Intervention de Gérald Darmanin

Séance en hémicycle du lundi 17 septembre 2018 à 21h30
Lutte contre la fraude — Article 4

Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics :

Je voudrais répondre aux interrogations de M. le président de la commission des finances, de M. de Courson ainsi que de tous les membres de la commission des finances, en lien avec les engagements que nous avons pris et l'important travail réalisé.

Cet article est délicat et médiatique, mais aussi nécessaire. Le Gouvernement a retiré l'amendement qu'il avait déposé et propose, à la place, de sous-amender l'amendement de Mme la rapporteure, si celle-ci le permet. Nous nous sommes mis d'accord sur une rédaction qui convient également à la volonté consensuelle de M. le président de la commission des finances.

Je voudrais d'abord dire que nous répondons à la demande que la représentation nationale, sur tous les bancs de cet hémicycle, a formulée depuis longtemps. M. de Courson a bien voulu rappeler que l'Assemblée nationale et le Sénat cherchent depuis longtemps à définir un régime fiscal pour les plateformes. Il s'agit cette fois non de freiner mais d'accompagner, si possible dans un contexte où la concurrence ne doit pas être si éloignée du régime fiscal du monde physique.

Monsieur de Courson, vous m'aviez déjà interpellé sur ce sujet au lendemain de ma nomination au Gouvernement. Évoquant l'amendement dit « Cherki », qui concernait pour l'essentiel – mais pas exclusivement – les plateformes de type Airbnb, vous m'aviez demandé pourquoi le décret d'application n'était pas pris. Je vous avais répondu qu'il ne pouvait pas l'être car l'amendement était mal rédigé. Vous m'aviez alors demandé d'intervenir, ce que nous avons fait, y compris sur des sujets comme celui des cartes prépayées et domiciliées à Gibraltar.

J'ai rassemblé ici quelques citations, venant de tous les bancs, qui ne sont nullement contradictoires – car, je le répète, notre volonté est consensuelle. M. de Courson m'invitait ainsi, en séance, « à rendre obligatoire la transmission par les plateformes de location de manière automatique ».

Le 10 octobre 2017, en commission, il estimait qu'« en proposant de soumettre les plateformes à l'obligation de déclarer une fois par an les revenus qu'elles génèrent, l'amendement apporte une innovation intéressante ». Il s'agissait là de « la voie à suivre, plutôt que de créer un dispositif propre à l'économie collaborative », qui donnerait toutes les données fiscales.

Le 30 novembre 2016, monsieur de Courson, vous demandiez au gouvernement de l'époque une transmission annuelle des revenus, par personne.

Le 8 décembre dernier, M. Woerth, m'interpellant directement, estimait que le Gouvernement était « un peu mou sur tous ces sujets », alors que l'adjectif me caractérise assez peu. Remarquant que « tout le monde est passé au numérique, aujourd'hui », il nous encourageait à aller plus loin. S'agissant des hôteliers, qui disposent d'un site ou d'une plateforme, vous invitiez, monsieur le président de la commission, à ne pas faire « deux poids, deux mesures » avec les professionnels des plateformes, et à transmettre l'intégralité des données fiscales des citoyens qui utilisaient la plateforme que ce soit en tant que client ou que loueur.

Je constate, monsieur le président de la commission, que vous avez mis un peu d'eau dans votre vin.

Le 20 novembre dernier, vous m'avez tout de même reproché que la déclaration obligatoire ne soit pas suffisamment claire, alors que les plateformes internet prospèrent.

D'autres, comme Gilles Carrez, estimaient qu'à ce stade, les pressions à la déclaration à l'administration fiscale étaient nécessaires et qu'elles devaient intervenir dans un continuum.

Pour la majorité, M. Roseren demandait l'obligation de déclaration, suggérant d'« avancer la date d'entrée en vigueur » pour contrôler l'intégralité des perceptions faites par les citoyens. On voit bien qu'il s'agissait d'une demande très forte auprès de l'administration.

Dans son excellent rapport sur la fraude, qui a été évoqué ici, Mme la rapporteure évoquait elle-même la question de la sujétion aux obligations déclaratives des transactions portant sur des revenus exonérés. À la page 132, elle souhaite « sans aller jusqu'à une exclusion a priori, prévoir un seuil annuel par utilisateur, en deçà duquel la plateforme serait dispensée de ses obligations de transmission ». L'amendement que nous co-rédigerons correspondra bien à cette volonté.

Pour le public qui nous écoute et nous regarde – la presse s'est encore fait écho aujourd'hui d'un certain nombre de contre-vérités – , il est important de distinguer ce qui devrait exister dans le monde physique et ce qui est purement virtuel.

Par exemple, dans le monde physique, le propriétaire d'un appartement loué devrait trouver un locataire, par l'intermédiaire soit d'une agence immobilière soit d'une connaissance. Il devrait déclarer les revenus perçus au titre de la location de l'appartement et payer un impôt dessus.

Il est anormal – tout le monde en est conscient – que des personnes louant un appartement par l'intermédiaire d'une plateforme ne paient pas la taxe de séjour aux collectivités locales et n'incluent pas les montants issus de la location dans leur revenu fiscal. Cela provoquait d'ailleurs l'ire de M. de Courson, et d'autres.

Il est tout aussi anormal que des plateformes comme Airbnb – il y en a d'autres, je ne voudrais pas faire de publicité particulière pour celle-ci, avec laquelle nous travaillons – puissent déclarer les données fiscales des loueurs à l'administration, pour pouvoir payer la taxe de séjour, et s'assurer que les collectivités locales la touchent bien.

Puisque la taxe de séjour est payée par les hôteliers, il n'y a aucune raison qu'elle ne soit pas une recette pour les collectivités locales dans le cas des locations par l'intermédiaire d'une plateforme. Il convient aussi, pour qu'il n'y ait pas de concurrence malsaine avec le monde physique – agents immobiliers, hôtels – , que les revenus provenant de cet investissement locatif soient déclarés.

C'est pour cela que nous prévoyons l'automatisation des échanges de données fiscales – c'était l'une de mes réponses à la question d'actualité de M. de Courson. Cette affaire sera donc définitivement réglée s'agissant du monde numérique. Ce n'est pas parce que vous êtes une start-up ou un site internet que vous devez vous extraire de la fiscalité. Si vous proposez ce qui, dans le monde physique, donnerait lieu à de la fiscalité, il n'y a aucune raison que vous ne la payiez pas.

J'ai lu un sondage selon lequel 77 % des Français retirant des bénéfices de l'économie numérique indiquaient qu'ils ne les déclaraient pas comme des revenus fiscaux. Il y a manifestement une fraude fiscale à ne pas déclarer les revenus, parfois peu importants, parfois très importants générés par les biens que vous proposez sur une plateforme.

Aussi, le Gouvernement – Mme la rapporteure également, me semble-t-il – veut d'abord mettre dans le monde numérique les mêmes règles fiscales que dans le monde physique. Quant au débat sur le niveau de cette fiscalité, il devra se tenir dans le cadre du PLF, non ici, où nous débattons de la lutte contre la fraude.

Un second pan de l'économie numérique ressort de l'économie collaborative, du partage de frais.

Par ailleurs, s'agissant de la vente d'objets relevant de la brocante, il doit en aller de même dans le monde physique et dans le monde numérique. À la brocante de Chantilly ou de Tourcoing, je peux vendre à M. Woerth ma poussette d'occasion – bien que, n'étant pas père de famille, je n'en aie pas.

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