Intervention de Éric Ciotti

Séance en hémicycle du lundi 25 septembre 2017 à 16h00
Sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Ciotti :

Si le chômage en France expliquait le terrorisme, comment l'expliqueriez-vous en Afghanistan, au Pakistan, au Mali et dans tous les pays où la barbarie islamiste gangrène les libertés et menace les vies humaines ? La réalité est là : tenter une telle explication est déjà une faute, monsieur le ministre d'État. Nous voulions vous le dire.

Ce texte constitue, à bien des égards – et telle est la raison pour laquelle son renvoi en commission est à nos yeux justifié – , une occasion manquée. Il repose en effet sur un double postulat erroné. Le premier est de considérer que sortir de l'état d'urgence est une vérité première, une évidence absolue. Nous contestons avec force ce postulat. Non, il n'est ni nécessaire, ni obligatoire, ni impératif – bien au contraire – de sortir de l'état d'urgence aujourd'hui.

Mme la présidente de la commission des lois a affirmé que sortir de l'état d'urgence serait courageux. Nous récusons avec force cette approche. Sortir de l'état d'urgence, loin d'être un acte de courage, serait au contraire un acte de faiblesse.

La loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence apporte des outils pertinents, bien que perfectibles, aux forces de l'ordre et aux services de renseignement. Ainsi, depuis le début de sa mise en oeuvre, plus de 4 500 perquisitions administratives ont été effectuées et – vous l'avez vous-même souligné – trente procédures judiciaires ont été ouvertes à la suite d'une telle perquisition, ce qui signifie que des attentats ont été déjoués grâce aux outils, aux armes que nous fournit l'état d'urgence. C'est un bien précieux dont vous allez nous priver.

L'autre postulat constitue pour nous, monsieur le ministre d'État, une source d'inquiétude aussi forte, peut-être encore plus forte : vous vous apprêtez à mettre un terme aux contrôles aux frontières au mois de novembre prochain. Le 13 novembre 2015, la France a temporairement rétabli les contrôles à ses frontières, en activant l'article 2 du code frontières Schengen. Si la décision d'activer cette disposition avait d'abord été prise par le Président de la République de l'époque pour sécuriser la conférence Paris Climat 2015 – la COP21 – , son opportunité s'était naturellement trouvée renforcée après les attentats qui avaient frappé notre capitale dans la nuit du 13 novembre. Cette mesure ne constituait ni une fermeture des frontières – le passage est, fort heureusement, toujours autorisé pour les personnes prouvant leur identité – ni même une suspension des accords du code frontières Schengen, puisque cette mesure d'exception est autorisée par ce même code. Il s'agissait plutôt d'une suspension très pertinente de la libre circulation.

Comme le souligne l'étude d'impact, les contrôles aux frontières intérieures ont fait la preuve de leur utilité pour prévenir le terrorisme. Outre leur caractère dissuasif, ils ont permis la surveillance et l'interpellation de très nombreux individus signalés dans les bases de données européennes et nationales. Vous avez vous-même indiqué tout à l'heure que, depuis 2014, le nombre des personnes détectées et figurant dans les fichiers de police à la frontière – les fichiers des personnes recherchées du Système d'information Schengen, dit SIS – , avait quadruplé. C'est le meilleur argument auquel vous pouviez recourir pour justifier le maintien de cette période dérogatoire.

Ce second postulat – celui de la fin du contrôle aux frontières – constitue, après le premier qui concerne la sortie de l'état d'urgence, une erreur et même une faute. Nous ne comprenons pas que le Président de la République, qui a été élu depuis maintenant plus de quatre mois, n'ait pas fait du maintien du contrôle aux frontières une de ses priorités d'action auprès de ses partenaires européens : il aurait dû revendiquer haut et fort cette position de la France.

Hélas, les dispositions prévues à l'article 10 du texte pour pallier la suppression des contrôles aux frontières seront tout à fait insuffisantes : elles n'auront en aucun cas un effet équivalent aux dispositions actuelles. Il ne pourra notamment être procédé à des contrôles qu'aux fins de prévention et de recherche des infractions liées à la criminalité organisée et les interventions ne pourront consister en un contrôle systématique des personnes présentes ou circulant dans les zones concernées.

À compter du 11 novembre prochain, nous subirons cette aberration : les frontières seront de nouveau totalement ouvertes, et cela sans prendre en compte ni la menace que vous décrivez ni la grave crise migratoire que nous traversons. Pourtant, vous le savez bien, certains attentats, notamment ceux qui ont été commis à l'aéroport et dans le métro de Bruxelles, ont démontré la pénétration sur le territoire européen de terroristes islamistes infiltrés dans les filières alimentant les flux migratoires. Vous n'avez pas la volonté de maintenir cette protection : nous le déplorons.

Monsieur le ministre d'État, ce qui motive cette motion de renvoi en commission, c'est que nous estimons que votre projet de loi constitue un net recul par rapport à l'état d'urgence et qu'il comporte des lacunes juridiques et politiques très importantes. Les principales mesures de l'état d'urgence ont été vidées de leur substance ou supprimées – Guillaume Larrivé en a fait la démonstration. Vous prétendez transposer dans le droit commun les dispositions de la loi du 3 avril 1955, que nous avons modifiée lorsque nous avons prorogé l'état d'urgence. La réalité, vous le savez, est tout autre.

S'agissant des périmètres de protection, à la différence des zones de protection de l'état d'urgence, les dispositions prévues par le projet de loi ne concernent que des lieux ou des événements exposés à un risque d'actes de terrorisme à raison de leur nature ou de l'ampleur de leur fréquentation. Les critères sont limitatifs. Par ailleurs, les palpations de sécurité, l'inspection visuelle, la fouille des bagages et la visite des véhicules seront désormais soumises au consentement des intéressés, ce qui vide de tout sens ces dispositifs.

Le même constat s'impose pour les perquisitions administratives, rebaptisées « visites domiciliaires ». Le Syndicat des commissaires de la police nationale a qualifié, lors de son audition devant la commission des lois, ce nouvel outil juridique de « monstruosité juridique », et considère que le dispositif est « devenu totalement inopérant ».

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