Intervention de François Villeroy de Galhau

Réunion du mercredi 18 juillet 2018 à 14h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France :

Merci des mots que vous venez de prononcer sur l'importance que cette audition peut revêtir pour la commission ; elle est, en tout cas, très importante pour nous.

Vous avez salué la coopération renforcée que nous avons engagée autour de ce rendez-vous économique. Dans une perspective plus large, je dirai que la Banque de France est une institution de la République, indépendante, au service de nos concitoyens. En contrepartie de cette indépendance, nous rendons régulièrement compte de notre action et de nos résultats, et cela d'abord devant les représentants de la Nation.

En introduction, et avant de répondre à l'ensemble de vos questions et préoccupations, je voudrais évoquer deux points : d'abord, la conjoncture économique qui est plus robuste que ce que l'on craignait ; ensuite, la nécessité, aujourd'hui en France, de saisir notre chance pour reprendre les mots que j'ai employés dans ce qu'on appelle traditionnellement la « lettre au Président de la République », mais dont vous avez heureusement rappelé qu'elle est aussi, de par la loi, destinée aux présidents des deux assemblées. L'appellation est donc plus médiatique que juridique.

D'abord, une conjoncture plus robuste qu'on ne le craignait. Je veux insister, parce que nombre de questions ont légitimement porté sur la conjoncture. Nous avons aujourd'hui plus de visibilité qu'il y a quelques mois ; il ne s'agit pas, selon nous, d'un retournement du cycle mais de l'enchaînement de trois temps : premièrement, une accélération en 2017 plus rapide qu'attendu et qui a porté la plus forte croissance depuis dix ans dans la zone euro et en France ; deuxièmement, un trou d'air début 2018, qui est désormais derrière nous ; troisièmement, aujourd'hui, la stabilisation à un nouveau palier de croissance.

Je ne reviens pas sur l'accélération en 2017 ; je me porte au début de l'année 2018, quand l'activité a marqué le pas en France comme dans la zone euro. Je me permets de noter au passage que la Banque de France a été la première institution à mesurer ce ralentissement dès le début de février dans son enquête mensuelle de conjoncture.

Dans la zone euro, l'activité se serait raffermie dès le deuxième trimestre, comme le montre le net rebond de l'indice de la production manufacturière en mai. Ce phénomène est particulièrement vrai en Allemagne, où les données déjà disponibles sur l'activité réelle – production, exportation, commandes – suggèrent une ré-accélération de la croissance dès le deuxième trimestre tandis que les anticipations des entreprises mesurées dans les enquêtes se sont stabilisées.

En France, cependant, ce trou d'air, se serait prolongé au deuxième trimestre avec une hausse du PIB attendue, selon nos prévisions, à plus de 0,3 %. Les grèves et le calendrier des jours fériés ont probablement pesé sur l'activité en mai. Néanmoins, à partir du mois de juin – cela fonde la visibilité accrue que j'évoquais –, l'activité a rebondi et les perspectives sont bien orientées pour le troisième trimestre.

Cela m'amène au troisième temps que je décrivais et qui conforte notre diagnostic de stabilisation à un nouveau palier et à un niveau significatif de croissance. Signalons que l'on constate une convergence remarquable des dernières prévisions de la Banque de France, de la Banque centrale européenne (BCE) comme du Fonds monétaire international, de la Commission européenne et du consensus privé.

Selon les différentes prévisions, qui sont convergentes, la croissance resterait solide en 2018, entre + 1,7 % et + 1,8 % en France, entre + 2,1 % et + 2,2 % dans la zone euro. La croissance demeurerait au-dessus de son rythme potentiel, c'est-à-dire la croissance de moyen terme de notre économie et avoisinerait, en 2019, + 1,7 % pour la France et + 1,9 % pour la zone euro.

Tel est le scénario central. Bien sûr, des incertitudes montent. Outre les effets directs sur les échanges commerciaux, l'incertitude induite par les menaces protectionnistes pourrait peser sur la confiance des entreprises, donc sur leur niveau d'investissement, et sur la confiance des marchés financiers. Ces effets de confiance, je le souligne, jouent avant même que les barrières tarifaires ne soient effectivement en place. On peut donc craindre qu'ils soient plus importants et, surtout, plus précoces.

De façon plus ciblée géographiquement, et parmi les incertitudes, il faut suivre les tensions financières, de retour dans certains pays émergents ; l'interrogation sur la future politique budgétaire italienne et les évolutions entre le Royaume-Uni et l'Europe ; et si je dois citer un troisième facteur géographique, j'évoquerai la fin, en 2020, de la relance fiscale américaine, qui n'est probablement, c'est notre analyse, qu'un stimulus temporaire.

Pour résumer, la croissance est encore là, mais nous devons renforcer notre vigilance.

Dans ce contexte, le policy mix doit reposer sur deux éléments essentiels. D'une part, la normalisation graduelle et prévisible de notre politique monétaire à mesure que l'inflation se rapproche durablement de notre cible de 2 %. Je voudrais, ici, souligner que les incertitudes pesant sur les perspectives de croissance affectent relativement moins les perspectives d'inflation. Ainsi le Conseil des gouverneurs de la BCE a-t-il conféré le 14 juin, de façon unanime, une plus grande clarté quant à sa stratégie. Les achats nets d'actifs devraient s'arrêter en décembre, tandis que le premier relèvement des taux d'intérêt pourrait intervenir au plus tôt à partir de l'été 2019. Il dépendra des données sur l'inflation. Cela étant, la politique monétaire est encore accommodante, en particulier grâce au maintien d'un stock important d'actifs au bilan de l'Eurosystème.

Le second élément du policy mix est la nécessaire consolidation de nos finances publiques, quelle que soit la trajectoire exacte de croissance et donc de déficit. L'essentiel est de regagner structurellement la maîtrise des dépenses.

L'intention affichée dans le programme de stabilité d'avril dernier, c'est-à-dire + 0,3 % de croissance annuelle des dépenses en volume sur 2019-2022, est la bonne intention pour faire enfin baisser notre ratio de dette publique et respecter nos obligations européennes. Pour autant, cet objectif doit être rapidement précisé dans ses moyens concrets, d'autant qu'il suppose une rupture forte par rapport au passé. Nous enregistrons une croissance annuelle d'à peu près 2 % par an au cours de la première décennie du XXIe siècle et d'un peu moins de 1 % par an depuis 2011. J'ajouterai que la France semble envisager, au-delà des baisses d'impôts substantielles déjà décidées, des diminutions supplémentaires d'impôts. Toujours souhaitées, elles sont rarement financées.

La condition impérative de baisse supplémentaire serait un effort encore plus important, c'est-à-dire une croissance zéro des dépenses en volume.

Je suis conscient que la rigueur publique est naturellement difficile, qu'elle suppose des ciblages et des arbitrages parmi les priorités. Ces arbitrages ne nous appartiennent pas, bien sûr, mais il s'agit d'une question de méthode dont on parle malheureusement un peu moins. Éléments-clés, les ministères et les agences de service public doivent être engagés sur des budgets et des objectifs exigeants mais prévisibles selon un pas de temps pluriannuel ; les managers et les fonctionnaires doivent être davantage responsabilisés avec plus de délégations et plus de simplifications. Bien sûr, procéder à la digitalisation des processus internes et des services aux publics est également un élément-clé.

Puis-je exprimer en la matière une conviction forte, nourrie par l'expérience ? Un service public performant et innovant peut redevenir, doit redevenir un grand atout de la compétitivité française. Nous le savons, mais nous devons maintenant, collectivement, passer aux actes au niveau de l'État comme dans les sphères sociale et locale. La croissance des dépenses de l'État était plus faible que sur les deux autres sphères au cours de la période passée.

La Banque de France s'efforce d'être exemplaire dans ce domaine avec son plan « Ambition 2020 ». En deux ans, elle a déjà réduit de 9,6 % ses effectifs et d'un peu plus de 4 % ses dépenses nettes d'activité, tout en maintenant l'intégralité de ses services aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux ménages dans les territoires. C'est évidemment important pour vous.

Second point : dans cet environnement conjoncturel, il faut saisir notre chance avec persévérance et dans l'équité. Depuis un an, la France en Europe a été exemplaire par l'accélération de ses réformes. Cette stratégie audacieuse fonde notre crédibilité retrouvée en Europe et notre influence dans la zone euro. Elle est essentielle pour faire avancer enfin l'union économique. La déclaration franco-allemande de Meseberg marque ici une très bonne étape. Le succès durable repose toutefois sur deux impératifs : d'une part, la persévérance, puisque chez tous nos voisins, le temps de retour des réformes a été d'au moins deux à trois ans ; d'autre part, l'équité afin que les gains bénéficient à tous, en priorité par le retour ou l'accès à l'emploi.

L'équité, c'est aussi la cohérence avec le modèle social européen que nous partageons. L'exemple de nos voisins européens en la matière est encourageant. Il montre qu'il y a compatibilité possible entre cohésion sociale et succès économique et que la mobilisation tenace produit des résultats concrets en termes de croissance. Les pays qui ont engagé davantage de réformes se placent au-dessus de la moyenne en termes de croissance cumulée au cours des dernières années comme en termes d'emplois cumulés. Ces pays sont de nature géographique différente et sont dirigés par des coalitions politiques elles-mêmes différentes.

C'est le moment pour la France de saisir sa chance, et si je dois résumer notre défi économique, je dirai que nous devons relever un défi « jumeau » : abaisser le chômage structurel qui est persistant au-dessus de 8 % et relever la croissance potentielle, c'est-à-dire la vitesse de croisière de notre économie qui est estimée par les économistes à environ 1,25 % seulement. Tel est notre défi. La croissance potentielle est malheureusement, en France, plus basse que la moyenne de la zone euro et nettement plus basse que celle de l'Allemagne. Symétriquement, notre chômage structurel, celui en dessous duquel nous avons des difficultés à descendre, est plus élevé que la moyenne de la zone euro.

Pour relever ce double défi, deux priorités se dessinent.

La première porte sur les réformes en profondeur de l'apprentissage, qui est encore trop peu attractif, et de la formation professionnelle qui est trop complexe et inégalitaire. Elles passent notamment par le projet de loi « Avenir professionnel » et des réformes de l'éducation. Il s'agit d'une nécessité absolue pour traiter le grave décalage entre demande et offre de travail. Nous avons tous l'occasion de rencontrer des entrepreneurs sur l'ensemble des territoires. La Banque de France a cette chance d'avoir des conseils consultatifs dans tous les départements. Alors même que notre pays affiche un taux de chômage d'environ 9 % et des centaines de milliers de jeunes au chômage, je suis très frappé de devoir constater que les difficultés d'embauche constituent aujourd'hui le premier frein des entreprises françaises ; le paradoxe n'est pas supportable.

La seconde priorité est le projet de loi pour la croissance et la transformation des entreprises, dit « PACTE ». Je me limiterai, ici, au chapitre II et, bien sûr, aux dispositions visant à améliorer le financement des entreprises, c'est-à-dire les articles 20 à 29 du projet. Je serai bref, monsieur le président, car je crois qu'un certain nombre d'auditions sont en cours sur ce texte.

En France et en Europe, nos entreprises ne manquent pas de crédits mais de fonds propres. Chiffres à l'appui, ce diagnostic de la Banque de France est très solide. Or les fonds propres sont d'autant plus importants qu'ils sont plus adaptés aux projets innovants. Les fonds propres ne représentent pourtant que 74 % du PIB dans la zone euro – en France aussi – contre près du double, 125 % aux États-Unis.

L'un des obstacles apparents à des placements accrus en actions est l'attachement des Français à la sécurité. Pour autant, il nous semble possible de mieux concilier actions, donc rendements plus élevés, et sécurité, en faisant le choix de placements à long terme plutôt que celui de la liquidité.

C'est l'une des raisons pour lesquelles les mesures eurocroissance et épargne retraite du projet « PACTE » nous paraissent bienvenues ; en plus de rendre ce dispositif plus lisible, elles facilitent l'investissement en actions tout en sécurisant les assurés sur le long terme, que ce soit par la généralisation de la gestion pilotée par horizon dans les produits d'épargne-retraite ou par la garantie en euros à l'échéance pour l'eurocroissance.

Permettez-moi d'ajouter un mot pour conclure sur le sujet « crypto-actifs » à propos de l'article 26 du projet de loi. Je souligne ce terme de « crypto-actif » qui est plus approprié que le terme abusif de « crypto-monnaie » pour des produits qui n'ont rien d'une monnaie. Ne confondons pas ces produits et l'innovation technologique positive et souhaitable autour de la blockchain. La Banque de France a d'ailleurs été pilote en la matière. N'ayons pas peur de mieux encadrer la déréglementation spéculative et le bitcoin. Paris n'a pas besoin d'être moins disant sur ces bulles pour devenir une grande place financière post-Brexit – et je m'arrêterai là.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.