Intervention de Émilie Cariou

Réunion du mercredi 25 juillet 2018 à 14h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉmilie Cariou, rapporteure :

La convention judiciaire d'intérêt public a été instituée par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 ». Elle s'inspire du dispositif de la procédure de deferred prosecution agreement (DPA) américaine qui a permis d'accroître significativement la répression de la délinquance économique sans imposer la lourdeur induite par un procès pénal. La conclusion d'une CJIP n'est possible qu'avant la mise en mouvement de l'action publique. Elle peut mettre à la charge de la personne morale mise en cause le versement d'une amende ainsi que le suivi d'un programme de mise en conformité.

Les amendements visent à empêcher l'extension de cette procédure à la fraude fiscale elle-même, dont le principe a été décidé par le Sénat. Compte tenu de l'aménagement du « verrou de Bercy » que je proposerai à l'article 13, le parquet va être amené à examiner davantage de dossiers qu'aujourd'hui. Il est donc utile de lui donner une gamme d'outils diversifiée pour traiter ces affaires.

Par ailleurs, nous avons tous demandé que les parquets disposent de plus de pouvoirs pour pénaliser et sanctionner la fraude fiscale. On ne peut donc pas se plaindre que les parquets choisissent de recourir à une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) ou à une CJIP. Si nous ne faisons pas confiance à la justice ni à l'administration fiscale, vers qui nous tournerons-nous ? Il faut faire confiance au fisc pour les affaires fiscales et au juge pour les affaires pénales.

À ce jour, deux CJIP ont été conclues pour blanchiment de fraude fiscale, qui ont concerné HSBC et la Société Générale. Dès lors que, du fait de la publicité de la décision, le nom de l'entreprise est rendu public et associé à des faits de corruption et de blanchiment de fraude fiscale, il me semble qu'il y a bien reconnaissance de culpabilité de facto.

La CJIP sera d'ailleurs particulièrement adaptée aux hypothèses de complicité de fraude fiscale réalisée par des personnes morales, notamment lorsque les équipes de direction de ces dernières ont changé, ce qui se produit fréquemment, et ont pris des mesures pour ne plus reproduire la fraude. Nous ne parlons pas d'entreprises qui disparaissent deux ans après leur création, mais de sociétés qui ont plus de cent ans d'âge.

Je rappelle qu'au titre des instruments opposables figurent les redressements fiscaux, qui portent sur l'impôt dû, les intérêts de retard et les pénalités financières. La CJIP emporte une amende allant au-delà de la récupération d'impôt effectuée par les services fiscaux – amendes qui ont été respectivement de 200 et 300 millions d'euros dans les deux affaires citées : on peut se demander si un procès pénal aurait abouti à un tel résultat.

L'arsenal se compose donc d'amendes très lourdes susceptibles d'être prononcées et de la publication des noms des personnes morales impliquées, qui précise la nature des faits qui leur sont reprochés ; à ce titre il me paraît complet.

Nous avons eu l'occasion d'organiser de nombreuses auditions, et si la plupart des ONG étaient favorables à la CRPC, certaines se sont montrées défavorables à la CJIP ; pour sa part, l'association Transparency International s'y est déclarée favorable, considérant que la CJIP faciliterait le prononcé de sanctions en évitant le risque d'un enlisement procédural susceptible de durer des décennies.

Il n'y a pas de justice à deux vitesses : l'impôt sera redressé par l'administration fiscale, qui fait son travail de la même manière pour les petits comme pour les gros poissons, et il sera encaissé par l'État avec les indemnités, les pénalités de retard, etc. La sanction pénale interviendra par surcroît, et les montants auxquels ont abouti les deux CJIP évoquées me paraissent aller bien au-delà de ce qui aurait pu être obtenu par une procédure pénale, ce qui m'a été confirmé par des magistrats.

Encore une fois, la CJIP doit figurer dans la boîte à outils des magistrats, afin de traiter les nouveaux dossiers qui se présenteront devant la justice pénale.

Pour ces raisons, je suis défavorable aux amendements.

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