Intervention de Jacqueline Gourault

Séance en hémicycle du lundi 30 juillet 2018 à 16h00
Utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique — Présentation

Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'état, ministre de l'intérieur :

Madame la présidente, madame la présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, après le Sénat, qui l'a mise à son ordre du jour et adoptée le 13 juin dernier, votre assemblée est saisie de la proposition de loi relative à l'harmonisation de l'utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique.

Le Gouvernement a jugé cette initiative législative particulièrement bienvenue et je me réjouis qu'elle puisse être discutée avant la fin de la session extraordinaire. Je ne m'attarderai pas sur l'origine des différentes dispositions législatives, adoptées par le Parlement depuis 2016, qui ont progressivement étendu le cadre légal autorisant les membres de différentes forces de sécurité à enregistrer leurs interventions au moyen d'une caméra mobile : tout d'abord, les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP, dans le cadre de la loi du 22 mars 2016 relative à la sécurité des transports collectifs de voyageurs ; puis les membres des forces de sécurité intérieure et les agents de police municipale, avec la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme.

Vous savez, mesdames et messieurs les députés, à quel point le Gouvernement est attaché à l'utilisation par les forces de sécurité de ces équipements qui présentent de réels atouts opérationnels et qui constituent un facteur d'apaisement des possibles tensions entre les représentants des forces de l'ordre et la population. Ainsi, dans le cadre de la police de sécurité du quotidien lancée en février dernier, avons-nous décidé de multiplier par quatre le nombre de caméras-piétons au sein de la police et de la gendarmerie nationale afin d'atteindre 10 000 caméras d'ici à 2019.

Nous considérons qu'à terme, quand ces équipements seront largement diffusés, déclencher sa caméra en cas d'incident ou de situation susceptible de dégénérer doit devenir un réflexe pour chaque policier ou chaque gendarme affecté sur le terrain. Du reste, il ne fait pas de doute que l'usage de cet équipement paraît plus efficace, en matière d'apaisement des relations entre forces de l'ordre et population, que la délivrance d'un récépissé en cas de contrôle d'identité. Dans le droit fil des orientations retenues sous la précédente législature, le Gouvernement entend donc maintenir le recours le plus large possible aux caméras mobiles dans un cadre de sécurité publique, et s'emploie à les déployer.

À l'origine, le but principal de la proposition de loi déposée par le sénateur Jean-Pierre Decool et plusieurs de ses collègues était de lancer, à l'instar de ce qui avait été prévu en 2016 pour les policiers municipaux, une expérimentation relative à l'usage des caméras mobiles par les sapeurs-pompiers. Au Sénat, le Gouvernement a indiqué qu'il comprenait l'intention d'une telle proposition, formulée après plusieurs graves agressions dont des sapeurs-pompiers avaient été victimes dans l'exercice de leurs missions de secours. Le ministère de l'intérieur a condamné ces agressions avec vigueur ; c'est avec la plus grande fermeté que de tels actes doivent être réprimés, et c'est avec la même fermeté que nous nous employons à faire en sorte que les interventions des sapeurs-pompiers puissent être effectuées dans des conditions de sécurité optimales, notamment en prévoyant qu'ils soient accompagnés par les forces de l'ordre si cela est nécessaire.

Cela dit, la possibilité pour les sapeurs-pompiers d'enregistrer leurs interventions constitue-t-elle un moyen de sécuriser ces dernières ? Le Gouvernement n'en est pas persuadé. Par ailleurs, les situations opérationnelles dans lesquelles les sapeurs-pompiers sont engagés peuvent poser question quant au respect de la vie privée – dans la mesure où ils sont amenés à pénétrer dans des domiciles sans mandat judiciaire – et surtout au secret médical. Toutefois, les modifications introduites par la commission des lois du Sénat ont apporté une réponse à ces questions, notamment en prévoyant que l'enregistrement ne saurait être déclenché dans les cas où il est susceptible de porter atteinte au secret médical. Dans ces conditions, s'agissant d'un dispositif à caractère expérimental pour une durée de trois ans, le Gouvernement s'en est remis sur ce point à la sagesse des parlementaires. Comme au Sénat, je souhaite toutefois appeler votre attention sur le fait que cette mesure ne pourra pas constituer l'alpha et l'oméga pour assurer la sécurité des sapeurs-pompiers.

Le Sénat a également inséré dans le texte de la proposition de loi un article additionnel qui vise à pérenniser l'expérimentation autorisant l'usage des caméras mobiles par les agents de police municipale. En effet, l'enregistrement de leurs interventions a été rendu possible par l'article 114 de la loi du 3 juin 2016, à titre expérimental pour une durée de deux ans. Cette disposition avait été introduite sur proposition de plusieurs députés, parmi lesquels votre collègue Florent Boudié. L'expérimentation, qui était applicable à la date de publication de la loi, n'a cependant pu démarrer immédiatement car sa mise en oeuvre était conditionnée à la prise d'un décret qui nécessitait la consultation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés – la CNIL – , pour des raisons évidentes que chacun comprend. Ce décret est sorti à la fin du mois de décembre 2016, mais la délivrance des autorisations et l'acquisition du matériel par les communes n'ont permis de faire réellement démarrer l'expérimentation que dans le courant de l'année 2017. Difficile alors, au vu des textes débattus depuis le début de la nouvelle législature en juillet 2017, de se prononcer sur l'opportunité de pérenniser ou d'abandonner une expérimentation qui venait à peine de commencer.

Conformément à ce qui était prévu par la loi, le Gouvernement a adressé au Parlement un bilan de cette expérimentation. Permettez-moi de vous en rappeler les principales informations : des autorisations ont été accordées à 391 communes, donnant lieu à l'utilisation de 2 325 caméras mobiles – chaque commune titulaire d'une telle autorisation possède ainsi en moyenne six caméras mobiles. L'acquisition de caméras mobiles par les communes a fait l'objet d'un soutien financier de l'État, à travers le fonds interministériel de prévention de la délinquance, à hauteur de 171 000 euros en 2017 : 116 communes en ont bénéficié pour l'achat de 893 caméras.

Les rapports reçus de la part des communes ayant participé à l'expérimentation insistent particulièrement sur le caractère dissuasif du port des caméras par les agents. Le constat d'une responsabilisation des personnes filmées et d'un plus grand respect envers les agents de police municipale est unanimement partagé. Les rapports précisent que le port d'une caméra individuelle présente un caractère rassurant pour les agents et permet de réduire l'agressivité des particuliers – et donc les infractions d'outrage à agents. Certaines communes soulignent ainsi que le port de caméras a permis d'apaiser des situations qui auraient pu dégénérer et conduire à des outrages envers les agents de police municipale. Un nombre important de communes précisent enfin que les agents de leur police municipale n'ont pas eu l'occasion de procéder à un enregistrement.

Les caméras mobiles ont également permis aux agents de police municipale de recueillir des éléments de preuve lors de certaines interventions. À plusieurs reprises, des extractions ont été utilisées dans le cadre de procédures judiciaires ; certaines ont permis d'identifier des contrevenants. Enfin, plusieurs communes ont souligné l'utilité pédagogique du dispositif : les policiers municipaux peuvent ainsi se former aux gestes et aux techniques d'intervention et améliorer leurs pratiques en visionnant les enregistrements réalisés lors d'interventions.

Je crois donc que nous pouvons largement nous accorder sur le fait qu'un bilan positif peut être tiré de l'usage des caméras mobiles par les agents de police municipale, ce qui explique au demeurant les nombreuses demandes de pérennisation du dispositif reçues par le ministère de l'intérieur. Le Gouvernement a donc accueilli très favorablement cette disposition complémentaire au sein de la proposition de loi.

Enfin, la proposition de loi fixe le régime d'utilisation des caméras mobiles par les agents de l'administration pénitentiaire. Le Gouvernement est bien entendu favorable, sur le principe, à un tel dispositif. Ce régime, similaire à celui dont bénéficient actuellement policiers et gendarmes, était à l'origine limité aux agents chargés des missions d'extractions judiciaires ou de transfèrements administratifs ; il a été élargi par le Sénat à tous les personnels de surveillance chargés de « missions présentant, à raison de leur nature ou du niveau de dangerosité des personnes détenues concernées, un risque particulier d'incident ou d'évasion ». Je précise que le dispositif décidé par le Sénat a un caractère expérimental, alors que la proposition de loi créait un régime permanent.

Le Gouvernement soutient pleinement le texte de cette proposition de loi. Je tiens à remercier votre commission des lois, et plus particulièrement votre rapporteure, Mme Thourot, pour leur travail. Je vous remercie en particulier d'avoir accepté d'adopter la proposition de loi sans modification, ce qui permettra de rétablir au plus vite une base légale afin que les agents de police municipale recouvrent la faculté d'enregistrer leurs interventions. J'ai bien conscience que les dispositions de l'article 2 sont perfectibles, mais je ne doute pas que des correctifs pourront, après le démarrage des expérimentations, y être apportés dans les meilleurs délais.

Je vous appelle donc, mesdames et messieurs les députés, à adopter cette proposition de loi dans les mêmes termes que le Sénat.

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