Intervention de Roland Lescure

Réunion du mercredi 5 septembre 2018 à 16h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoland Lescure, rapporteur général :

Je commencerai par dresser un tableau un peu sombre. Cela fait désormais trente ans que le mur de Berlin est tombé, une vingtaine d'années que la Chine a intégré l'Organisation mondiale du commerce (OMC), le capitalisme mondial n'a jamais créé autant de richesses – on a sorti un milliard de personnes de la pauvreté dans le monde – et, dans le même temps, on n'a jamais créé autant d'inégalités de revenus ni autant « tiré » sur les ressources naturelles de la planète – sans oublier qu'il y a dix ans, presque jour pour jour, éclatait une crise financière comme il ne s'en était jamais vu depuis 1929. Nous nous trouvons donc au coeur des paradoxes d'un système économique qu'il nous faut contribuer, dans les semaines à venir, à améliorer, à renouveler même.

J'ai pour ma part vécu ces dix dernières années en Amérique du Nord. J'ai vu arriver au pouvoir, aux États-Unis, un président, Barack Obama, avec de très belles idées – dont certaines ont été mises en oeuvre. Il prônait une économie plus verte, plus égalitaire. Il s'est heurté à deux obstacles inhérents à la société américaine. Le premier est institutionnel : les relations entre le parlement et le gouvernement ne sont pas toujours aussi constructives et simples qu'ici. Le second est une résistance réelle de la part d'un certain nombre d'Américains à la transformation d'un modèle qu'ils considèrent, à tort ou à raison, comme intangible. Surtout, après deux mandats, le parti de ce président a perdu l'élection et, depuis deux ans, avec son successeur, nous assistons, de mon point de vue, à un retour en arrière concernant tous les aspects que je viens d'évoquer, avec un protectionnisme, vous l'avez souligné monsieur le ministre, qui n'est pas la solution et des mesures fiscales qui privilégient le court terme et l'enrichissement.

La loi PACTE, c'est la réponse de la France à ce nouveau défi de l'économie mondiale – une France qui doit, vous l'avez rappelé, s'inscrire dans un cadre européen. Ce n'est pas un texte « de gauche » pour les salariés et un texte « de droite » pour les entrepreneurs : il concerne tout le monde et doit, si je puis dire, permettre la transformation du logiciel de tous les acteurs économiques : entreprises, État, salariés, investisseurs et consommateurs.

Ce projet de loi vise cinq objectifs : allonger l'horizon temporel de tous les acteurs – plus on considère que les choses doivent se faire à court terme, et moins on est proche de la vérité – c'est vrai pour nous aussi – ; aligner les intérêts de tous les acteurs économiques – les salariés doivent bénéficier davantage de la croissance et doivent aussi, en retour, être mieux associés à l'élaboration de la stratégie de l'entreprise – ; responsabiliser les acteurs – l'objectif n'est pas de les contraindre, mais de leur donner du pouvoir : ne pas ajouter de contraintes, donc, mais inciter, donner l'exemple – ; produire une société de l'émancipation – terme cher au Président de la République et à beaucoup d'entre nous – plutôt qu'une société de la rente ; construire un État stratège plutôt qu'un État actionnaire – un État qui doit, lui aussi, allonger son horizon temporel et changer de logiciel.

Les cinq acteurs de l'entreprise mentionnés doivent faire leur part du travail, si je puis m'exprimer ainsi.

Nous souhaitons que les entreprises soient plus libres, plus prospères, mais qu'elles soient aussi plus responsables – Denis Sommer, rapporteur pour le chapitre I, et Coralie Dubost, qui l'est pour le chapitre III, devront, avec vous, lever les contraintes et prévoir les nouvelles responsabilités qu'il s'agit de donner aux entreprises. Prenons l'exemple des seuils : il faut donner aux entreprises le temps de s'adapter. C'est la mesure essentielle prévue au chapitre I : nous allons adapter le cycle de la législation au cycle économique.

Les salariés, quant à eux, doivent mieux profiter de la valeur, laquelle doit être mobilisée au service de la stratégie de l'entreprise. L'intéressement concerne quelque 15 % des salariés, taux qu'il faut doubler.

Le logiciel des actionnaires et des investisseurs – j'ai été de ceux-ci pendant une dizaine d'années et donc je sais de quoi je parle – doit changer. On doit allonger leur horizon temporel ; or malheureusement, en France, on manque cruellement d'investisseurs de long terme – la Banque publique d'investissement est un exemple intéressant. Il y en a au Canada, j'en connais quelques-uns, mais également en Chine, en Norvège, en Suède et même au Royaume-Uni. L'épargne salariale est aussi un moyen d'allonger l'horizon temporel de nos investisseurs, à condition que ce capital soit dirigé vers les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui en ont besoin.

L'État doit être, j'y insiste, un État stratège, un État investisseur, dans certains secteurs ; il doit surtout être un État innovant et parfois un État protecteur – nous avons eu l'occasion de l'évoquer lors des travaux de la commission d'enquête par laquelle vous avez été auditionné, monsieur le ministre. L'exemple typique en la matière est celui de La Poste. Nous n'avons pas eu la possibilité d'en parler beaucoup ici, puisque l'annonce a été faite récemment que la Banque postale allait devenir une vraie institution financière publique, en particulier au service des territoires. Je suis impatient de discuter de l'avenir de ce modèle avec vous au cours de l'examen du présent texte.

Dernier acteur important, absent du projet de loi mais qui, à mon avis, est partout : le consommateur. Un entrepreneur, c'est un consommateur ; un salarié, c'est un consommateur ; un député, c'est un consommateur. Or nous sommes tous victimes de nos contradictions : quand nous rentrons chez nous, le soir, nous voulons manger des produits bio, parfois nous faisons du vélo, avec les coûts que ces habitudes entraînent et tout cela dans une logique de responsabilisation en tant que consommateurs. Il faut par conséquent que les acteurs économiques intègrent cette volonté réelle du consommateur de changer la société dans laquelle il vit, de manière à favoriser ce changement de modèle. Certaines entreprises – Starbucks, Uber… –, sont en train de souffrir, précisément, de leur incapacité à intégrer ce changement de modèle – faire du marketing, c'est bien, changer réellement le modèle économique, c'est mieux.

Je terminerai en évoquant mon rôle en tant que rapporteur général. Vous l'avez rappelé, madame la présidente, plus de 2 000 amendements ont été déposés sur le texte. Mon objectif, partagé par les quatre rapporteurs thématiques, nous en avons longuement parlé, est de vous écouter tous. Nous participerons certes au débat et nous efforcerons de le faire avancer, mais nous écouterons toutes les propositions de quelque banc qu'elles viennent. Ma tâche consistera à appuyer les rapporteurs thématiques, en première ligne sur les chapitres dont ils sont responsables, mais, si je puis me permettre, je serai également, un peu, le gardien du temple.

Je suis d'accord avec vous, monsieur le ministre, pour considérer que ce projet de loi est équilibré, cohérent – équilibre et cohérence qui me guideront quand je donnerai mon avis.

Enfin, contrairement à l'habitude française qui veut souvent que le travail s'arrête dès la loi votée, je souhaite que notre travail à tous continue une fois la loi votée. J'entends donc que soit mis en place un dispositif « serré », non pas pour vous surveiller, monsieur le ministre, mais pour vous suivre et nous assurer que les dispositions que nous allons voter seront bien exécutées et bien évaluées. Nous allons procéder à des changements importants, aussi des questions importantes vont-elles être posées au cours de l'examen du texte : la participation a-t-elle vocation à remplacer une partie du salaire ? Les salariés membres du conseil d'administration seront-ils vraiment écoutés ? Je souhaite vraiment que nous travaillions ensemble afin non seulement de voter le dispositif qui convient mais encore, j'y insiste, de faire en sorte qu'il soit appliqué.

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