Intervention de François Villeroy de Galhau

Réunion du mercredi 18 juillet 2018 à 14h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France :

Monsieur le rapporteur général, ce sont des questions évidemment très fortes. Je regrouperai les questions sur le sommet de Meseberg et sur l'union économique, et exprimerai de façon très résumée quelques convictions. Je les dirai, si vous le permettez, avec mes mots, en me fondant sur l'indépendance du gouverneur, qui n'est pas le négociateur mais qui essaye de juger des progrès ; je le ferai sous la forme de poupées russes.

La voie que trace la déclaration franco-allemande, qui n'est pas encore une décision européenne, s'oriente autour d'un certain nombre de progrès que je résumerai de la façon suivante. Premièrement, il faut, à côté de l'union monétaire, une union économique. Nous voulons une zone euro qui marche sur ses deux jambes. Force est de constater que si l'union monétaire est un succès, l'union économique est aujourd'hui insuffisamment développée, l'essentiel de la politique économique restant national. Aujourd'hui tout va bien en zone euro, mais pour gérer la prochaine récession, nous avons besoin d'instruments économiques partagés, ce qui m'amène au deuxième point. Si je dois résumer la déclaration de Meseberg dans la langue un peu sophistiquée des compromis, je dirai qu'elle repose sur deux « flotteurs » ou deux « paquets » : un paquet de partage du risque public et du financement public, et un paquet de partage du financement privé.

J'aborderai tout de suite le partage du risque privé puisque telle est la question que vous posez, monsieur le président, à propos de l'Union bancaire et de l'Union des marchés de capitaux. Je précise simplement, s'agissant du partage du risque public, que l'équilibre de Meseberg consiste à ajouter une idée française, le budget de la zone euro, et une idée allemande, le renforcement du MES. Une telle addition est positive. Pour reprendre les propos du rapporteur général sur le MES, je dirais que si l'on arrive à un filet de sécurité qui sécurise l'Union bancaire, puis à un mécanisme de prévention de crise, on aura bien travaillé par rapport au MES, qui était lui-même un progrès né de la crise. Le budget de la zone euro est évidemment une percée bienvenue ; il faudra en préciser les dimensions.

J'en viens à l'autre « flotteur », le partage du risque privé, dont on parle peut-être moins souvent, mais qui nous paraît essentiel car l'une des grandes ressources de l'union économique de la zone euro réside dans son excédent d'épargne privée sur l'investissement, qui est de 400 milliards d'euros environ chaque année. Tout l'enjeu de l'Union bancaire et de l'Union des marchés de capitaux est de mobiliser cette épargne européenne disponible en Europe pour des besoins d'investissements en Europe, qu'il s'agisse des fonds propres des entreprises, de la digitalisation, de la transition énergétique, etc.

Il faut encore préciser que du côté de l'Union bancaire, la déclaration de Meseberg marque une priorité en faveur du deuxième pilier, c'est-à-dire la résolution ou la restructuration des banques en difficulté.

Comme vous le savez, l'Union bancaire est en principe constituée de trois piliers : un premier pilier de supervision et de surveillance partagée est en place à Francfort depuis 2014, sous la présidence de Danièle Nouy ; le deuxième pilier, sur la résolution des banques en difficulté, n'est pas achevé, la priorité étant de le terminer ; un troisième pilier, sur la garantie commune de dépôts. Dès lors que le deuxième pilier, c'est-à-dire le traitement des banques en difficulté, est suffisamment efficace, le troisième pilier est moins indispensable ; il reste souhaitable, mais devient moins prioritaire.

Ma réponse à votre question tient dans le mot « priorité » : il convient d'achever ce pilier de résolution. Je vais entrer dans le détail et évoquer cet affreux anglicisme de « common backstop », que je vous propose de traduire par « filet de sécurité », mis en place avec des fonds publics. Il peut être mobilisé et, l'expérience des États-Unis le montre, ne coûte rien, in fine, au contribuable.

Nous voulons accélérer les restructurations de banques en Europe. Nous avons fait beaucoup de progrès sur ce sujet, mais nous sommes en retard. Il faut être capable de lancer des restructurations avec un filet de sécurité qui, au besoin temporairement, peut apporter le capital ou la liquidité nécessaire. L'expérience américaine, qui se protège d'un filet de sécurité de plusieurs centaines de milliards de dollars, nous montre que non seulement cela n'a rien coûté au contribuable, mais que cela lui a rapporté. Au surplus, cela a permis de lancer plus vite les restructurations. Telle est la percée permise par le sommet de Meseberg. Désormais, se pose la question du mode de fonctionnement de ce filet de sécurité, qui doit pouvoir intervenir de façon suffisamment souple, sans être conditionné à des procédures nationales trop lourdes, en particulier chez nos voisins d'outre-Rhin.

Pour finir de répondre à votre question sur l'Union des marchés de capitaux, monsieur le président, je précise qu'une ambiguïté a présidé à l'analyse de cette union : l'idée ne consiste pas à remplacer les financements bancaires par des financements de marché, cela ne présenterait guère d'intérêt, mais à ouvrir une capacité aux entreprises, qui ne seront pas pour autant obligées d'y recourir. Le dispositif ne vise pas à basculer vers le modèle américain de financement obligataire. En revanche, l'idée est d'offrir la possibilité de développer le financement en actions. Pour ce faire, il existe une série de mesures techniques. Je relève au passage, et je crois que c'est important pour votre commission, que la résolution qui avait été votée par votre commission des affaires européennes relative à l'Union des marchés de capitaux fait l'objet d'un consensus de principe qui réunit l'unanimité du Conseil des gouverneurs, y compris mon collègue allemand, mais elle n'est malheureusement pas assez « haute » sur l'agenda politique. En effet, elle est considérée comme un point technique. Il n'y a pas d'obstacles politiques à surmonter, mais il faut harmoniser le droit des faillites, avoir la possibilité de développer des produits d'épargne à long terme européens et, surtout, se doter d'un moteur institutionnel, c'est-à-dire renforcer l'Autorité européenne des marchés financiers, installée à Paris. Elle serait un moteur pour faire avancer cette Union des marchés de capitaux.

Pardon d'avoir été un peu rapide, mais si l'on va au bout de la logique de Meseberg, on arrive à un partage des risques publics d'un côté et à un partage des risques privés de l'autre, et à une union économique plus forte.

Un mot rapide sur les autres points. S'agissant des dépenses, je fais partie de ceux qui plaident en faveur d'une formalisation de l'objectif en termes de normes de croissance des dépenses indépendantes de la conjoncture. Autrement dit, rapporter les dépenses au PIB revient, certes, à utiliser une mesure commode mais cela risque de faire croître trop fortement les dépenses en période de conjoncture favorable.

Sur le plan technique, ma proposition d'une croissance des dépenses en volume équivaut à la réduction du déficit structurel – c'est-à-dire du déficit compte non tenu de la conjoncture. Cela équivaut à diminuer le déficit structurel de 0,35 point de PIB par an, ce qui est la norme européenne, mais un tel objectif est inexplicable à nos concitoyens. Il est préférable de leur dire qu'il est nécessaire de ralentir la croissance des dépenses en volume indépendamment de la conjoncture.

Je ne me prononcerai pas sur les priorités en termes de dépenses. Le choix relève de la représentation nationale et du Gouvernement. Je dirais simplement, qu'une comparaison avec nos voisins révèle un écart de dépenses qui est considérable. Pour un modèle social qui est proche, nos voisins de la zone euro ont seulement 45 % de dépenses publiques par rapport au PIB, la France 56 %, soit un écart de 11 points de PIB et un peu plus de 220 milliards d'euros. Je ne dis pas que nous pouvons réaliser aisément 220 milliards d'euros d'économies, mais il faut nous soumettre à une comparaison fonction par fonction pour comprendre de tels écarts.

Parallèlement à la détermination des priorités méthodologiques, j'insiste sur le management public. J'en ai l'expérience, y compris à la Banque de France. Responsabiliser les managers publics sur des enveloppes exigeantes mais prévisibles pluriannuelles et fongibles serait un élément très intéressant des progrès à réaliser en la matière.

Vous avez posé la question des délais de retour des réformes. Dans ma lettre dite au Président de la République et dans mon propos introductif, j'ai évoqué la persévérance. L'expérience de tous nos voisins fait ressortir un temps de retour de deux à trois ans, et démontre que les réformes marchent !

J'insiste sur ce point car la tentation consiste à dire que l'Europe est en retard en raison de l'euro ou du modèle social européen. Non. Certains de nos voisins sont au plein emploi. Leur niveau de croissance est significativement supérieur à la nôtre parce qu'ils ont eu la ténacité de réformer dans la durée. Cela suppose évidemment l'implication de tous, des pouvoirs publics mais aussi des acteurs privés, à commencer par les entreprises.

S'agissant du chômage structurel, le mérite des actions en faveur de la formation professionnelle et de l'apprentissage est un temps de retour un peu plus rapide, de deux ou trois ans alors que le retour des réformes éducatives, qui restent évidemment la mère de toutes les batailles, se profile à l'horizon d'une génération.

M. le rapporteur général a décrit très précisément les mesures du HCSF. Ces deux mesures sont de nature assez différente. Nous avons eu le sentiment que l'endettement de certaines grandes entreprises l'année dernière était trop rapide. Nous avons donc décidé de limiter l'exposition des banques à 5 % des fonds propres.

Nous avons dit très précisément que cette mesure « ne mordrait pas », et elle ne mord pas. Elle a été calibrée pour cela : je crois qu'elle envoie un signal, un garde-fou, mais, s'il le faut, nous la renforcerons. Le coussin contracyclique, en revanche, s'applique à toutes les banques et à tous les types d'emprunteurs, qu'il s'agisse des ménages ou des entreprises. Il faut insister sur le mot « contracyclique » parce que cette mesure a été largement mise en pratique dans d'autres pays mais pas en France. Il ne s'agit pas de stigmatiser le crédit ou de le ralentir lorsque le cycle est favorable, il s'agit au contraire d'éviter le ralentissement du crédit, en particulier aux PME, quand le cycle économique se retournera. En effet, nous avons appris des crises précédentes que le cycle du crédit existe également. Lorsque l'on charge beaucoup d'encours de crédits pendant les périodes fastes, il faut constituer suffisamment de provisions. Si on n'a pas emmagasiné de noisettes lors des périodes fastes, les noisettes nécessaires font défaut en périodes difficiles. C'est alors que le crédit aux PME, en particulier, en pâtit. C'est précisément que nous voulons éviter au moment du retournement du cycle.

Enfin, sur le plan stratégique de la Banque de France, je précise que nous maintenons toutes nos missions, que nous maintenons notre présence dans tous les départements. Il nous est arrivé d'avoir ce débat avec certaines autorités ou certains observateurs, et je crois qu'il est essentiel d'offrir ce service de proximité. C'est pourquoi il nous revient de nous organiser pour dégager des gains de productivité derrière le guichet. Mais tout ce qui est l'accueil des familles, en particulier des familles surendettées, tout ce qui relève de la présence auprès des très petites entreprises (TPE) et PME est maintenu et il y a même certaines missions pour lesquelles, à l'intérieur d'une enveloppe globale en baisse, nous avons demandé une augmentation des actions : c'est notamment le cas de l'ACPR. Vous vous souvenez peut-être, monsieur le président, monsieur le rapporteur général, que nous avons, grâce à vous, opéré l'an dernier un relèvement du plafond de ressources de l'ACPR de 190 à 195 millions d'euros. Là encore, nous respecterons un palier, mais il me paraîtrait souhaitable de garder ces 195 millions d'euros si nous voulons assurer notre rôle dans la supervision, y compris des pratiques commerciales et d'antiblanchiment.

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