sont d'ailleurs partis quelques semaines plus tard en Syrie. A Vienne, nous avons découvert le coeur du contrôle nucléaire international, avec l'AIEA, et à Genève, nous avons pu poursuivre notre enquête auprès de la Conférence de désarmement.

Aujourd'hui, nous avons le plaisir de vous nous présenter le fruit des 6 mois de travaux de notre mission d'information. Le sujet sur lequel nous avons travaillé est en réalité très évolutif. Nous avons commencé notre rapport alors que la tension était maximale entre la Corée du nord et les États-Unis, vous l'avez rappelé, Mme la Présidente. Et nous concluons nos travaux après une rencontre historique entre les dirigeants américain et nord-coréen, alors qu'on parle de paix sur la péninsule.

J'ajoute qu'en 2017 a été adopté, à une très large majorité des Etats de l'ONU, un Traité sur l'interdiction des armes nucléaires (le TIAN) qui, pour la première fois, remet en question la légitimité même de la possession de ces armes par les puissances nucléaires.

Bref, il était plus que nécessaire de faire le point sur les enjeux liés à l'arme nucléaire dans le monde. La Présidente l'a rappelé, nous avons rencontré de très nombreuses personnes, en particulier des ambassadeurs étrangers, mais aussi la société civile, des d'experts, des responsables gouvernementaux, des militaires, etc.

Je dois dire qu'au fur et à mesure de nos auditions et déplacements, nous avons pu mesurer toute la complexité de ce sujet pour la puissance nucléaire que nous sommes.

En France, l'arme nucléaire est souvent perçue comme une garantie d'indépendance nationale et de sécurité existentielle, un facteur de puissance donnant à la France une réelle assise stratégique dans le monde, une ambition nationale structurante tirant vers le haut notre outil de défense et notre base industrielle et technologique.

Et pourtant, à l'échelle du monde, l'existence de l'arme nucléaire, c'est le privilège de quelques-uns, c'est la tentation permanente de la prolifération, c'est le spectre de la guerre nucléaire et de la destruction de l'humanité, si elle venait à être utilisée.

Pour défricher un peu ces enjeux, nous aborderons trois grands sujets. D'abord, nous reviendrons sur ce qu'est le traité de non-prolifération nucléaire signé en 1968, et sur son impact depuis 50 ans. Ensuite nous ferons le point sur la situation de l'arme nucléaire dans le monde d'aujourd'hui. Pour finir, nous vous exposerons nos questionnements et nos pistes de réflexion pour l'avenir, sachant que mon collègue et moi avons tous deux estimé, au-delà de nos différences politiques, qu'il était urgent de se recentrer sur l'un des objectif du TNP, qui est celui du désarmement nucléaire.

Le traité de non-prolifération nucléaire – ou TNP – est au coeur de notre mission d'information ; il est aussi au coeur de la gouvernance internationale de l'arme nucléaire depuis 50 ans. Il nous semble donc utile de revenir sur ce qu'est ce traité.

Pour cela, il faut se projeter en 1967. A cette époque, nous sommes en pleine guerre froide, les Etats-Unis et l'URSS ont la capacité mutuelle de se détruire grâce à leurs arsenaux nucléaires. La crise de Cuba, en 1962, a d'ailleurs rappelé le risque réel d'une escalade nucléaire. Trois autres pays ont l'arme nucléaire : le Royaume-Uni, qui avait contribué au projet Manhattan ayant donné naissance à l'arme américaine ; la Chine, qui a fait son premier essai en 1964 ; et la France, qui a fait de la possession de l'arme nucléaire un gage d'indépendance nationale à partir des années 1950, projet qui a abouti en 1960, sous le Général De Gaulle, qui en a fait une priorité politique et budgétaire absolue.

Il se trouve que ces 5 puissances nucléaires sont aussi les 5 membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, ce qui n'est pas sans poser problème sur le plan des équilibres internationaux, nous le verrons.

Que dit le TNP, conclu en 1968 ? Que ces 5 puissances nucléaires dotées avant 1967 sont les seules à avoir le droit de posséder la bombe atomique. Les autres s'engagent à ne jamais l'acquérir. Son objectif prioritaire est donc d'empêcher une prolifération nucléaire incontrôlée.

Quel est l'intérêt des puissances non dotées à le ratifier ? Premièrement, la prolifération nucléaire met en danger toute l'humanité. Et deuxièmement, le traité prévoit des compensations pour les Etats qui renoncent à l'arme nucléaire. Ils se voient garantir un accès facilité aux applications pacifiques de l'atome à condition de soumettre leurs installations à des contrôles de l'Agence internationale de l'énergie atomique, l'AIEA.

Et par ailleurs, en vertu de l'article VI du TNP, les puissances nucléaires s'engagent « à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace ».

En somme, le TNP est un traité profondément inéquitable, censé satisfaire des exigences plus hautes de sécurité internationale ; mais cette inéquité à vocation à se résorber grâce à des mesures de désarmement nucléaire.

50 ans après, peut-on penser que ce traité a fonctionné ? On peut déjà observer qu'il est parvenu à rallier presque tout le monde : sur les 192 Etats de l'ONU, 188 sont membres du TNP, et s'engagent donc, en dehors des 5 Etats dotés, à ne pas chercher à acquérir d'arme nucléaire.

Les 4 Etats non membres du TNP sont aussi ceux qui ont développé l'arme nucléaire depuis 1968 : Inde, Pakistan, Israël (officieusement, même si tout le monde le sait) et Corée du Nord. Pour le reste, il y a eu plusieurs crises de prolifération qui ont pu être surmontées dans le cadre du TNP : Afrique du Sud, Brésil, Argentine, Irak, Libye notamment.

Est-ce que le TNP a progressé vers son objectif de désarmement nucléaire ? Sur le plan quantitatif, incontestablement, oui. Il y avait environ 70.000 ogives nucléaires dans le monde dans les années 1980, il en reste environ 15.000 aujourd'hui. Cette réduction est essentiellement liée à la mise en oeuvre de traités de désarmement bilatéraux entre les Etats-Unis et la Russie, qui détiennent l'écrasante majorité du stock d'armes mondial. Le Royaume-Uni et la France ont également réduit le nombre et la taille de leurs composantes nucléaires.

Mais force est de constater que d'autres puissances, Inde, Chine et surtout Pakistan, ont augmenté leurs arsenaux ; que le stock d'armes mondial reste largement plus que suffisant pour détruire la planète ; et que les armes et vecteurs ont aujourd'hui de meilleures performances techniques, notamment en termes de pénétration et de précision.

Et quand on considère les dynamiques actuelles, on n'a pas vraiment l'impression d'être dans un mouvement de désarmement nucléaire.

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