Intervention de Émilie Cariou

Réunion du mardi 24 juillet 2018 à 21h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉmilie Cariou, rapporteure :

Le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude a été adopté en Conseil des ministres le 28 mars.

Texte thématique hors loi de finances, il appelle chacun d'entre nous, comme chacun de nos groupes politiques, à prendre clairement position face au phénomène de la fraude à l'impôt. Nos concitoyens nous le font savoir chaque jour un peu plus : la fraude fiscale n'est pas qu'un problème d'argent en moins dans les caisses de l'État ; par son ampleur, elle atteint nos exigences de solidarité, ainsi que l'égalité entre citoyens et entre entreprises. Nous nous devons de la combattre efficacement, sans quoi nous ne pourrons que constater la corrosion profonde causée par l'inéquité fiscale, qui atteint le coeur de notre pacte républicain. Ce texte de lutte contre la fraude s'emploie à redonner des outils à l'État pour l'aider à juguler ce phénomène.

Le projet de loi comportait initialement onze articles, répartis en deux titres. Le premier titre – articles 1er à 4 – vise à renforcer les moyens alloués à la lutte contre la fraude fiscale.

L'article 1er crée une police fiscale rattachée au ministère des finances. Cet article a été supprimé par le Sénat. Nous aurons l'occasion d'en rediscuter. L'article 2 renforce les prérogatives des agents des douanes en matière de contrôle des logiciels dits « permissifs », grâce auxquels des fraudeurs parviennent à dissimuler l'encaissement de recettes en espèces. L'article 3 renforce les échanges d'informations entre administrations. L'article 4 porte sur les obligations des plateformes.

Le second titre du projet de loi porte sur les sanctions. L'article 5 prévoit que la peine complémentaire de publication de la condamnation pour fraude fiscale deviendra la règle, celle-ci ne pouvant être écartée que sur décision spécialement motivée du juge. L'article 6 crée une nouvelle sanction administrative consistant à publier, sous certaines conditions, les sanctions administratives appliquées aux personnes morales – name and shame en anglais. L'article 7 crée une sanction administrative spéciale applicable aux prestataires qui ont élaboré des montages frauduleux. L'article 8 renforce les amendes prévues en matière de fraude fiscale. L'article 9 étend la procédure de comparution immédiate sur reconnaissance de culpabilité à la fraude fiscale. L'article 10 renforce certaines sanctions douanières. Enfin, l'article 11 complète la liste française des États et territoires non coopératifs (ETNC) afin qu'elle intègre celle adoptée par l'Union européenne.

Le Gouvernement a engagé la procédure accélérée permettant la réunion d'une commission mixte paritaire (CMP) après une seule lecture devant chaque assemblée.

Le Sénat a adopté le texte en première lecture le 3 juillet dernier. Alors qu'il a disposé de trois mois pour étudier ce texte, nous avons dû optimiser les vingt et un jours dont nous disposions pour examiner les modifications apportées par le Sénat !

Le Sénat a supprimé l'article 1er sur la police fiscale, sensible probablement aux arguments du Conseil d'État, sans parler du débat sur les nouveaux moyens. Il a également ajouté dix-huit articles. Je proposerai la suppression de quatre de ces articles additionnels. De nombreux apports du Sénat devraient être conservés à l'issue de l'examen de ce texte par notre commission, même si je soutiendrai également un certain nombre d'amendements de réécriture de ces articles.

Je proposerai bien évidemment la réécriture de l'article 13, introduit par le Sénat, qui aménage le dispositif dit du « verrou de Bercy », en vertu duquel la poursuite de la fraude fiscale par le parquet est subordonnée à une plainte préalable de l'administration fiscale ayant recueilli un avis conforme de la commission des infractions fiscales (CIF).

Je l'indique d'emblée – même si la discussion interviendra à la fin de l'examen de ce texte, puisque l'article concerné est le dernier du projet de loi –, le dispositif introduit par le Sénat va dans la bonne direction, mais pas assez loin.

La réécriture globale de l'article répondra à l'essentiel des recommandations que la mission d'information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales – dont j'ai été rapporteure et qui était présidée par notre collègue Éric Diard, de la commission des lois – avait adoptées à l'unanimité. Plusieurs membres de cette mission sont d'ailleurs présents ce soir.

Je salue les évolutions récentes du Gouvernement en la matière. L'investissement sur le long terme des parlementaires et le sérieux de nos travaux, en collaboration avec toutes les administrations concernées, ont porté leurs fruits.

Nous allons mettre en place les moyens de la résolution de l'équation du « verrou de Bercy », en soutenant et en instituant un dialogue continu entre la justice et le fisc – en particulier grâce à la levée ciblée du secret fiscal.

Je profiterai également de ce propos liminaire pour apporter quelques précisions sur certains articles qui ont pu susciter des incompréhensions et des interprétations erronées.

Tout d'abord, l'article 4 sur les obligations des plateformes n'a ni pour objet, ni pour effet, de modifier le traitement fiscal des revenus tirés desdites plateformes. Ainsi, les vendeurs occasionnels de biens d'occasion passant par une plateforme continueront, comme avant, à ne pas payer d'impôt sur les revenus tirés de ces ventes. Par ailleurs, les obligations que cet article met en oeuvre sont pour beaucoup déjà en vigueur depuis plus de deux ans – seule la mise en application de certaines avait été retardée. J'appelle donc à un retour à la réalité sur cet article touchant l'économie numérique.

L'article 7 a suscité certaines interrogations, notamment de la part des avocats. Sanctionnant les intermédiaires qui rendent possibles des montages engendrant des manquements fiscaux graves, il ne remplace pas la complicité de fraude fiscale et n'aura pas pour effet de méconnaître les obligations liées au secret professionnel. Il cible essentiellement les officines fiscales qui proposent des prestations douteuses en dehors de tout cadre réglementé – notre collègue Fabien Roussel nous avait d'ailleurs présenté le film publicitaire d'un de ces organismes en février.

Enfin, l'article 11 concerne la liste des ETNC. Ces « paradis fiscaux » sont surtout des pays qui ne coopèrent pas. La liste française, complétée par la « liste noire » européenne, peut certes apparaître timide, mais la liste européenne a vocation à évoluer en 2019. Nous aurons donc à coeur de vérifier les engagements pris par les États figurant sur la « liste grise » européenne. En outre, la lutte contre les pratiques dommageables passe aussi par les nombreux autres outils anti-abus que comporte le droit français et qui permettent des redressements de plusieurs centaines de millions d'euros : la liste ne règle pas tout, mais ce n'est pas sa vocation.

S'agissant du périmètre de notre discussion, le projet de loi vise à renforcer la lutte contre la fraude, et plus précisément les fraudes dont sont victimes les administrations publiques. Il porte sur la fraude fiscale, la fraude aux contributions douanières et la fraude sociale. Il ne porte pas sur les fraudes dont peuvent être victimes nos concitoyens en matière de droit de la consommation, en matière bancaire, ou en toute autre matière. Ces sujets sont essentiels, mais relèvent d'autres textes et concernent d'autres commissions que la commission des finances.

Ce projet de loi n'est pas non plus un projet de loi de finances. J'émettrai donc des avis majoritairement défavorables concernant les amendements portant essentiellement sur des mesures fiscales. J'entends la nécessité de les déposer et de les défendre à plusieurs reprises, mais ces amendements pourront être redéposés dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2019.

Enfin, je voudrais rappeler que, s'agissant de l'évasion fiscale, une mission d'information est en cours, dirigée par notre collègue Bénédicte Peyrol – ici présente – et devrait rendre ses conclusions à la rentrée. Le présent texte s'attaque à la fraude, mais d'autres textes viseront l'évasion fiscale, à l'aune des travaux de la mission. Le PLF 2019 pourra également être un véhicule approprié.

Nous avons pu procéder à un certain nombre d'auditions dans le délai très court qui nous a été imparti. Nous avons entendu les administrations concernées – direction générale des finances publiques (DGFiP), brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) –, mais aussi des représentants des avocats, des procureurs, des plateformes, des organisations non gouvernementales (ONG), et des syndicats.

Je remercie nos collègues qui ont participé à ces différentes auditions. Vingt-neuf articles sont en discussion et nous allons examiner 203 amendements.

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