Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du jeudi 13 septembre 2018 à 9h30
Équilibre dans le secteur agricole et alimentaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, chers collègues, en cette rentrée parlementaire, je constate que les mauvaises habitudes ont la peau dure. Une fois encore, un texte capital pour nos agriculteurs fait l'objet de cette malheureuse procédure dite du « temps législatif programmé », dont la première conséquence est la quasi-impossibilité, pour les députés non inscrits, de défendre leurs amendements. Drôle de conception de la démocratie et des droits des parlementaires !

Dès lors, chers collègues, je n'aurai le temps de vous parler ni des indicateurs de prix, ni de la culture bio, ni du bien-être animal et de l'abomination que constitue l'abattage rituel. Je ne vous parlerai pas non plus de l'interdiction des pailles en plastique en France, même si je me réjouis – soit dit en passant – de constater que la proposition de loi que j'ai déposée à ce sujet a finalement retenu votre attention dans le cadre du présent projet de loi.

Ce matin, je vous parlerai de viticulture. Voici une quinzaine de jours que je visite les caves de ma circonscription. À Sérignan la semaine dernière, à Hérépian ce samedi, à Cers, Portiragnes et Corneilhan mardi, je suis allée à la rencontre de ces vignerons fiers de leur travail, qui portent haut les couleurs de notre territoire au sein de ces caves coopératives, véritables cathédrales de notre grand Biterrois, qui façonnent à leur manière nos paysages et nous remémorent notre histoire. Depuis plusieurs années, nos viticulteurs subissent de plein fouet les aléas climatiques : sécheresse, gel, grêle, épisodes neigeux inattendus, et cette année des précipitations hors norme aux mois de mai et juin, qui ont eu pour conséquence la recrudescence du mildiou.

Quelles sont les préoccupations de nos viticulteurs ? Elles nous reviennent année après année, preuve – s'il en fallait – de notre incapacité à trouver des solutions et à prendre ces sujets à bras-le-corps. Le texte de loi y répond-il ? Malheureusement très partiellement. Un exemple : alors même que vous vous étonnez chaque jour, chers collègues de la majorité, que l'Europe fasse l'objet de tant d'incompréhension – pour ne pas dire plus – , comment expliquer les différences de réglementations entre pays membres ?

Parlons concrètement : certains pays ont négocié des dérogations afin de pouvoir utiliser des produits phytosanitaires interdits ailleurs. L'Espagne, pour ne pas la nommer, autorise le traitement de ses vignes par des produits interdits en France, qui de surcroît coûtent beaucoup moins cher que ceux utilisés par nos viticulteurs.

Or rien n'est fait pour interdire à ces vins espagnols d'entrer en France. Nous n'exigeons même pas que leur étiquette mentionne clairement les produits avec lesquels ils ont été traités ! C'est une double trahison, envers nos viticulteurs français – qui subissent de plein fouet cette concurrence déloyale – et envers les consommateurs français qui, pour la plupart, ne savent pas qu'ils achètent du vin espagnol ni qu'il est produit avec des traitements interdits en France !

En matière viticole toujours, vous souhaitez supprimer l'article 11 nonies F du texte, introduit par le Sénat en première lecture, rétablissant la déclaration de récolte pour les viticulteurs récoltants. Celle-ci est pourtant un outil indispensable de la traçabilité des vins AOP – appellation d'origine protégée. Elle est la base du recoupement des informations provenant des viticulteurs récoltants et des viticulteurs non récoltants.

Sa suppression entraînerait un contrôle de la traçabilité plus complexe et moins efficace, une mise en oeuvre des assurances climatiques plus complexe, la remise en cause de certaines mesures de régulation de l'offre – et j'en passe. Vous dites vouloir simplifier la vie des viticulteurs, monsieur le ministre : supprimez donc la déclaration annuelle d'inventaire, qui fait doublon avec la déclaration annuelle de stock ! Cette demande est formulée depuis quinze ans.

La déclaration de récolte a été créée à l'issue des révoltes vigneronnes de 1907, en vue de renforcer la traçabilité des vins. Comme vous le savez, à Béziers, il s'agit d'un épisode de notre histoire qui nous est cher et que nous défendons !

Dernier exemple, dernière préoccupation – et non des moindres : la fin programmée de l'exonération des cotisations sociales pour les agriculteurs employant des travailleurs saisonniers, prévue par le projet de loi de finances à venir. Cette mesure annoncée risque de grever fortement la compétitivité de notre agriculture, notamment celle des secteurs des fruits et légumes et de la vigne. À la cave coopérative de Corneilhan, par exemple, entre trente et quarante emplois saisonniers seront concernés par cette mesure. Dans le département de l'Hérault, 72 % des employeurs agricoles ont recours à des travailleurs saisonniers.

Nos agriculteurs et nos viticulteurs méritent mieux. Avec un salaire moyen de 350 euros par mois pour un agriculteur sur trois et un suicide tous les deux jours, il ne s'agit plus de faire des effets de manche. Donner d'un côté pour reprendre de l'autre, telle est la véritable limite de votre politique du « en même temps ». Ce sont les agriculteurs et les viticulteurs français qui en subissent les conséquences. Malheureusement !

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