Intervention de Éric Diard

Séance en hémicycle du lundi 17 septembre 2018 à 16h00
Lutte contre la fraude — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Diard :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, chers collègues, je tiens avant toutes choses à remercier M. de Saint-Martin, qui a accepté d'échanger sa place avec moi dans cette discussion générale.

On estime que le montant annuel de la fraude fiscale est compris entre 20 et 80 milliards d'euros, voire 100 milliards d'euros, selon un rapport publié jeudi dernier. C'est autant, si ce n'est plus, monsieur le ministre, que le déficit budgétaire de 2018, estimé à 80 milliards d'euros. À l'heure où le Gouvernement procède aux ultimes arbitrages pour le projet de loi de finances pour 2019, on peut imaginer ce que représentent ces 100 milliards de manque à gagner : ce sont autant d'augmentations d'impôts que l'on pourrait épargner aux classes moyennes; c'est autant d'argent qui aurait pu être investi dans nos écoles, pour la protection de nos concitoyens et pour donner à la fonction publique les moyens dont elle manque cruellement.

La fraude fiscale a un coût pour l'État, mais elle a aussi un coût moral bien plus grand pour le contrat social qui fonde notre société. En effet, les millions de Français qui voient arriver leur feuille d'imposition chaque année éprouvent d'autant plus de douleur qu'ils savent que d'autres se permettent d'y échapper au mépris de la loi. L'atteinte morale est plus forte encore quand la fraude fiscale est commise par des responsables publics, car ils ont reçu un mandat du peuple pour les représenter et pour défendre l'intérêt général. En ces temps économiquement difficiles, il est d'autant plus inadmissible que ceux qui demandent des efforts aux Français se soustraient aux obligations qu'ils mettent eux-mêmes en place. C'est pourquoi toute loi qui se propose de lutter contre la fraude fiscale est une loi qu'il est nécessaire d'adopter. Notre groupe votera donc évidement ce texte, qui comporte un certain nombre d'avancées.

Néanmoins, je voudrais vous rappeler que la lutte contre la fraude fiscale n'a attendu ni le nouveau monde, ni l'affaire Cahuzac pour se mettre en place. Déjà, en 2009, c'est sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy et de son gouvernement, dont vous faisiez partie, monsieur le président de la commission des finances, que la liste des paradis fiscaux – les États et territoires non coopératifs – a été adoptée par l'OCDE. L'article 11 du présent projet de loi a pour ambition de revoir cette liste. En effet, le monde bouge et, dans une société où l'on peut déplacer des milliards d'euros en quelques secondes et en un clic de souris, la fraude fiscale évolue, elle aussi. Elle se joue de nos législations et de nos frontières, comme nous l'ont révélé les Panama papers, puis les Paradise papers. C'est pourquoi nous devons être tout aussi réactifs et vigilants, ce qui implique de revoir régulièrement la liste des pays non coopératifs en matière fiscale. Cela étant, cette avancée ne saurait se limiter à une évolution seulement française.

S'il est un domaine où l'Union européenne peut intervenir et où nous avons besoin de tous nos partenaires européens, c'est bien celui de la lutte contre la fraude fiscale, qui coûte chaque année plus de 1 000 milliards d'euros à l'Union européenne. J'invite donc le Gouvernement et la majorité à ne pas se satisfaire des avancées que nous nous apprêtons à voter. Nous devons continuer à les faire valoir auprès de nos partenaires, afin d'apporter une réponse européenne à ce problème qui dépasse largement le seul cadre national. En effet, si nous sommes seuls à dénoncer les agissements opaques et les États à la politique fiscale agressive, nos efforts et les moyens que nous mettons en oeuvre pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscales seront vains.

Ces moyens figurent pour la plupart à l'article 1er du projet de loi. Il nous semble qu'ils pourraient être plus efficaces ou, du moins, employés plus judicieusement. En effet, vous prévoyez la création d'une police fiscale spécifique, constituée de cinquante officiers du fisc. Si c'est effectivement un excellent message envoyé aux fraudeurs fiscaux, on peut redouter que cette police fiscale fasse doublon avec la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale – BNRDF. Elle risque même d'être contre-productive, en créant une concurrence entre les services, qui pourraient refuser de coopérer ou qui auraient des difficultés à communiquer ou à travailler conjointement.

Vous avez précisé, monsieur le ministre, que pour éviter cela, la police fiscale serait saisie des cas de fraude fiscale les plus simples. La BNRDF, elle, garderait toute sa compétence dès que les cas de fraude fiscale seraient plus lourds, complexes ou simplement connexes à d'autres infractions, comme le blanchiment ou la corruption. Néanmoins, en raison de cette répartition des dossiers et du fait qu'en général, le délit de fraude fiscale survient rarement seul, il se pourrait que la police fiscale soit sous-employée. Peut-être serait-il préférable de renforcer la BNRDF en lui donnant plus de moyens, plutôt que de créer une seconde entité, même si, au cours de nos travaux sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, nous avons noté avec Mme la rapporteure l'existence de polices fiscales en Europe.

Je souhaiterais également appeler l'attention de mes collègues sur l'article 7 que nous étudierons bientôt. Cet article instaure une amende administrative à l'encontre des professionnels, en particulier les avocats, qui ont permis ou aidé leurs clients à commettre des actes sanctionnés d'une majoration de 80 % par le fisc.

En l'état, ce dispositif pose un problème. Imaginons qu'un contribuable fasse l'objet d'un redressement après avoir suivi les conseils d'un professionnel. Ce dernier se verrait infliger une sanction administrative. Mais que se passerait-il si le contribuable faisait appel de son redressement ? La sanction administrative de son conseil serait-elle suspendue ? Le texte n'en dit rien. Je souhaiterais avoir des précisions sur ce point. Dès lors, se posent deux questions, à commencer par celle du secret professionnel. Le conseil se trouverait en effet dans une situation délicate s'il souhaite faire appel de sa sanction car il pourrait être amené à révéler des éléments susceptibles de trahir le secret professionnel.

La seconde question, d'ordre constitutionnel, concerne le respect de la présomption d'innocence : ce dispositif, tel qu'il est prévu, pourrait conduire à sanctionner un professionnel, alors que son client aurait été relaxé en appel. C'est pourquoi je souhaite appeler l'attention de mes collègues et du Gouvernement sur ce sujet, soit pour obtenir des clarifications, soit pour réfléchir à un dispositif qui corrigerait ces inconvénients – par exemple, en ne rendant possible la sanction administrative que lorsque la sanction du contribuable aurait revêtu un caractère définitif.

Enfin, ce projet de loi mettra fin, après un an de débats acharnés, au verrou de Bercy. Lors de l'examen du projet de loi de moralisation de la vie publique, des amendements avaient été déposés pour supprimer ce verrou, qui ne permet la poursuite pénale des infractions fiscales que sur accord du ministre chargé du budget. Devant la complexité du dossier, la commission des lois et la commission des finances ont alors créé une mission d'information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, que j'ai eu l'honneur de présider.

Force est de reconnaître que nous avons donné tort à Clemenceau, qui disait que pour enterrer une réforme, il suffisait de créer une commission.

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