Intervention de Adrien Quatennens

Séance en hémicycle du lundi 23 juillet 2018 à 16h00
Liberté de choisir son avenir professionnel — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAdrien Quatennens :

Tout comme vos ordonnances facilitent les licenciements et encouragent la précarisation du travail, ce projet passe, de notre point de vue, complètement à côté des enjeux en matière d'emploi. Dans ce domaine non plus, nous pensons que vous ne prenez pas la mesure de la gravité de la situation. Vos projets de loi ont souvent, pour les salariés, un effet positif mais cosmétique, et un effet négatif réel en termes de recul de leurs droits sociaux. Pour le grand patronat au contraire, ils constituent souvent de nouveaux cadeaux, en ayant assez peu d'effets positifs sur l'essentiel de l'activité économique de notre pays.

Madame la ministre, il semble qu'on ne vous rappellera jamais assez ici que l'emploi dans notre pays est en situation de pénurie, qu'en moyenne on compte un emploi non pourvu pour quarante-quatre chômeurs environ, et que huit contrats sur dix nouvellement signés sont des contrats courts, alors qu'ils sont censés être des exceptions.

Les mesures budgétaires du Gouvernement favorisent par ailleurs les détenteurs de capital : nous sommes les champions du monde, pas seulement de foot mais aussi de la distribution de dividendes. Comme le dit le magazine Bloomberg, c'est dans notre pays que les milliardaires s'enrichissent le plus, sans aucun effet vertueux vérifié pour l'économie.

En vingt ans, alors que les dividendes ont augmenté de 200 %, le salaire moyen n'a crû que de 14 %, alors que dans le même temps le nombre de pauvres dans notre pays augmentait de 1,6 million de personnes. Actuellement, selon l'étude d'Oxfam, 65 % des bénéfices sont affectés aux dividendes, 27 % aux investissements et seulement 5 % aux augmentations de salaires.

L'hyper-financiarisation de notre économie ruine l'activité du pays par manque d'investissement et par compression du pouvoir d'achat. Or, les choix budgétaires du Gouvernement encouragent et accélèrent cette évolution.

Vous voulez des propositions pour relancer l'activité, en voici quelques-unes.

Investissez massivement dans la planification écologique, plutôt que de convoquer la finance verte.

Organisez le partage des richesses afin d'augmenter réellement le pouvoir d'achat et son effet vertueux sur les carnets de commandes, par exemple en augmentant le SMIC ou en limitant l'écart des salaires de un à vingt dans l'entreprise.

Partagez le temps de travail, car les faits prouvent que ce partage est plus efficace que le CICE – crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – désormais pérennisé.

Instaurez des quotas modulables selon les entreprises pour ce qui est du recours aux contrats courts : 5 % dans les grandes entreprises et 10 % dans les PME, comme nous l'avions proposé lors de l'élection présidentielle. Alors que nous craignons que votre système de bonus-malus ne porte atteinte aux comptes de l'assurance chômage si les bonus versés se révélaient supérieurs aux malus, ce qui est à craindre.

Instaurez un protectionnisme solidaire et rompez avec le libre-échange mortifère qui, en plus d'être anti-démocratique et anti-écologique, détruit des emplois. J'en veux pour preuve le traité du CETA conclu avec le Canada : le nombre d'emplois que cet accord pourrait potentiellement détruire dans notre pays a été chiffré à 45 000. Sans compter que la semaine dernière, dans l'opacité la plus complète, a été ratifié l'accord JEFTA avec le Japon, sans qu'aucun parlementaire ni aucun citoyen français n'ait pu être consulté ou donner son avis.

Généralisez l'expérimentation d'ATD Quart Monde du territoire zéro chômeur. On sait qu'en moyenne un chômeur de longue durée touche 15 000 euros par an. Faisons donc de l'État l'employeur en dernier ressort, en transformant cette somme en contrat de travail qui serait complété par des missions répondant aux besoins des départements et des régions.

En regard de ces propositions que je viens de formuler, les mesures de votre projet de loi paraissent très inconséquentes.

Nous vous alertons : en procédant à la monétisation du compte professionnel de formation, vous prenez le risque de diminuer le droit existant, compte tenu de la somme dont vous entendez créditer ce compte et de ce que coûte par ailleurs en moyenne une heure de formation. Cette monétisation procède d'une accentuation de la marchandisation de la formation professionnelle, laquelle, et nous le déplorons, subit d'ores et déjà, comme en attestent un certain nombre de scandales, une offensive de la part d'organismes privés peu scrupuleux.

Plutôt que de permettre à l'apprentissage de devenir véritablement la voie d'excellence que vous appelez de vos voeux, vous encouragez sa mise au service des branches et des projets à court terme des entreprises, au détriment des régions comme de la régulation qui s'impose à ce cadre de formation.

S'agissant de l'assurance chômage, l'indemnisation promise aux démissionnaires comme aux indépendants est, il faut le dire, devenue très conditionnelle.

Le renforcement du contrôle des chômeurs est à rebours de tout ce que la raison semble commander de faire : quand on sait que 86 % des chômeurs contrôlés par Pôle emploi sont en recherche active et que, sur les 14 % restants, les deux tiers ne sont pas indemnisés, quel est son sens ? N'y a-t-il pas, je vous le demande, quelque chose d'absolument irrationnel à exiger des demandeurs d'emploi une recherche d'emploi frénétique, dans ce que l'on sait être un contexte de pénurie ? Je pose la question.

La fraude aux allocations chômage est estimée à environ 60 millions d'euros et son taux de recouvrement à 90 %. En comparaison, la fraude aux cotisations patronales est estimée à 20 milliards, et son taux de recouvrement est d'à peine 1,5 % ! Que faites-vous, madame la ministre, pour contrôler quelques patrons voyous au lieu de mener la vie dure, comme vous voulez le faire, aux chômeurs ?

S'agissant du handicap, les mesures que vous prenez ne sont pas à la hauteur des enjeux. Nous vous alertons en outre sur les effets possibles de la libéralisation du travail détaché à laquelle procède votre projet de loi.

Bref, nous voyons mal où se situe dans votre texte ce qu'il nomme la « liberté de choisir son avenir professionnel », à moins que ce ne soit dans la partie réservée aux fonctionnaires, où ils sont encouragés à passer du public vers le privé puis à revenir dans le secteur public, pratique appelée communément le pantouflage.

S'agissant du travail indépendant des salariés bien dépendants des plateformes qui leur imposent parfois jusqu'au port de l'uniforme, en plus de toutes les autres contraintes, les députés La France insoumise proposent une nouvelle fois de renforcer la définition du travail indépendant dans le code du travail, en précisant que les travailleurs indépendants ne peuvent se trouver en situation de subordination économique vis-à-vis d'un seul donneur d'ordre.

Reconnu par la Cour de cassation, le critère de subordination économique pourrait entraîner de fait la requalification en statut de salariés pour les travailleurs qui y répondent dans leur relation avec les plateformes. Au lieu de quoi le projet de loi propose une charte sociale optionnelle visant à permettre aux plateformes d'offrir un certain nombre de garanties et de cadres réglementaires aux travailleurs, le tout sans négociation avec les premiers concernés, ce qui par ailleurs ne semble pas aller dans le sens d'un dialogue social dont vous nous chantez pourtant régulièrement les louanges.

Cette charte sociale serait une sorte de sous convention collective du nouveau monde. En attendant, la condition des travailleurs de ces plateformes nous fait faire un grand bond en arrière, au XIXe siècle, c'est-à-dire avant l'émergence du droit du travail.

Pour conclure, nous formulerons au cours de la nouvelle lecture de ce projet de loi, comme à notre habitude, plusieurs dizaines de propositions, afin de l'aider à atteindre le but fixé par son titre. Mais il y a fort à parier que, comme à son habitude, la majorité rejettera nos propositions et s'en ira conter sur les plateaux de radio et de télévision que nous n'en formulons aucune.

Comme d'habitude, vous pourrez vous auto-satisfaire de l'adoption d'un projet de loi aux grandes prétentions mais aux maigres potentialités, sinon celle de rendre la vie plus facile à la minorité pour laquelle elle l'est déjà beaucoup, et plus difficile pour le grand nombre. Quant à la relance de l'emploi pérenne dans notre pays, sans doute, et nous le regrettons profondément, devra-t-elle attendre votre fin de règne.

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