Intervention de François Veillerette

Réunion du jeudi 12 juillet 2018 à 9h15
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

François Veillerette, directeur et porte-parole de Générations futures :

Pour ce qui est de la mise sur le marché des pesticides, nous avons, avec d'autres associations européennes, émis beaucoup de critiques. Récemment, le dossier du glyphosate nous a permis d'y voir plus clair. Un grand nombre d'ONG européennes ont consacré beaucoup de temps à ce sujet – nous avons fait appel à des scientifiques –, ce qui a donné lieu à plusieurs rapports, en France et à l'étranger, et à la publication d'une étude cosignée par deux collègues scientifiques, allemand et autrichien, qui met en exergue les failles du système européen.

Quelles sont ces failles ? Je n'entrerai pas dans les détails – cela fait également l'objet d'une mission au Parlement européen, présidée par M. Éric Andrieu – mais il en existe de majeures. La première, c'est que l'obligation d'intégrer aux dossiers la littérature scientifique des dix dernières années concernant le produit n'est pas respectée : nous avons, avec le réseau PAN Europe, examiné le dossier présenté pour sept molécules, et nous avons trouvé moins du quart des études qui auraient dû être intégrées aux rapports. Nous demandons donc que soient utilisées toutes les études scientifiques sans exception. C'est ce qu'a fait le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), qui a repris des milliers d'études publiées dans des revues à comité de lecture. Toutes ne se valant pas, ils ont d'abord procédé à un tri en fonction de la qualité scientifique, avant d'émettre un avis.

La seconde faille, c'est que, lorsque les études sont citées, elles sont balayées d'un revers de la main, et ce de différentes manières. Je citerai d'abord les copiés-collés dans l'affaire du glyphosate. L'avis dont nous pensions qu'il provenait de l'agence allemande était en fait écrit par Monsanto : un copié-collé du dossier original, sans le moindre commentaire ! Cela pose un réel problème…

D'autres méthodes sont critiquables car elles ne nous paraissent pas être fiables scientifiquement. Nous avons d'ailleurs déposé une plainte, à Lyon, pour mise en danger de la vie d'autrui et tromperie aggravée, mais elle a été rejetée au motif qu'il n'y avait pas matière à poursuivre. Nous avons fait appel, l'affaire suit son cours et je n'entrerai donc pas dans les détails.

Lorsqu'une étude scientifique est menée, deux groupes – en général de rats – sont comparés : le premier n'est pas exposé au produit testé – groupe de référence –, le second l'est. Bien entendu, le meilleur groupe de référence est le groupe contrôle de l'étude. Or il existe une pratique très courante consistant à aller chercher des groupes contrôle dans d'autres études, plus anciennes ; c'est ce qu'on appelle « des données de contrôle historiques ». Des entreprises rémunèrent des firmes spécialisées qui effectuent des recherches biographiques pour trouver 50 ou 100 groupes contrôle – comme cela a été le cas pour le glyphosate. Dans le lot, ils trouvent toujours un groupe – parce que ce n'est pas tout à fait la même souche de rat, par exemple – dont le taux de cancer est plus important que le groupe contrôle de l'étude, ce qui réduira le différentiel et fera baisser le poids statistique. Cette méthode, totalement non scientifique, est pourtant systématiquement utilisée, alors même que, selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la norme est bien le groupe contrôle de l'étude : on ne peut aller chercher un autre groupe que s'il existe une réelle déficience dans l'étude.

Autre bizarrerie, visant à écarter les données scientifiques publiées dans les revues à comité de lecture : dans les années 1990, une publication signée par un toxicologue, le docteur Klimisch, a proposé une classification des études selon leur qualité supposée, le rang 1 correspondant à celles qui ont suivi les « bonnes pratiques de laboratoire ». Lesdites pratiques, extrêmement contraignantes quant à l'enregistrement des données, ont été mises en place dans les années 1980 pour éviter les fraudes, mais n'entraînent pas d'amélioration de la qualité scientifique et sont de surcroît très coûteuses, de sorte que la plupart des universitaires ne les suivent pas. Malgré tout, le docteur Klimisch a réussi à imposer l'idée d'en faire le principal critère de sélection des études, si bien qu'aujourd'hui notre système écarte, de facto, la quasi-totalité des études universitaires au motif qu'elles ne suivent pas les « bonnes pratiques de laboratoire » en vigueur chez les toxicologues travaillant pour l'industrie.

Nous souhaitons que soit pris en compte l'ensemble des données scientifiques publiées et qu'elles fassent l'objet d'un tri en fonction de leur qualité scientifique, selon la méthode employée par le CIRC. Il est tout à fait anormal d'écarter une étude au motif qu'elle n'a pas suivi les « bonnes pratiques de laboratoire ». Je vous ferai parvenir un dossier où est évoqué le problème des méthodes statistiques employées. Ce n'est pas seulement la transparence des études, comme le demande le Gouvernement, qui est nécessaire ; il faut encore réformer la méthode de prise en compte du poids des preuves scientifiques, exiger que l'ensemble des données publiées soit réellement publié et se débarrasser de tous ces artefacts qui font qu'aujourd'hui, de facto, il ne reste dans les dossiers que les études des firmes.

Au demeurant, même les études des firmes démontrent que le glyphosate, par exemple, est responsable du développement de tumeurs chez les rats les plus exposés. Pourtant, ces données ne sont pas prises en compte, in fine, à cause de ces fameux groupes contrôle « historiques » que Monsanto et consorts sont allés chercher ailleurs pour écraser la différence entre les groupes exposés et non exposés. Nous démontrons, dans le dossier que je vous ferai parvenir, que le glyphosate est bien responsable de l'augmentation du taux des cancers, selon le degré d'exposition des rats.

Le règlement européen prévoit d'exclure, a priori, les agents cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR) des deux premières catégories – les certains et les probables – sur leur dangerosité intrinsèque et non après évaluation du risque, ce qui est une énorme évolution par rapport à la directive 91414CEE. Une application du principe de précaution, qui a fait dire au législateur européen qu'on ne peut pas accepter que des produits dont on sait qu'ils sont – certainement, probablement – cancérogènes pour l'homme soient mis et maintenus sur le marché.

Exclure un produit sur sa seule dangerosité veut dire qu'il n'est pas procédé à une évaluation de l'exposition – et donc du risque, c'est-à-dire du danger multiplié par l'exposition. Le règlement européen précise donc bien que ces CMR des deux premières catégories doivent être exclus pour leur dangerosité, ainsi que les perturbateurs endocriniens répondant aux critères qui ont été adoptés au niveau européen – critères qui ne permettront malheureusement pas d'en exclure beaucoup.

Il existe aujourd'hui une contre-offensive de l'industrie et d'une partie du monde politique pour revenir sur cette disposition du règlement européen, au profit d'un retour de la bonne vieille évaluation du risque ; une idée vendue par l'industrie. L'industrie qui a publié des brochures avec des dessins, notamment celui d'un lion – un animal dangereux – dans une cage et un enfant qui tourne autour, démontrant ainsi que le risque n'existe pas. C'est une présentation pour le moins simpliste, car nous ne pouvons à ce point maîtriser scientifiquement l'évaluation du risque lorsqu'il y a des CMR dans l'alimentation ou dans l'eau, et que des travailleurs y sont exposés.

Vous parliez de l'effet « cocktail », mais la répétition des doses dans le temps est, elle aussi, dangereuse. Il a été démontré qu'un certain nombre de maladies professionnelles sont liées aux pesticides. Les travaux de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) démontrent les liens qui existent entre l'exposition aux pesticides et un grand nombre de pathologies chroniques.

Nous soutenons la position de l'Europe sur la dangerosité des produits, et demandons une réforme de la procédure d'évaluation du risque dans le sens que je viens d'évoquer.

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