Intervention de Guillaume Larrivé

Séance en hémicycle du lundi 25 septembre 2017 à 16h00
Sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Larrivé :

J'ai été élu député en 2012, quelques semaines après l'irruption d'un nouveau terrorisme islamiste sur le sol français, avec les assassinats de militaires et la tuerie de l'école Ozar-Hatorah de Toulouse, commis par Mohammed Merah. Les années qui suivirent ont été scandées, hélas ! par des attentats toujours plus meurtriers : 239 morts, des enfants, des femmes, des hommes arrachés à la vie ; des blessés par centaines, mutilés à jamais dans leur chair et leur âme. La France a pleuré des larmes de sang, et la tragédie nous oblige, non pas seulement à l'émotion, certes légitime et toujours présente, mais surtout à un devoir d'action, réfléchi et résolu.

Car notre génération n'avait pas connu le temps des grands malheurs, que l'on croyait enfouis dans le passé ou relégués dans des contrées lointaines. Nous vivions dans l'illusion postmoderne de la paix perpétuelle. Nous étions encore dans l'enfance lorsque le mur de Berlin s'était effondré. Nous avions grandi en croyant vivre la fin de l'histoire. La démocratie s'étendait partout en Europe. Le marché ouvrait de nouvelles opportunités. La mondialisation, croyions-nous, était sans doute heureuse. Nous étions là, présents au monde, sans savoir que nous pouvions ne plus y être. Mais l'histoire s'est rappelée à nous. La tragédie n'avait pas disparu. Elle a surgi dans nos vies, avec le visage de notre ennemi. Un siècle après Paul Valéry, « nous voyons maintenant que l'abîme de l'histoire est assez grand pour tout le monde » ; à notre tour, au bord du précipice, « nous sentons qu'une civilisation a la même fragilité qu'une vie ».

Car un ennemi, oui, nous a déclaré une guerre totale. Cet ennemi, les plus hautes autorités de l'État ont tardé à le nommer et à le regarder pour ce qu'il est : c'est l'islamisme armé, le djihadisme, qui veut détruire, par les moyens de la terreur, nos sociétés démocratiques. Le continent européen est une cible, et la France plus encore, parce que nous incarnons tout ce que l'ennemi islamiste veut abattre : les droits de l'homme et du citoyen, la liberté de pensée et d'expression des personnes, l'égalité entre les femmes et les hommes, la laïcité et, au fond, un art de vivre, une certaine idée de la civilisation. La nation française est une cible, la République française est une cible, parce qu'elles sont totalement et définitivement incompatibles avec le projet pan-islamiste qui prétend édifier un califat mondial.

Parce que nous aimons la France, nous ne devons rien céder à ceux qui veulent nous soumettre, par la terreur, à un nouvel esclavage. Parce que nous voulons que la France reste la France, nous ne devons rien céder à Abou Bakr al-Baghdadi, le tueur autoproclamé du calife du pseudo-État islamique. Parce que nous sommes français et que nous voulons le rester, nous ne devons rien céder à Ayman al-Zawahiri, le chef des assassins d'Al-Qaïda. Nous ne devons rien céder à ces individus qui, par milliers, sur le sol national, dans tous les territoires de France, ont prêté allégeance à l'ennemi et collaborent avec lui. Nous ne devons rien céder à ces nouveaux barbares.

Si nous voulons vraiment que la France reste la France, nous devons réussir l'union de tous les Français libres – les Français venus d'ici, les Français venus d'ailleurs, les Français qui croient au ciel et ceux qui n'y croient pas, tous les Français fédérés, dans leur diversité, par l'amour de la France et de nos libertés. Mais ce rassemblement ne saurait se limiter à des manifestations aimables, des pétitions de principe, des tweets compassionnels ou des généralités polies. Aucun peuple, jamais, n'a gagné une guerre avec des bougies. C'est pourquoi nous plaidons pour un réarmement de la nation, dans toutes ses dimensions.

Un réarmement culturel, d'abord, qui affirme la volonté de conserver la nation et de préserver notre art de vivre, un capital précieux qui nous a été légué et qu'il nous revient de transmettre en ayant conscience à la fois de sa force et de sa fragilité. Nous pensons, nous, qu'il y a bien une culture française. Nous sommes fiers de ce trésor vivant dont nous avons hérité, et nous n'avons pas à nous excuser de vouloir le protéger et le faire grandir. La question de l'éducation est, à cet égard, centrale, puisque c'est dans les jeunes années que commencent à se former la conscience civique et la capacité à assumer les devoirs patriotiques : nous devons en finir avec l'idéologie de la déconstruction, qui, loin d'enseigner l'amour de la France, a semé les germes de la défiance, du ressentiment et parfois de la haine de soi. Le réarmement culturel passera tout autant par la définition d'une politique de nationalité, fondée sur une belle idée, profondément républicaine : l'assimilation, qui n'est pas l'oubli de soi et des siens, mais l'envie de dire « nous, Français », et de vivre ainsi, comme membres de la communauté nationale.

À ce nécessaire réarmement culturel, dont il faudra bien que cette assemblée accepte vraiment de débattre un jour, doit s'ajouter un réarmement juridique et opérationnel, dont ce projet de loi, hélas ! monsieur le ministre d'État, ne prend pas le chemin. Aucun peuple, jamais, n'a gagné une guerre en décidant de désarmer au coeur de la bataille. C'est pourtant une loi de désarmement que nous propose aujourd'hui le Président de la République et son gouvernement. En nous appelant à sortir de l'état d'urgence, le Président Emmanuel Macron affaiblit la France et diminue la protection des Français. Au moment même où la menace djihadiste s'accélère et s'amplifie, le Gouvernement nous saisit d'un projet de loi qui abaisse globalement le niveau de sécurité nationale. Car, en voulant sortir de l'état d'urgence, vous nous proposez de renoncer à des instruments juridiques pourtant nécessaires à la sécurité des Français. Aucun des six arguments avancés pour justifier la sortie de l'état d'urgence n'emporte la conviction. Je vais les réfuter, l'un après l'autre, pour bien identifier les termes de notre désaccord.

Je commence par l'argument le plus faible, que vous avez pourtant avancé, monsieur le ministre d'État, devant la commission des lois, et qui consiste à soutenir qu'il faudrait sortir de l'état d'urgence afin d'attirer plus de touristes en France. Ce n'est pas sérieux. Pensez-vous vraiment que la question de l'attractivité touristique permette de trancher le débat juridique sur l'état d'urgence ? J'observe, pour m'en réjouir, que le nombre de touristes étrangers, en plein état d'urgence, a augmenté de 5 % cette année et devrait atteindre 88 à 89 millions de personnes en 2017. Ce qu'attendent les Français comme les étrangers qui viennent nous rendre visite, c'est un niveau de protection élevé, quelles que soient les modalités techniques qui permettent d'assurer la sécurité. Ce n'est pas l'état d'urgence qui diminue l'attractivité de la France, ce sont les attentats, hélas ! La vraie question est donc de savoir si l'état d'urgence peut ou non contribuer à éviter les attentats.

J'en viens au deuxième argument : on nous dit que d'autres lois que celles de l'état d'urgence ont déjà donné à l'État des instruments structurels de lutte contre le terrorisme. Il est vrai, c'est évident, que nous ne partons pas de rien. Les services du ministère de l'intérieur et de l'autorité judiciaire disposent d'un arsenal antiterroriste préventif et répressif : la loi Pasqua de 1986, la loi Debré de 1996 et la loi Sarkozy de 2006 en sont les fondements. Les principales dispositions antiterroristes du code pénal, du code de procédure pénale et du code de la sécurité intérieure sont issues de ces trois lois fondatrices, qu'il convient d'appliquer.

Je ne sous-estime pas l'apport technique des lois récentes. Je m'honore, avec le président Christian Jacob, Éric Ciotti et nos collègues députés Les Républicains, d'avoir pu dialoguer et trouver parfois des points de convergence, avec le premier ministre Manuel Valls, que je salue, avec Bernard Cazeneuve, avec Jean-Jacques Urvoas. Je crois que nous avons eu raison, tout particulièrement en 2015, de préparer ensemble et d'adopter la loi qui diversifie les techniques de renseignement et soumet leur utilisation au contrôle vigilant d'une autorité indépendante, la CNCTR, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. J'ajoute qu'au fil des débats législatifs de la précédente législature, le groupe Les Républicains est parvenu à convaincre la majorité de l'époque d'un certain nombre d'avancées ponctuelles, afin de mieux combattre la propagation du djihadisme sur internet, de supprimer la plupart des aménagements de peine des terroristes condamnés, de créer enfin les bases d'un service de renseignement pénitentiaire ou d'améliorer le régime d'emploi des armes par les policiers.

À ce propos, je signale d'ailleurs aux députés du groupe La République en marche que nous n'avons pas attendu l'avènement, en 2017, d'un prétendu « nouveau monde » macronien pour être capables de trouver des terrains d'entente sur tous les bancs de cette assemblée, lorsque l'intérêt général le commandait. Et nous n'aurons aujourd'hui aucune difficulté à approuver certains articles de votre projet de loi, monsieur le ministre d'État, dès lors qu'ils s'inscrivent directement dans la continuité de dispositifs techniques que nous avons votés ces dernières années. C'est pourquoi nous sommes évidemment d'accord, je l'ai dit, avec les dispositions techniques des articles 5 à 7, qui pérennisent, actualisent, complètent les systèmes de traitement des données API-PNR, relatives aux passagers aériens et désormais maritimes. Nous pouvons également approuver les articles du chapitre II, qui encadrent les techniques de renseignement hertzien.

Mais l'existence de ces instruments ponctuellement utiles ne justifie en rien que vous priviez par ailleurs vos propres services des outils de l'état d'urgence. Certains nous opposent alors un troisième argument, utilisé notamment, tout à l'heure, par le rapporteur, soutenant que, par principe, l'état d'urgence ne devait pas être permanent. Mais, monsieur le rapporteur, personne ne conteste cette affirmation. Par définition, l'état d'urgence ne doit pas durer ad vitam æternam ; personne ici ne souhaite qu'il soit éternel, pour les siècles des siècles, mais ce n'est pas la question que nous devons trancher. Il ne s'agit pas de savoir si l'état d'urgence doit être en théorie permanent, ce qu'il n'est pas et qu'il ne saurait être, mais de savoir s'il doit être en pratique prolongé ici et maintenant, dans la France de 2017.

Je suis persuadé pour ma part que la situation de « péril imminent », qui justifie l'état d'urgence aux termes de la loi de 1955, est encore, hélas ! à l'instant où nous débattons, celle de notre pays, compte tenu de l'accélération et de l'amplification des attaques djihadistes en Europe, ces derniers mois et semaines.

Alors, certains nous disent, quatrième argument avancé dans le débat public, que, si on ne sortait pas maintenant de l'état d'urgence, on sortirait de l'État de droit. C'est un contresens absolu, car l'état d'urgence n'est évidemment pas l'abdication de l'État de droit, mais un régime juridique qui élargit temporairement les pouvoirs de police de l'autorité administrative, selon une logique préventive, sous le contrôle entier du juge administratif et, le cas échéant, sous le regard du Conseil constitutionnel, saisi par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité. Loin d'abolir l'État de droit, l'état d'urgence permet de le sauvegarder : c'est un état du droit qui permet à l'État de surmonter des circonstances exceptionnelles et ainsi de sauvegarder la nation. L'état d'urgence ne menace en rien les libertés des citoyens, mais il restreint celles de nos ennemis. L'État de droit doit être fort car, s'il est faible, il n'est plus l'État et il n'y a plus de droit.

J'en viens au cinquième argument, qui n'est plus théorique mais pratique et même, si j'ose dire, volumétrique. On nous dit que l'état d'urgence ne sert plus à rien car on l'applique moins aujourd'hui qu'il y a deux ans. Les chiffres montrent, je l'admets, qu'il y a eu, comme vous l'avez dit tout à l'heure, monsieur le ministre d'État, plus de perquisitions administratives lors des premières phases de l'état d'urgence qu'il n'y en a désormais : 3 600 lors des trois premières phases, nous indique le rapport, mais seulement 161 depuis décembre dernier, soit moins d'une par jour. On est passé, en vérité, d'une logique de coup de pied dans la fourmilière, au lendemain de l'attentat du Bataclan, à un ciblage plus fin de l'utilisation des perquisitions administratives. Mais cela signifie-t-il, mes chers collègues, qu'il faudrait s'en priver ? Pardon de le dire, mais ceux qui soutiennent cette thèse quantitative raisonnent comme des tambours. Si une seule perquisition administrative, une seule, permet d'éviter un attentat, les députés seraient bien irresponsables d'en priver les services de l'État. C'est pourtant, et je le dis avec gravité, ce que vous vous apprêtez à faire en sortant de l'état d'urgence.

Dois-je vous rappeler, au demeurant, que vous n'êtes pas les premiers à commettre cette erreur ? La majorité précédente, au printemps 2016, avait supprimé la possibilité de recourir aux perquisitions administratives lors de la troisième phase de l'état d'urgence, ce qui avait donné lieu à un débat avec le ministre de l'intérieur de l'époque. Le 14 juillet 2016, quelques heures avant l'attentat de Nice, le Président de la République, François Hollande, avait bien imprudemment annoncé qu'il souhaitait que le Parlement mette fin à l'état d'urgence, avant de devoir changer d'avis dans la nuit et de demander, après l'attentat, sa prorogation complète. Chacun, je le dis, devrait réfléchir en conscience à ce funeste précédent.

Mais vous avancez désormais un sixième argument, qui relève de la doctrine macronienne du « en même temps » : nous allons sortir de l'état d'urgence, dites-vous en substance, mais, en même temps, nous allons inscrire dans la loi des mesures qui permettront grosso modo d'en maintenir les effets. Nos treize heures de débats devant la commission des lois ont fait litière de cet argument, car les mesures que vous supprimez en sortant de l'état d'urgence seraient remplacées par des demi-mesures, dont le caractère opérationnel, malgré l'inventivité juridique des services du ministère de l'intérieur, est proche de zéro.

Premier exemple : il y a actuellement des assignations à résidence, qui permettent, sous l'état d'urgence, de surveiller des individus particulièrement dangereux, repérés par les services, en les obligeant à rester à leur domicile. Vous voulez supprimer ces assignations à résidence mais, en même temps, vous vous apprêtez à les remplacer, demain, par une vague mesure de contrôle. Les individus en cause seront censés être surveillés, mais, en même temps, ils le seront « dans un périmètre géographique déterminé, qui ne peut être inférieur à la commune », ce qui signifie qu'ils pourront circuler librement dans tout Paris, dans tout Lyon, monsieur le ministre d'État, ou dans tout Marseille. Il y aura bien une possibilité de bracelet électronique mais, en même temps, seulement si l'individu est d'accord, et sans possibilité de le géolocaliser systématiquement. À quoi donc cela servirait-il, si ce n'est à se payer de mots ?

Deuxième exemple : il n'y aura plus de perquisitions administratives décidées par les préfets, mais des visites domiciliaires à l'initiative des préfets et, en même temps, après autorisation d'un juge judiciaire. Vous inventez ainsi une perquisition qui n'est plus administrative sans être tout à fait judiciaire, tout en l'étant un peu et sans l'être vraiment. À quoi donc servira cet hybride juridique ? À rien. Les perquisitions judiciaires existent déjà, heureusement, et nul ne songe à les supprimer. Les perquisitions administratives, elles, vont disparaître et vous allez donc vous priver de leur incontestable efficacité pour lever un doute ou mettre hors d'état de nuire un individu dangereux en urgence absolue.

Troisième exemple : vous supprimez les zones de protection, qui ont permis aux préfets de sécuriser, sous l'état d'urgence, des lieux particulièrement exposés à une menace terroriste, comme les fan zones au moment de l'Euro 2016, mais, en même temps, vous allez les remplacer par de prétendus « périmètres de protection », où les policiers n'auront pas le droit de contraindre un individu à ouvrir le coffre de sa voiture ou à montrer le contenu de ses bagages. Et, en même temps, les préfets ne pourront plus prendre l'initiative de contrôles d'identité.

Quatrième exemple : vous créez un article censé permettre la fermeture de lieux de culte qui abritent la préparation d'actes terroristes, mais vous écrivez expressément que la durée de la fermeture ne pourra excéder six mois. Autrement dit, on prétend fermer des mosquées salafistes mais, en même temps, on prévoit leur réouverture automatique après six mois. Tout cela n'a strictement aucun sens. La vérité est qu'il faut choisir : vous ne pouvez pas sortir de l'état d'urgence et, en même temps, prétendre en maintenir les effets. Cette posture, je le dis, est une imposture qui vous condamne, hélas ! à l'inefficacité.

Notre conviction, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, est qu'il n'est pas raisonnable aujourd'hui de priver la France du niveau de protection permis par l'état d'urgence. Nous gardons à l'esprit l'avertissement du maréchal Foch, formulé dans ses Principes de la guerre : nous ne voulons pas que la France retombe dans ce qu'il avait désigné comme « la faiblesse française : l'inconstance ». Nous voulons vous convaincre de faire preuve de constance car le temps n'est pas venu, au milieu de la bataille, de lever la garde ; le moment est venu, non seulement de proroger l'état d'urgence pour un an supplémentaire, en se fixant une clause de rendez-vous en novembre 2018, mais de le renforcer pour mieux protéger les Français.

C'est pourquoi la motion que j'ai l'honneur de vous présenter, au nom des députés Les Républicains, n'est pas seulement une motion d'opposition à la sortie de l'état d'urgence. C'est une motion de proposition pour un vrai état d'urgence, juridique et opérationnel, jusqu'à ce que la France gagne la guerre contre le terrorisme islamiste. Dans cet esprit, avec Éric Ciotti, Olivier Marleix, Constance Le Grip et l'ensemble des collègues ayant particulièrement travaillé sur ces questions, nous vous proposons des amendements qui constituent un contre-projet de loi, afin de réarmer la France face au terrorisme islamiste.

Notre première préoccupation doit être de mettre hors d'état de nuire les individus présentant une grave menace pour la sécurité nationale et ayant déjà été repérés par les services de renseignement. Aujourd'hui, 18 000 individus sont connus des services de l'État et inscrits au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, et plus de 12 000 individus sont fichées S au titre des atteintes à la sûreté de l'État. Nous savons que, parmi cette masse d'individus, il y a une grande diversité de situations. Il est indispensable qu'un ciblage systématique soit effectué afin d'identifier les plus dangereux et de les mettre vraiment hors d'état de nuire avant tout passage à l'acte.

C'est pourquoi nous plaidons non seulement pour le maintien d'une vraie assignation à résidence mais aussi pour la création, pendant la durée de l'état d'urgence, d'un régime de rétention administrative, qui permette l'internement préventif, à l'initiative du ministre de l'intérieur et avec un contrôle juridictionnel. Un tel régime existe aujourd'hui, dans certaines conditions, pour des individus dont le profil psychiatrique constitue un danger pour eux-mêmes et pour la société ; un régime de rétention similaire pourrait être créé demain pour des individus représentant une menace terroriste.

Cette même logique préventive doit nous conduire à écarter les individus présentant une menace, non seulement des emplois directement en charge de la sécurité, comme vous semblez vouloir le faire, mais aussi des professions en relation avec des publics particulièrement exposés à une menace terroriste, comme les enfants, selon la logique d'un vrai principe de précaution.

Nous proposons également des mesures de nature judiciaire. Il nous semble nécessaire que la garde à vue, en matière antiterroriste, puisse durer jusqu'à trente jours, en nous inspirant à cet égard de la pratique de la démocratie britannique. Il nous semble indispensable, de même, d'accroître encore la spécialisation des autorités judiciaires, du parquet comme du siège, appelées à connaître des affaires terroristes, de plus en plus importantes, hélas ! dans leur volume comme dans leur technicité. Nous proposons, à cette fin, la création d'un parquet national antiterroriste spécialisé, ainsi que celle d'une cour de sûreté antiterroriste, composée de magistrats professionnels, appelés à connaître à la fois des délits et des crimes terroristes.

La même logique de spécialisation doit s'appliquer, en aval, à la prise en charge dans les prisons des individus, prévenus ou détenus, relevant de la mouvance islamiste. Un double isolement de ces individus – par rapport aux autres personnes incarcérées, mais aussi les uns par rapport aux autres – nous paraît indispensable.

Nous vous appelons, de même, à définir un régime de rétention de sûreté applicable aux terroristes condamnés qui sont en fin de peine et donc censés sortir de prison ; une évaluation de leur dangerosité est absolument indispensable pour ne pas exposer la société à une récidive.

Cette loi de réarmement antiterroriste, que nous vous proposons, devra être complétée par une initiative permettant des contrôles systématiques aux frontières intérieures, pendant la durée de l'état d'urgence. Il est invraisemblable que le code frontières Schengen ne permette le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures, en cas de menace terroriste, que pour une durée maximale de deux ans. Ce délai absurde, qui a été accepté par le gouvernement français lorsque le code Schengen a été modifié, en 2016, n'a strictement aucun sens, car il ne tient pas compte de la réalité de la menace terroriste et il obligera la France, dans quelques semaines, en novembre, à lever ses contrôles. Nous vous appelons à assumer fermement une décision de souveraineté : tant que la France est menacée par le terrorisme islamiste, des contrôles systématiques aux frontières doivent pouvoir être effectués souverainement par les autorités françaises, où elles le décident et quand elles le souhaitent, vingt-quatre heures sur vingt-quatre s'il le faut. À cet égard, la demi-mesure que vous proposez à l'article 10 de votre projet de loi n'est aucunement opérationnelle.

J'ajoute que le réarmement juridique devra s'accompagner, dans les mois et les années qui viennent, d'un réarmement budgétaire, indispensable pour assumer les missions régaliennes de l'État. Nous en débattrons dans quelques semaines, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018. Les dépenses de sécurité – crédits alloués à l'armée, à la police, à la gendarmerie et à la justice – représentaient plus de 6 % du PIB en 1960 et encore 4,5 % en 1990, lorsque François Mitterrand était président de la République ; elles ne pèsent plus aujourd'hui que 3 % de la production nationale. Nos prédécesseurs avaient cru pouvoir bénéficier des dividendes de la paix et n'ont pas vu qu'une guerre nous avait été déclarée ; notre génération, elle, devra assumer un nouvel effort de guerre, indispensable pour gagner la paix.

Monsieur le président, mes chers collègues, en vous présentant cette motion, au nom de l'opposition, je vous appelle d'abord à ouvrir les yeux sur ce qu'est en réalité ce projet de loi. En voulant sortir de l'état d'urgence, le Président Emmanuel Macron commet une faute historique. Car ce qui nous a été faussement présenté comme un texte « renforçant la sécurité intérieure » est, en vérité, une loi de désarmement juridique qui abaisse le niveau de protection des Français. Notre conviction est que, au moment où la menace djihadiste s'accélère et s'amplifie, le réarmement de la nation est assurément le premier devoir des députés. Chacun votera donc selon sa conscience en assumant ses responsabilités devant les Français.

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