Intervention de Bruno le Maire

Réunion du jeudi 6 septembre 2018 à 15h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises

Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances :

Je suis un ministre de l'économie qui aime les artisans et qui les connaît bien. Car je suis allé à chacune des assemblées générales des chambres des métiers et des artisans. Après avoir été trois ans ministre de l'agriculture, j'ai eu l'occasion de rencontrer des centaines et des centaines d'artisans.

Je rejoins totalement ce que vient de dire le rapporteur. Je l'ai dit devant les représentants des artisans : le modèle doit évoluer. Est-il en effet logique de garder un droit de suite et une limitation à 50 salariés pour bénéficier du label artisan ? Cela me paraît non seulement absurde, mais aussi défavorable aux artisans. Car « artisan » ne veut pas dire « petit ». Des artisans peuvent avoir beaucoup de salariés, sans rien perdre du savoir-faire, du professionnalisme et de la tradition des artisans.

Quant au stage préalable à l'installation, il est pour moi dépassé. Il constitue une barrière à la création de nouveaux artisans. Je crois à la liberté d'entreprendre. En disant cela, je m'adresse en particulier aux membres de cette majorité, parce que je sais que c'est profondément dans son ADN : la liberté d'entreprendre, c'est aussi le risque. Il n'y a jamais de garantie. La suppression de l'obligation de stage n'est pas une idée de Bercy, monsieur Potier : c'est une idée personnelle du ministre de l'économie et des finances, que je défends depuis des années. Oui, il faut que le métier d'artisan, essentiel sur notre territoire, essentiel à la culture et à l'identité française, se renouvelle, et en finir avec les visions passéistes.

Entreprendre, c'est prendre un risque : cela peut marcher, cela peut échouer. Ce qui compte, c'est de pouvoir rebondir, et c'est exactement l'esprit et la philosophie de cette loi. Le vrai défi français, ce n'est pas de protéger systématiquement ; c'est au contraire de libérer. Ce n'est pas de multiplier les garanties, ceinture et bretelles en veux-tu en voilà ; c'est au contraire de laisser à chacun l'audace de créer son entreprise, y compris dans le domaine de l'artisanat.

Mais nous sommes responsables : bon nombre de gens sont venus faire le siège de mon bureau en me demandant de supprimer la qualification des artisans ; ce à quoi, pour le coup, je suis totalement opposé. Ce serait dévaloriser le métier d'artisan : quand on est coiffeur, par exemple, il est important d'avoir son CAP de coiffure. Mais il est aussi essentiel de reconnaître la valeur de ce diplôme : à partir du moment où vous avez votre CAP, pourquoi exiger de surcroît un stage à l'installation ? À quel autre jeune demande-t-on, après l'obtention de toutes les qualifications et diplômes requis, de suivre un stage préalable avant de s'engager dans la vie active ? Non seulement c'est dévalorisant pour les artisans, mais c'est une barrière à l'embauche. Pour entreprendre, il faut une compétence ; elle est maintenue. Il faut une règle juridique ; c'est le registre unique. Il faut un financement ; c'est le rôle de la loi PACTE.

L'obligation de stage garantit une protection universelle et serait une question de justice. Je crois exactement l'inverse : c'est profondément injuste. Il faut savoir que 35 % des artisans sont dispensés du stage préalable à l'installation, prétendument obligatoire. J'aimerais savoir sur quels fondements sont accordées ces dispenses. J'aimerais savoir qui dispose de ces dispenses et qui en juge. Cela ne fait que créer de l'incertitude ; or l'incertitude n'est pas bonne pour la vie économique. Pour moi, il en va exactement de ce stage comme du service militaire obligatoire : dès lors qu'il y a des dispenses, ce n'est plus juste. Et un taux de 35 % de dispenses, voilà qui en dit long sur la justice de ce stage préalable à l'installation.

On m'objecte que ce n'est pas une barrière à l'entrée. Si vous estimez que 194 euros, ce n'est rien, libre à vous… Je vois quant à moi suffisamment de jeunes qui commencent leur vie active pour savoir qu'ils sont effectivement à 194 euros près. Quant à savoir si cela représente autant d'argent économisé par la suite, j'aimerais être certain que les chiffres qu'on avance au sujet de la durabilité des entreprises qui sont passées par le stage préalable à l'installation reposent sur des faits scientifiques, techniques et avérés.

En tout état de cause, c'est toute notre vision de l'économie qui se joue sur cette question. Croit-on à la liberté d'entreprendre ou estime-t-on qu'il faut systématiquement l'encadrer ? Pour ma part, je n'ai aucun doute. Je l'ai dit clairement devant les artisans : il faut rendre facultatif ce stage préalable à l'installation. Que ceux qui ressentent le besoin d'avoir un complément de formation en gestion le fassent, c'est très bien. Cette possibilité sera ouverte ; les chambres de métier et de l'artisanat pourront continuer à le distribuer. Mais maintenir cette obligation de stage, de surcroît fondamentalement injuste, parce qu'il est obligatoire uniquement pour quelques-uns, très franchement, je suis contre.

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