Intervention de Aurélien Taché

Séance en hémicycle du lundi 23 juillet 2018 à 16h00
Liberté de choisir son avenir professionnel — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAurélien Taché, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, un mois après avoir adopté en première lecture le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, notre assemblée se réunit à nouveau aujourd'hui pour l'examiner en nouvelle lecture.

Comme cela a été rappelé, la commission mixte paritaire réunie lundi dernier n'a en effet pas pu aboutir à un texte commun. Les désaccords entre les deux chambres étaient trop importants pour qu'un terrain d'entente se dégage, tout particulièrement sur le titre II, que j'ai l'honneur de rapporter une nouvelle fois devant vous. Le principal désaccord sur ce titre et, au fond, les principaux motifs d'échec de la commission mixte paritaire concernent les articles 29 et 33.

Dans la version adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture, l'article 29 – qui porte sur la lutte contre la précarité dans l'emploi – prévoyait qu'en cas d'échec des négociations de branche prévue par l'accord national interprofessionnel de février 2018, le Gouvernement puisse instituer un « bonus-malus » sur les cotisations patronales. Nos collègues sénateurs l'ont purement et simplement supprimé.

L'article 33, quant à lui, permettait au Gouvernement de prendre par décret des mesures d'application relevant en principe de la compétence des partenaires sociaux. Il s'agissait, d'une part, de faire entrer rapidement en vigueur, sans attendre la prochaine convention d'assurance chômage, les nouveaux droits à l'assurance chômage ouverts par le texte en faveur des salariés démissionnaires et des travailleurs indépendants ; d'autre part, de prendre par décret des mesures visant à modifier les règles de l'activité réduite, à condition que soit appliqué de manière concomitante, ainsi que le prévoyait un amendement du groupe LaREM adopté en première lecture, le « bonus-malus » sur la contribution patronale d'assurance chômage décrit à l'article 29.

Lors de son discours devant le Congrès, le 9 juillet dernier, le Président de la République a annoncé que le Gouvernement déposerait au Sénat – qui examinait alors le texte – un amendement de rédaction globale de l'article 33 demandant aux partenaires sociaux une renégociation complète de la convention d'assurance chômage un an avant son terme. Cet amendement donne aux partenaires sociaux un délai de quatre mois pour cette renégociation et leur demande de réfléchir à l'articulation entre les prestations d'assurance et d'assistance et donc, finalement, à la frontière entre ce qui doit relever de l'assurance et de la solidarité, au moment où nous recherchons une plus grande universalité à travers notamment la création d'une allocation pour les chômeurs de longue durée.

Nos collègues sénateurs, que nous avons longuement rencontrés et que je tiens à remercier pour le bon esprit qui a présidé à nos travaux, se sont dits heurtés par cette procédure, ce qui a fini par cristalliser les désaccords entre les deux chambres.

Sur le fond, la majorité de l'Assemblée nationale est favorable à cet amendement gouvernemental, adopté d'ailleurs par la commission des affaires sociales en nouvelle lecture. Il permet en effet de redonner immédiatement aux partenaires sociaux leur prérogative de négociation sur l'indemnisation du chômage dans le nouveau cadre fixé par le législateur.

Depuis le début de l'examen de ce projet de loi, les oppositions, sur tous les bancs, reprochent au Gouvernement de remettre en cause le rôle des organisations syndicales et patronales dans la gestion du régime d'assurance chômage. Ces critiques, alors excessives, sont désormais nulles et non avenues puisque grâce à cet amendement, les partenaires sociaux pourront s'emparer de tous les sujets en renégociant une convention d'ensemble. En matière de démocratie sociale comme ailleurs, il y a les paroles et les actes, et la majorité, comme la commission des affaires sociales, est donc satisfaite.

Sur le fond, ainsi que cela a été rappelé par Mme la ministre, cette renégociation devra être l'occasion de traiter d'au moins trois sujets.

D'abord, et c'est essentiel, ne plus accepter que des salariés puissent être assignés à la précarité et donc prendre des mesures pour lutter contre l'abus des contrats courts et faire reculer l'activité réduite. Selon l'Unédic, l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce, 87 % des embauches actuelles ont lieu sous contrat de moins d'un mois et les deux tiers correspondent à des relations de travail durables. Comment avoir des projets quand, alors même que lorsque vous travaillez, on vous refuse l'accès au crédit et donc, par exemple, toute possibilité sur le plan immobilier ? Les mesures prises devront dissuader les excès constatés et entretenus par l'absence de contrainte efficace sur les entreprises : c'est le « bonus-malus ».

Les partenaires sociaux devront aussi regarder le régime d'indemnité dont les règles incitent à l'acceptation de contrats, fussent-ils de quelques heures. Si la prise d'emploi doit demeurer avantageuse pour le salarié, l'incitation ne doit pas conduire à son maintien dans des allers retours entre l'emploi et le chômage qui enferment dans la précarité.

Nous proposons aussi aux partenaires sociaux – sans en faire une obligation – de créer une véritable allocation-chômage de longue durée pour les demandeurs d'emploi qui ont épuisé leurs droits. Nous avons besoin d'imaginer un système permettant de protéger les chômeurs de longue durée, notre objectif prioritaire étant que chacun puisse retourner à l'emploi et que le chômage ne soit une fatalité pour personne.

Enfin, nous leur demandons de s'assurer que les règles d'assurance chômage soient de nature à accompagner le plus efficacement possible la reprise de l'activité dans notre pays. Les entreprises, aujourd'hui, peinent à recruter et ces règles sont extrêmement complexes, peu lisibles, comme en témoigne le montant d'indus qui est réclamé chaque année. Nous devons être certains qu'il est toujours plus intéressant pour quelqu'un de recommencer à travailler, et c'est d'ailleurs pour cela que nous sommes en train d'augmenter de 50 % la prime d'activité.

Définir plus clairement la nature du régime d'assurance chômage, ainsi que nous y invitait d'ailleurs le Conseil d'État dans son avis et s'assurer, dans un contexte de croissance retrouvée, qu'on se donne tous les moyens pour que les entreprises puissent embaucher, justifie que nous prenions nos responsabilités en demandant aux partenaires sociaux – qui le comprennent d'ailleurs parfaitement – de discuter sans attendre une nouvelle convention d'assurance chômage.

Je tiens à signaler que, même si cet amendement n'avait pas été déposé au Sénat, les désaccords sur le titre II auraient été trop profonds pour que les deux chambres parviennent à un texte commun. J'en veux pour preuve, et j'y reviens, la suppression par le Sénat de l'article 29 qui permet de moduler la contribution patronale d'assurance chômage selon un nouveau critère : le nombre de fins de contrat donnant lieu à inscription de l'ancien salarié sur la liste des demandeurs d'emploi, nombre apprécié entreprise par entreprise.

Je l'ai dit, il s'agit ainsi de limiter le recours excessif aux contrats courts, qui enferment les salariés dans la précarité et dont la fin pèse lourdement sur les finances de l'assurance chômage. Afin de tenir compte de la réalité de la situation économique, ce « bonus-malus » sera apprécié par secteur d'activité pour ne pas pénaliser les entreprises dont l'activité commande l'usage de contrats à durée déterminée.

Cet article répond à un engagement fort du Président de la République et de la majorité pour lutter contre le travail précaire et sa suppression n'était pas acceptable pour l'Assemblée nationale. La commission des affaires sociales l'a donc rétabli en nouvelle lecture dans la rédaction initialement retenue sur ces bancs.

De manière générale, la commission a procédé à de nombreux rétablissements sur le titre II, notamment en revenant sur le durcissement des conditions d'ouverture de l'assurance chômage aux salariés démissionnaires. Alors que l'Assemblée avait seulement prévu le principe d'une durée d'activité antérieure, que le Gouvernement aurait fixé par décret à cinq ans, le Sénat a inscrit dans la loi une condition d'affiliation pendant sept ans à l'assurance chômage, ce qui est beaucoup trop restrictif. Notre objectif, au contraire, est de faciliter les mobilités professionnelles choisies qui, avec l'encadrement prévu pour en limiter les risques, seront une voie d'accomplissement pour les salariés et un facteur de dynamisme pour notre économie.

Nous avons aussi supprimé un article introduit par le Sénat qui assouplissait dans des conditions mal maîtrisées le recours aux CDD d'usage.

Bien sûr, nous avons maintenu la suppression de la cotisation salariale d'assurance chômage réintroduite par le Sénat, et qui va à l'encontre de la réforme du financement souhaitée par le Gouvernement et la majorité visant à faire peser plus fortement ce financement sur l'impôt afin de dessiner l'universalisation des droits – et à l'encontre aussi, bien entendu, les gains de pouvoir d'achat permis par cette suppression de cotisation pour les salariés. Nous réaffirmerons donc ainsi au cours de cette nouvelle lecture que le travail doit mieux payer.

Nous avons également supprimé à l'article 35 les diverses mesures de durcissement de la situation des demandeurs d'emploi introduites par le Sénat qui voulait notamment que les demandeurs d'emploi inscrits depuis plus de deux ans sur la liste soient contraints d'accepter un emploi rémunéré au moins à hauteur du revenu de remplacement, indépendamment de toute autre considération.

Contrairement à la majorité sénatoriale, nous souhaitons au contraire personnaliser l'accompagnement des demandeurs d'emploi, ce qui est un gage d'efficacité et, surtout, de justice. C'est pourquoi nous recentrons sur la relation entre le demandeur d'emploi et son conseiller la définition de l'offre raisonnable d'emploi, notion si difficile à définir de façon globale et qui doit chaque fois faire l'objet d'une discussion poussée.

La commission a néanmoins tenu à conserver les ajouts utilement apportés par le Sénat comme la transmission au Parlement du document de cadrage qui sera à l'avenir adressé par le Gouvernement aux partenaires sociaux, avant négociation de la convention d'assurance chômage.

La commission n'a pas rétabli l'article 36 ter, supprimé par le Sénat. Il avait été introduit en première lecture à l'initiative de notre collègue Pierre Dharréville, et je souhaitais qu'il puisse en proposer lui-même le rétablissement, ce qui sera chose faite en séance. La commission soutiendra cet amendement qui propose la remise d'un rapport sur un sujet important, celui du non-recours aux droits en matière d'assurance chômage.

Cela témoigne bien que des convergences entre nous sont possibles. Je forme le voeu que, pour cette nouvelle lecture, les débats soient d'aussi bonne tenue que ceux que nous avons eus jusqu'alors.

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