Intervention de Bruno le Maire

Réunion du vendredi 7 septembre 2018 à 9h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises

Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances :

Au fond, nous avons toujours le même beau débat : que voulons-nous pour l'économie française. Moi je veux des PME qui créent des emplois. Or vous ne créerez pas d'emplois dans les PME – et nous en resterons à la situation que nous connaissons depuis trente ans – si vous n'allégez pas les charges qui pèsent sur les PME, les contraintes réglementaires et les charges financières. On a parfois reproché à la loi sa complexité – je l'assume dans un environnement économique complexe. Il nous revient de lever un à un ces obstacles à la croissance de nos PME.

Vous êtes tous des élus locaux. Vous voyez bien que nos PME sont trop fragiles, qu'elles ne sont pas assez profitables, qu'elles n'investissent pas assez, qu'elles ne se digitalisent pas, que leurs produits ne sont pas au niveau de la compétition mondiale et que nous perdons du terrain. Les chiffres sont sans appel.

Il y a dix-huit ans, notre pays comptait le même nombre d'entreprises de taille intermédiaire que l'Allemagne. Aujourd'hui, nous en avons près de trois fois moins. Nos PME n'ont pas grandi. Ce n'est pas la faute des entrepreneurs, c'est parce que nous refusons, nous responsables politiques, d'adapter notre modèle économique.

Comme l'a dit Cendra Motin, les commissaires aux comptes avec lesquels j'ai eu de longues discussions, reconnaissent qu'ils n'ont pas procédé à la nécessaire modernisation de leur profession. Qui fait-on payer ? Les entrepreneurs et les PME. Je suis désolé, cela ne peut pas continuer ainsi.

La mesure que nous proposons rend 700 millions d'euros aux PME. Sans remettre en cause la sécurité des comptes de ces PME puisqu'il s'agit non pas, je le précise à M. Quatennens, de supprimer mais d'harmoniser les règles. Nous garderons une certification des comptes mais à un niveau qui sera plus élevé.

Pour ma part, je revendique cette volonté d'alléger, de simplifier la vie de nos entrepreneurs, en particulier des petites et moyennes entreprises, pour qu'elles créent de l'emploi. Telle est la philosophie fondamentale du texte.

Je voudrais faire le point très honnêtement sur la situation actuelle, pour qu'on comprenne bien de quoi nous parlons.

D'abord, elle est extrêmement complexe. Comme toujours en France, avec les meilleures intentions du monde, on a rajouté des règlements, des lois, des arrêtés, des précisions : pour faire le bonheur de tous, on a fait le malheur de chacun. Aujourd'hui, nous avons le système le plus complexe au monde en matière de certification des comptes. Pour toutes les sociétés anonymes, il y a, sans condition de seuil, une obligation de certification des comptes. Pour les sociétés à responsabilité limitée, les sociétés en nom collectif et les sociétés en commandite simple, il y a l'obligation de certification des comptes lorsque deux des trois seuils suivants sont atteints : une taille de bilan supérieure à 1,55 million d'euros, un chiffre d'affaires hors taxes supérieur à 3,1 millions d'euros et un effectif de cinquante personnes. Cette obligation de certification des comptes s'applique à toutes les sociétés par actions simplifiées lorsque deux des trois seuils suivants sont atteints : une taille de bilan supérieure à un 1 million d'euros, un chiffre d'affaires hors taxes supérieur à 2 millions d'euros et un effectif de vingt personnes. Jugez la complexité de notre législation ! Il faut donc prendre un peu de recul et regarder l'absurdité du système auquel nous sommes parvenus par empilement de décisions successives animées des meilleures intentions du monde. Trente ans plus tard, le résultat est sans appel : du chômage, des entreprises qui ne grandissent pas et une complexité invraisemblable.

La directive européenne précise que sont soumises à obligation de certification des comptes toutes les entreprises qui ont un bilan supérieur à 4 millions d'euros, un chiffre d'affaires supérieur à 8 millions d'euros et un effectif de cinquante personnes.

Très souvent, dans le débat public, on entend dire que Bruxelles réglemente sur tout, la taille des poireaux, le calibre des navets, les chasses d'eau… Parfois c'est vrai, et parfois c'est totalement faux. En l'espèce, c'est totalement faux. La complexité est du côté de la France, et la simplicité du côté de l'Europe. Je souhaite donc que nous fassions nôtre cette simplicité et que nous renoncions à cette complexité administrative française qui, je n'hésite pas à le dire, tue nos PME et l'esprit d'entreprise.

Par ailleurs, il est possible de déroger à ces seuils vers le haut. Vous avez cité l'exemple de la Suède : le débat est effectivement en cours dans ce pays, mais pour l'instant aucune décision n'a été prise sur le fait de rabaisser ou de changer les seuils.

Certains États ont décidé d'aller plus loin que cette directive européenne qui a le mérite de la simplicité et de la lisibilité. Il en est ainsi de l'Allemagne, l'Autriche, des Pays-Bas, du Royaume-Uni – je n'ose pas dire que ce sont les pays qui ont aujourd'hui le plus faible taux de chômage en Europe, mais il se trouve que c'est le cas. Ils ont utilisé l'option dérogatoire de la directive pour remonter le seuil de chiffre d'affaires en le passant de 8 à 12 millions d'euros. Ayons ces chiffres en tête. Nos principaux compétiteurs en Europe, ceux qui rivalisent le plus avec nous en termes de commerce extérieur, de vente de leurs produits et de dynamisme économique, peuvent avoir un chiffre d'affaires d'obligation de certification des comptes de 12 millions d'euros, contre 1,55 million d'euros pour nous. On peut toujours faire la course avec des boulets aux pieds mais c'est plus compliqué de la gagner. Interrogeons-nous : pourquoi notre niveau de croissance est-il systématiquement en dessous de celui de nos partenaires européens ? Allons au fond des choses dans le cadre de l'examen de ce texte, regardons les chiffres et la réalité en face. On peut toujours faire de grands discours à la radio ou à la télévision, mais à un moment donné il faut analyser les faits crûment et faire des choix politiques. Chaque choix est respectable, mais il faut expliquer aux Français pourquoi nous en sommes là.

Ces seuils ont un coût moyen de 5 511 euros pour toutes les entreprises sous les seuils européens soumis à une obligation de certification des comptes. Pour certaines, il sera de 10 000 ou 12 000 euros.

On peut toujours se plaindre de la faiblesse de la croissance française, on peut toujours dire que nos PME ne sont pas assez compétitives, on peut toujours ressasser les mêmes discours : il faut s'en tenir aux chiffres et c'est l'intérêt du débat parlementaire de les rappeler. Moi je ne veux plus que les PME payent en moyenne 5 511 euros parce qu'elles sont soumises à des seuils de certification sept à huit fois plus stricts que ceux de leurs concurrents européens. Elles ne peuvent pas rivaliser dans de telles conditions.

On m'explique que la qualité des comptes des entreprises varie beaucoup en fonction de la certification. Or ce n'est pas ce que montre l'analyse des redressements fiscaux opérée par la Direction générale des finances publiques (DGFiP). Certes, on peut contester la validité des examens de l'IGF, comme l'a fait Charles de Courson. Mais je n'ai pas d'autres éléments à ma disposition. La DGFiP a établi de manière très précise que le nombre de redressements fiscaux opérés pour des motifs d'inexactitude comptable ne varie pas significativement en fonction du franchissement du seuil. Juste au-dessous des seuils, il n'y a pas de différence majeure dans la qualité des comptes des entreprises. Certains avancent parfois l'argument – pas dans cette salle – que je voudrais tout de suite écarter d'un revers de main, selon lequel nous serions un pays latin pas respectueux des règles et que nous aurions vocation, voire tendance à tricher. Je suis désolé, ce n'est pas ce que disent les responsables de l'administration fiscale.

Avoir des comptes certifiés permettrait, me dit-on, d'accéder plus facilement à du crédit bancaire. J'ai étudié les cotations FIBEN de la Banque de France pour vérifier s'il y avait une différence importante suivant que l'on est certifié ou non par un commissaire aux comptes. Résultat : il n'y a pas de différence majeure.

Tous ces éléments que sont la complexité, le coût, la différence de compétitivité par rapport à nos partenaires, nous ont amenés à faire ces propositions de réforme des seuils d'audit légal pour nous ajuster sur les seuils européens.

Les commissaires aux comptes ont objecté que tout cela était beaucoup trop brutal pour eux. J'aurais pu écarter leurs remarques d'un revers de main et leur dire : il y a un rapport de l'IGF, circulez, il n'y a rien à voir. Mais ce n'est pas ma méthode. J'ai rencontré à plusieurs reprises les commissaires aux comptes – et je recevrai d'ailleurs à nouveau leur représentant à l'heure du déjeuner. Comme ils trouvaient le rapport de l'IGF trop technocratique, je leur ai proposé d'en rédiger un eux-mêmes. Il a été utile car nous avons fait, à partir de ces conclusions, un certain nombre de propositions. À cet égard, je conteste formellement le chiffre de 4 500 suppressions d'emplois. Cela aurait peut-être été le cas sans mesure d'ajustement. Mais le texte prévoit précisément toute une série de dispositions qui répondent aux attentes et aux craintes des commissaires aux comptes sur la base du rapport qui a été remis par Patrick de Cambourg il y a quelques semaines.

Nous allons ainsi créer une mission d'audit simplifié pour les petites entreprises. Les commissaires aux comptes, notamment dans les territoires ruraux, craignent en effet de disparaître, le mandat de six ans étant trop lourd. Nous avons accepté de définir un nouveau mandat dont la durée sera deux fois moindre – trois ans –, avec des missions allégées, et donc un coût allégé. Cela répond à une demande très forte des commissaires aux comptes. Cette mission, qui sera facultative, pourra rassurer beaucoup de petits entrepreneurs. Elle sera moins inaccessible que la mission actuelle, nettement trop lourde pour une PME. Nous allons retenir cette très bonne idée des commissaires aux comptes.

Par ailleurs, les commissaires aux comptes se sont beaucoup interrogés sur les groupes. Nous avons accédé à leur demande en créant une mission d'audit sur les petits groupes, c'est-à-dire les groupes dont le chiffre d'affaires global dépasse 8 millions d'euros mais qui comprennent différentes entités. C'est la deuxième proposition.

En troisième lieu, nous allons offrir une passerelle pour que les titulaires du certificat d'aptitude aux fonctions de commissaire aux comptes puissent également s'inscrire à l'ordre des experts-comptables et qu'il y ait ainsi davantage de fluidité entre les deux professions qui, très souvent, se regroupent.

Au-delà de ces premières mesures, nous allons présenter quatre séries de propositions complémentaires.

Premièrement, il s'agit de reconnaître le statut d'expert-comptable en entreprise. Comme il existe des avocats d'entreprise, il y aura des experts-comptables en entreprise. C'est un changement très important pour la profession qui, ainsi, ne reposera plus uniquement sur les cabinets, mais qui pourra également se développer dans l'entreprise. Cela augmentera le nombre d'experts-comptables. La mesure leur offrira également une sécurité puisqu'ils seront membres de l'entreprise.

Deuxièmement, nous allons ouvrir la possibilité de facturer des honoraires qui seront liés au succès des missions réalisées, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Si une fusion acquisition a bien fonctionné, si les commissaires aux comptes ont joué un rôle dans la certification de cette mission – puisque nous élargirons aussi le périmètre des missions des commissaires aux comptes – ils pourront dorénavant bénéficier d'honoraires liés au succès de l'opération.

Troisièmement, nous reconnaîtrons la possibilité pour les experts-comptables de gérer les créances et les paiements des dettes pour le compte de leurs clients.

Enfin, nous donnerons un mandat d'intervention auprès de l'administration fiscale pour les commissaires aux comptes.

Telles sont les mesures complémentaires dont nous avons discuté avec la profession et que j'évoquerai avec le président de l'ordre d'ici à quelques instants. J'ai été un peu long sur le sujet, mais l'enjeu est considérable. Je crois profondément qu'il existe une voie permettant à la fois d'alléger la charge qui pèse de manière indue sur nos PME et qui les empêche d'être compétitives par rapport à leurs grands voisins européens, et de moderniser profondément la profession de commissaire aux comptes en leur ouvrant de nouvelles perspectives, de nouvelles possibilités de certification et une vraie diversification de leur métier.

1 commentaire :

Le 17/09/2018 à 14:21, Alain Bourge (Audit ) a dit :

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Monsieur Le Ministre

Mesdames et Messieurs,

j'ai lu avec attention votre discours sur la réforme de l'audit des commissaires aux comptes.

je comprends que les économies réalisées seraient de 700 millions d'euros. Mais si l'on ramenait à une société de petite taille, le montant des honoraires moyens serait de 5.000 euros. Pensez-vous qu'une entreprise pourra embaucher un salarié en lui proposant 5000 euros annuels ? Cet économie permettra tout au plus d'acquérir du matériel informatique (provenant de Chine)... voilà les répercutions de cette réforme en plus celles évoquées par les propos plus hauts.

Je vous prie d'agréer, Monsieur Le Ministre, Mesdames et Messieurs de la Commission.

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