Intervention de Joël Aviragnet

Séance en hémicycle du lundi 23 juillet 2018 à 16h00
Liberté de choisir son avenir professionnel — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoël Aviragnet :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mesdames et monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le groupe socialiste a déposé une motion de renvoi en commission car il apparaît que ce projet de loi a été présenté au Parlement dans l'improvisation la plus totale. S'il en fallait une preuve, le Président de la République s'est lui-même chargé de réorienter votre texte lors de la réunion du Congrès à Versailles, le 9 juillet dernier, tant il était avéré qu'il n'était pas à la hauteur des attentes.

Force est de constater que ce texte fait l'objet d'une impréparation coupable. En effet, il est le premier depuis les lois de 1971 sur la formation professionnelle à ne pas avoir fait consensus chez les partenaires sociaux. Il a été rédigé dans le mépris des syndicats et avec une concertation de façade. Vous avez vous-même, madame la ministre, dénoncé l'accord national interprofessionnel, avant qu'il ne soit présenté publiquement par les syndicats le 22 février 2018. Votre travail de sape des syndicats devient progressivement une méthode gouvernementale, ce qui est inadmissible dans une démocratie.

Je parlais d'impréparation tout à l'heure, et ne donnerai qu'un chiffre : cent dix ! C'est le nombre d'amendements déposés par le Gouvernement depuis le dépôt du texte à l'Assemblée nationale. Que les choses soient claires pour tout le monde : vous avez déposé un texte devant l'Assemblée nationale que vous aviez auparavant transmis au Conseil d'État, puis vous l'avez modifié cent dix fois pour en arriver à la copie actuelle. Voilà une méthode de travail originale, madame la ministre ! À l'avenir, néanmoins, tâchez de nous remettre une copie finie et non des brouillons, afin de permettre à l'Assemblée nationale et au Conseil d'État de travailler dans de moins mauvaises conditions. Je pense notamment à l'article 17 de ce projet de loi qui a été entièrement récrit par le Gouvernement lors de l'examen du texte au Parlement et qui concerne – excusez du peu – le schéma financier de la formation professionnelle et de l'apprentissage.

Je poursuis, madame la ministre, sur l'impréparation du Gouvernement sur ce texte, qui a été présenté puis examiné par l'Assemblée nationale, alors que des concertations parallèles étaient en cours sur des sujets connexes, notamment le handicap. Mais c'est également le cas pour les opérateurs de compétences – les OPCO – , pour lesquels vous nous renvoyez à une mission ultérieure. Par ailleurs, les outre-mer sont complètement absents de cette réforme. Je veux ici saluer le travail de mes collègues, Mme Bareigts et Mme Vainqueur-Christophe, sans qui des dispositions spécifiques n'auraient pas été prises. Tout cela n'est pas bien sérieux, madame la ministre !

J'ajoute que le Président de la République, en vous demandant d'amender ce projet de loi, lors du Congrès de Versailles, afin de modifier la donne concernant l'assurance chômage vous a tout de même publiquement désavouée, madame la ministre. C'est du jamais vu !

Cependant, ce qui m'inquiète au-delà du camouflet politique, c'est le dédain réservé aux syndicats. En effet, M. Macron les a sommés de se réunir pour renégocier les règles de l'assurance chômage. Mais, madame la ministre, les syndicats n'ont pas besoin d'une invitation du Président de la République pour se réunir ! Je veux ici démasquer le dessein de votre gouvernement, qui vise en réalité à nous faire passer d'un système de droits à l'indemnisation, acquis par la cotisation, à un système assurantiel privé, c'est-à-dire à un système à l'anglo-saxonne, à la fois inégalitaire et inefficace, qui prend le contre-pied de nos combats pour la justice et le progrès social.

Cette réforme porte un coup majeur aux corps intermédiaires, aux collectivités territoriales, aux apprentis et aux travailleurs, puisqu'elle procède à une recentralisation, une libéralisation et une marchandisation de la formation professionnelle et de l'apprentissage. C'est regrettable, car c'est contraire à l'intérêt général et à la montée en compétences des travailleurs et des entreprises françaises. J'en veux pour exemple l'amendement socialiste adopté au Sénat visant à instaurer un copilotage de l'apprentissage par les régions et les branches. Cet amendement, qui était raisonnable, a été voté par la droite et la gauche ; or vous l'avez supprimé, lors de la nouvelle lecture en commission. C'était pourtant la meilleure manière de défendre la décentralisation et d'affirmer le rôle d'aménagement du territoire qu'ont les régions grâce à la formation. Là encore, vous passez en force sans tenir compte des enrichissements apportés par les groupes d'opposition.

Chers collègues, je vous invite à voter cette motion de renvoi en commission, car ce projet de loi inquiète. Il n'y a qu'à regarder l'augmentation de 21 % des demandes d'utilisation de leur CPF par les travailleurs, depuis le début de votre réforme, pour s'apercevoir qu'ils ont compris que la monétisation s'accompagnait d'une perte de droits pour eux. Prenons l'exemple du bilan de formation, qui coûtait hier vingt-quatre heures et coûtera demain 1 500 euros : il fallait auparavant une année de travail pour pouvoir se l'offrir, il en faudra trois demain avec la monétisation du CPF.

Pour conclure, madame la ministre, les mesures contenues dans ce projet de loi, qui visent à renforcer le contrôle des chômeurs, et à simplifier, pour ainsi dire, la prise de sanction à leur égard sont inacceptables : elles sont inutiles et stigmatisantes. Aussi veux-je rappeler notre opposition ferme à ces dispositions. Pour toutes ces raisons, chers collègues, je vous demande de voter cette motion de renvoi en commission et de retravailler collectivement sur nos deux principaux points de désaccord : le pilotage de l'apprentissage qui doit, à notre avis, être assuré conjointement par les régions et les branches et la « renégociation » de l'assurance chômage, qui ne peut en aucun cas être transformée en un système assurantiel à l'anglo-saxonne.

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