Intervention de Stéphane Travert

Séance en hémicycle du vendredi 14 septembre 2018 à 15h00
Équilibre dans le secteur agricole et alimentaire — Article 11 septies a

Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation :

Nous partageons ce souci de transparence et, pour que les consommateurs sachent ce qu'ils achètent, nous souhaitons poursuivre nos avancées en matière d'étiquetage. On peut les juger trop lentes, mais, depuis quinze mois que j'ai la responsabilité de ce ministère, nous nous évertuons à aller dans ce sens, au niveau national – parce que ce débat traverse notre société, et c'est bien naturel – , mais aussi au niveau européen, comme votre rapporteur l'a rappelé.

Car, si je suis bien évidemment favorable à la transparence en matière d'étiquetage, cela relève de la réglementation européenne. Telle est aujourd'hui la réalité : dans un contexte de libre circulation des marchandises au sein d'un marché unique, une telle obligation ne pourrait s'appliquer qu'aux produits français.

En ce qui concerne l'étiquetage des modes de production, je rappelle que j'ai saisi le Conseil national de l'alimentation d'une expérimentation qui doit se poursuivre jusqu'à la fin de l'année 2018. Si le Gouvernement a fait le choix de commencer par une expérimentation, c'est que ce sujet est beaucoup plus compliqué qu'il n'y paraît : il ne s'agit pas simplement d'apposer une mention sur une étiquette. Un animal élevé au pâturage doit-il y rester toute sa vie, la moitié de sa vie ou seulement quelques jours ? Comment peut-on contrôler ces éléments ?

S'agissant des produits phytosanitaires, les risques pour la santé du consommateur sont déjà pris en compte par l'évaluation scientifique et la fixation des limites maximales de résidus, les LMR. Les services de l'État réalisent tous les ans près de 6 000 contrôles, et je vous rappelle que le dernier budget voté par cette assemblée accroît les moyens du contrôle sanitaire de cette réglementation. Ces 6 000 contrôles aboutissent à des mesures de retrait des produits impropres à la consommation.

En outre, la mesure proposée par ces amendements serait inopérante s'agissant du grand nombre de fruits et légumes distribués en vrac et sans emballage. Pour un même producteur, leurs traitements peuvent varier d'une parcelle à l'autre en fonction de l'emplacement ou de la qualité du sol. Cela suppose donc de revoir complètement les circuits de collecte, de transmission des denrées ou de distribution.

Cette mesure aurait pour effet pervers d'homogénéiser les traitements phytosanitaires alors que nous cherchons à en limiter l'usage au strict nécessaire au regard de la menace sanitaire.

Enfin, vos amendements reviendraient à imposer les informations dont vous avez fait état sur les étiquettes des fruits et légumes français, sans que ce soit le cas pour les produits en provenance de Pologne, d'Espagne et du Portugal. Nous savons d'ailleurs que les fruits et légumes d'Espagne en particulier sont toujours au coeur de l'actualité de l'été en raison de la concurrence accrue dont ces productions sont l'objet alors que les bases de traitement, nous le savons aussi, ne sont pas du tout les mêmes – d'où notre volonté d'inviter les consommateurs à préférer les produits d'origine française.

L'étiquetage des denrées alimentaires issues d'animaux nourris avec des OGM – rappelons que la France n'en produit pas – soulève également diverses questions : combien d'OGM ? pendant combien de temps ? comment enclencher un étiquetage ? comment contrôler ? Il est en effet impossible de savoir si une viande est issue d'un animal nourri aux OGM et, de surcroît, un tel contrôle ne pourrait avoir lieu que dans les élevages : avons-nous les moyens de vérifier ce qu'il en est aux États-Unis, au Brésil ou de l'autre côté de l'Océanie ? Cela entraînerait des distorsions de concurrence – le soja génétiquement non-modifié, par exemple, est 20 % à 30 % plus cher – à quoi s'ajoutent des conséquences négatives en termes d'image.

Je précise qu'un dispositif d'étiquetage « sans OGM » existe déjà, qui permet aux filières ayant fait ce choix-là – nous en avons, en France – de valoriser leur démarche auprès des consommateurs, dont la liberté de choix est donc déjà satisfaite.

Nous devons avancer – et nous le faisons avec les contraintes que vous connaissez. Sur le plan national, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, nous avons saisi le Conseil national de l'alimentation, le CNA, sur cette question de l'étiquetage. Nous ferons aussi évoluer ce dernier puisque, à l'issue des états généraux de l'alimentation, nous avons décidé d'en faire le véritable parlement de l'alimentation en France. Nous modifierons sa tutelle – que le président du CNA, Guillaume Garot, connaît bien – aujourd'hui exercée par trois ministères, dont le ministère de l'agriculture. Le CNA relèvera désormais du ministère de la transition écologique et solidaire, car il importe que les questions environnementales soient également parties prenantes de ses travaux. J'ajoute qu'il sera ouvert à un plus grand nombre d'ONG, une demande ayant été formulée en ce sens.

Je prends un engagement devant vous et je le tiendrai, comme j'ai déjà eu l'occasion de le faire à d'autres reprises : nous soutiendrons cette exigence sur le plan européen, nous travaillerons sur ces sujets avec les commissaires européens. Vous le savez, nous bénéficions aujourd'hui, pour le lait et les produits carnés, d'une expérimentation d'étiquetage d'origine obtenue par mon prédécesseur Stéphane Le Foll. A l'époque, la France avait dû batailler très dur. Bien évidemment, des pays voisins, des partenaires, n'étaient pas totalement d'accord : les Allemands, les Hollandais ou les Belges voyaient d'un très mauvais oeil cette expérimentation française, notamment s'agissant des produits laitiers, puisque la concurrence s'exerce également en la matière.

Les mentalités sont en train d'évoluer sur le plan européen aussi. J'ai rencontré nombre de mes homologues qui, aujourd'hui, travaillent à réaliser ce que nous avons réussi à faire avec les états généraux de l'alimentation. D'une certaine façon, ceux-ci font des émules dans d'autres pays européens. Plusieurs États, poussés par leur opinion publique, se sont emparés de ces questions. Nous devons avancer collectivement.

Puisque le débat et la responsabilité sont européens, je propose que nous défendions ces questions sur le plan européen. Bien évidemment, je vous rendrai compte de la situation autant de fois que vous le jugerez utile. Je vous dirai à quelle vitesse nous avançons, comment nous travaillons, comment nous pouvons travailler ensemble et parler un langage commun sur ces questions, puisque je partage ces objectifs avec vous – il y va de la transparence et du contrôle du Parlement sur le pouvoir exécutif.

J'émets donc un avis défavorable aux amendements, sauf pour celui qu'a défendu le rapporteur Jean-Baptiste Moreau, sous-amendé par Mme Limon.

Je souhaite que nous puissions trouver des solutions sur le plan européen et national par le biais du CNA : tel est l'engagement que je prends devant vous, car nous le devons aux consommateurs, à nos concitoyens qui sont dans l'attente. Je suis prêt à m'inscrire dans un cadre national et européen pour agir de manière concrète, efficace et le plus rapidement possible.

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