Intervention de Général François Lecointre

Réunion du mardi 17 juillet 2018 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général François Lecointre, chef d'état-major des armées :

Je n'ai qu'une vision assez faible sur la façon dont se déroulent les synergies entre la mission de l'UE et les missions de formation ou de conseil que nous sommes en train de conduire, que ce soit au travers de la Task force « Monsabert » ou de la Task force « Hydra ».

Nous sommes engagés aujourd'hui dans l'opération Inherent resolve et nous tenons à y rester le plus longtemps possible. L'opération Inherent resolve permet de mutualiser des moyens de soutien pour l'ensemble de l'opération, ce dont nous bénéficions.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, lorsque nous réfléchissons à la mise en place et au lancement d'une opération de l'OTAN, nous souhaitons éviter une duplication avec la mission Inherent resolve. Lorsque la mission de l'OTAN montera en puissance, nous souhaitons qu'il y ait une bascule des moyens de soutien de l'opération Inherent resolve dans l'opération de l'OTAN. Notre principal souci est aujourd'hui d'éviter un effet de ciseau et devoir ainsi s'engager seul ou en bilatéral, parce que nous n'aurions pas les moyens de soutenir cette opération d'ampleur dans la durée.

Je rappelle que la mission de l'UE n'est qu'une mission d'expertise, et non une réelle mission d'assistance et de reconstruction, alors que l'opération de l'OTAN sera réellement importante. Aujourd'hui, nous cherchons donc essentiellement les synergies entre l'opération Inherent resolve, qui est conduite par une coalition ad hoc, et l'OTAN, qui a la prétention de monter en puissance en Irak.

Concernant la réforme des retraites, nous avons reçu un premier courrier de Mme Buzyn et de M. Delevoye dans lequel ceux-ci ont affirmé la singularité des armées et la nécessité de conserver un système de retraite qui permette aux militaires de quitter l'armée après quelques années de service seulement, de façon à conserver une armée jeune. Par ailleurs, le président de la République a fait de nouvelles déclarations sur ce sujet à l'hôtel de Brienne au soir du 13 juillet.

Aujourd'hui, les travaux sont lancés. Nous avons rencontré M. Delevoye avec l'ensemble des chefs d'état-major des armées et le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) il y a un mois et demi à l'occasion d'une visite à la ministre. Nous réfléchissons à la manière dont nous préserverons ce système. Le principe de son maintien nous semble être acquis.

Par ailleurs, la réflexion sur la retraite est nécessairement à relier au sujet de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) pour laquelle ont été créditées des ressources importantes dans la LPM. Il faudra que nous prenions l'ensemble de ces sujets en compte.

Le régime de retraite des militaires est également un moyen important d'attractivité, de reconnaissance de la nécessité d'avoir une ressource humaine jeune et de reconnaissance du service proprement extraordinaire qui est rendu par ceux qui s'engagent dans les armées. Il convient néanmoins que ce régime permette en outre de garantir que nous conserverons, au sein des armées, les compétences dont nous avons besoin.

Enfin, je souhaite que nous soyons encore plus équitables que ce que nous l'avons été jusqu'à présent. Je pense notamment que le système par points permettra d'être plus équitable vis-à-vis des militaires sous contrat, qui passent peu de temps dans les armées.

En définitive, je souhaite être plus équitable, préserver la singularité militaire et la jeunesse de notre ressource humaine et conserver une incitation pour garder les gens qui pourraient bénéficier de la retraite à jouissance immédiate mais dont je ne souhaite pas qu'ils quittent les armées au moment où nous avons besoin de leurs compétences.

En matière de robotisation, le véritable sujet n'est pas de savoir quels sont les armées ou les adversaires qui nous surclassent aujourd'hui, mais de savoir, dans les espaces actuels où nous sommes engagés, face à un ennemi qui utilise assez peu la robotisation, quel peut être l'apport de cette robotisation. Aujourd'hui, le drone armé n'a pas besoin d'être utilisé contre un ennemi qui lui-même utiliserait beaucoup de robotisation, mais il nous permettra d'agir plus efficacement sur de très vastes étendues et face à un ennemi qui, au contraire, est tout à fait asymétrique et joue de sa dilution dans l'espace pour nous surclasser.

Aujourd'hui, la robotisation est vraiment pensée pour être une force supplémentaire dans des situations dans lesquelles nos engagements se caractérisent par le faible nombre des moyens que nous engageons, si nous le rapportons aux surfaces que nous avons à couvrir et à la diversité des ennemis que nous avons à affronter, bien plus qu'à leur niveau technologique. J'ai de bons espoirs que nous continuerons à progresser dans ce domaine et nous serons toujours extrêmement attentifs à ce que l'homme reste dans la boucle quel que soit le niveau de robotisation.

S'agissant de l'autre question que vous avez posée, M. de Ganay, il est évidemment hors de question de démanteler les bases de défense. Au lieu de cela, il est question, dans la réforme du soutien telle que nous l'envisageons, de créer des pôles de soutien qui seront rattachés aux formations soutenues, avec la possibilité d'un pouvoir prescripteur plus fort du commandant de la formation soutenue, tout en restant sous l'autorité du chef du groupement de soutien de la BdD.

Nous sommes donc en train de créer une adaptation fine et intelligente qui permettra de revenir sur les excès de la réforme précédente, qui avait profondément découplé les unités soutenues du soutien. Pour autant, compte tenu des efforts demandés aux soutiens, il n'est plus possible de revenir à la redondance qui prévalait avant les réformes.

M. Lachaud, je vous remercie pour le satisfecit que vous nous faites du travail de l'opération Barkhane. Effectivement, les soldats occupent le terrain. Vous avez jugé vous-même des distances et de la difficulté d'y vivre. Dans ces conditions, ce qui est extraordinaire, c'est que nous gênons aujourd'hui l'ennemi là où nous sommes. Encore une fois, cela ne se compte pas en nombre de morts. Cela se compte en présence, en suprématie que nous exerçons sur cet ennemi qui, par conséquent, ne peut plus terroriser les populations et qui n'a plus autant de liberté pour se mouvoir dans un espace et pour se substituer à l'État comme il le faisait auparavant. C'est ce rapport de force inversé qui est le gage du succès.

Pour le reste, parvenons-nous à faire venir les forces de police ainsi que les autres facteurs de développement autant que nous le souhaitons ? C'est objectivement compliqué. Il y a d'abord une partie qui ne dépend pas de moi. Je sais néanmoins que, lors des divers conseils de défense où nous travaillons sur ces sujets, le président de la République est très incisif et demande aux autres ministères de faire les efforts nécessaires. Je n'imagine pas que nous n'allons pas progresser dans ce domaine.

Par ailleurs, il s'agit d'un domaine qui demande de la prédictibilité. Nous faisons, pour notre part, des actions de développement, qui sont des actions d'accompagnement de l'action militaire, qui ne constituent pas des grands plans de développement en tant que tel. Les « développeurs » nous expliquent que les plans de développement de long-terme doivent pouvoir être anticipés de façon à produire des effets au bon moment. Nous donnons au Quai d'Orsay et à l'Agence française pour le développement (AFD) les moyens de cette anticipation, en les alertant sur les zones où nous allons nous déployer dans les mois et les années qui viennent. Je pense que cela permettra de donner les délais suffisants pour lancer les projets de développement au bon moment, c'est-à-dire aux moments où nous aurons produit nos effets de sécurité et où, enfin, arriveront, selon le bon tempo et le bon chaînage, les effets de développements qui doivent être produits. Je fais tout ce que je peux pour qu'on avance le mieux possible.

Je ne dispose pas encore du RETEX complet des frappes en Syrie. En revanche, j'ai un RETEX opérationnel sur ce que nous avons détruit, et c'est ce qui m'importe. Lors de ces frappes, j'ai expliqué que tout système militaire fonctionnait sur la redondance. Nous tirons plus de munitions qu'il n'en faut pour détruire les cibles que nous visons. Nous avons atteint les objectifs que nous nous étions fixés et nous les avons détruits.

Ensuite, je veux simplement relever que la mise en oeuvre d'équipements aussi modernes que les systèmes d'armes que constituent un missile SCALP et une frégate multi-missions est en soi un tour de force. La mise en oeuvre de ces systèmes par une puissance comme la France, qui les maitrise du début jusqu'à la fin, qui a un outil industriel qui permet de les concevoir et de les bâtir avec les grands industriels que sont MBDA ou Naval Group, qui arrivent à faire cette intégration de systèmes, est exceptionnelle. Je ne connais pas d'autres nations européennes capables de faire cela. Cela nécessite évidemment, par ailleurs, de la part des armées, une formation, un entraînement et une préparation opérationnelle extrêmement sophistiqués et exigeants.

Cela pose, malgré tout, une question de fond. Ces systèmes d'armes sont extrêmement sophistiqués, ils produisent des effets redoutables lorsqu'ils atteignent leur cible, mais ils coûtent extrêmement cher et donc, de facto, nous conduisent à réduire le nombre de tirs réels à l'entraînement et à faire des efforts considérables de développement de simulateurs de tirs. Cela ne doit pas nous exonérer d'essais à tir réel, lesquels ne nous garantiront d'ailleurs eux-mêmes jamais d'un défaut au tir d'une munition, quelle qu'elle soit. Cela pose à nouveau la question des stocks objectifs et des tirs de préparation à l'entraînement.

Pour répondre à M. Lainé, au Niger, je pense que le président Issoufou fait des choses assez remarquables. Je pense que le Mali avance progressivement. Les politiques maliens doivent prendre à bras-le-corps le point de départ que représente la mise en oeuvre de l'accord de paix et de réconciliation, accord politique devant permettre de rassembler tout le monde autour de la table et de faire avancer les choses, ce qui n'a pas vraiment été fait jusqu'à présent. Néanmoins, il y a une telle concentration d'attention de l'ensemble des donateurs, des pays qui interviennent, des organisations internationales autour du Mali qu'objectivement, tout est mis en oeuvre pour réunir les conditions qui mèneront au succès.

En revanche, je suis très inquiet pour la situation au nord du Burkina Faso, région en train de devenir une zone de non-droit et où nous avons peu de visibilité. Les évolutions de l'opération Barkhane iront marquer un effort dans ce secteur, ce qui requiert toutefois une participation des forces armées burkinabés. C'est pour cela que l'on compte également sur la force G5 Sahel, à laquelle le Burkina Faso participe.

S'agissant des actions en direction de la jeunesse, nous continuerons à communiquer, à faire des journées portes ouvertes, des périodes de réserve, des actions de cadets de la défense et de préparation militaire. Toute ma vie, je me suis engagé en allant dans les écoles, en essayant de forcer les portes de l'éducation nationale qui, pendant très longtemps, nous a regardés avec une certaine défiance. Nous continuerons à le faire.

Je pense que, fondamentalement, il faut que nous assumions notre singularité. Il faut dire aux gens que nous sommes leur force, et pas n'importe quelle force, et notamment pas les forces de l'ordre. Les armées sont là pour mettre en oeuvre la force de manière délibérée, jusqu'à tuer. C'est très singulier.

Or, c'est quelque chose qui est dénié, sur lequel on a souvent jeté un voile pudique parce que les gens refusent ce recours délibéré à l'usage de la force, en d'autres termes parce qu'il leur semble que rien ne légitime ce recours délibéré à la force. Je pense, qu'au contraire, il faut assumer que la France est suffisamment forte et sûre de ses valeurs pour considérer qu'il y a des combats qui valent d'être menés et qu'il y a des circonstances dans lesquelles, au-delà de sa propre survie, il est légitime que la France recoure à la force. Je pense que c'est cela qu'il faut expliquer.

Lorsque nous recourrons de manière délibérée à cet emploi de la force, il existe une forme de responsabilité collective de cet acte absolument terrible effectué par chacun des soldats qui, aujourd'hui, tue un ennemi. Comme vous le savez, ce soldat peut ensuite être marqué toute sa vie par un trouble post-traumatique. Il n'arrivera à mettre cette réalité à distance que si l'on arrive à faire partager à nos concitoyens que cette responsabilité de l'acte commis en leur nom est partagée entre le soldat qui tue et le citoyen qui donne l'ordre de tuer.

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