Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du mardi 25 septembre 2018 à 15h00
Croissance et transformation des entreprises — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier :

Nous sommes convaincus que, pour cette civilisation qui vient, nous avons à penser, à l'échelle des territoires comme à celle de la planète, des rives propres à canaliser l'esprit d'entreprise, notamment s'agissant des superpuissances que sont devenues les multinationales, lesquelles échappent aujourd'hui au droit commun. Nous n'opposons pas puissance publique et esprit d'entreprise, car nous faisons l'expérience que, partout où elles existent – je connais bien celles liées au partage de la terre – , les régulations intelligentes créent une valeur ajoutée environnementale, sociale et économique, alors que le libéralisme est source d'appauvrissement dans ces trois domaines. Le rôle du politique doit être d'additionner ces forces, de façon inédite.

À gauche, nous pensons que la solution n'est pas dans la fermeture au monde, mais dans une nouvelle manière de l'appréhender. Mireille Delmas-Marty évoquait, à propos de certaines lois que nous avons défendues, une « souveraineté solitaire », qui devait faire place, progressivement, à une « souveraineté solidaire ». C'est cette ambition que nous voulons concrétiser, celle d'une France qui invente de nouveaux droits et devoirs dans la mondialisation et qui est capable d'offrir des instruments et d'être source de dialogue au niveau international, par l'Europe, avec l'Europe – à tout prix. Nous appelons de nos voeux un nouveau pacte fiscal européen, un nouveau rôle des banques à l'échelle de l'Union, un commerce extérieur revisité, une pensée commune européenne. Nous voulons aujourd'hui porter la parole d'une gauche qui a confiance dans l'esprit d'entreprise, qui croit à un New Deal entre l'esprit d'entreprise et la puissance publique et qui est convaincue que l'Europe est le cadre et le creuset de cette nouvelle entreprise au XXIe siècle.

Nous aurons l'occasion de développer les neuf idées que nous portons, et sur lesquelles j'aimerais me concentrer maintenant. Nous espérons que ces neuf idées, que vous avez si peu entendues, pour la plupart d'entre elles, jusqu'à présent, ouvriront un dialogue en profondeur, débarrassé de toute scorie ou péripétie. Nous espérons avoir l'occasion de dire en quoi elles heurtent votre visée en matière de « nouvelle prospérité », pour reprendre vos mots, monsieur le ministre.

Cette prospérité ne nous semble en aucun cas, bien au contraire, mise en cause par nos propositions. Il faudrait, à moins de penser que les externalités négatives des entreprises sont une fiction, élaborer une nouvelle rédaction de l'article 1833 du code civil, en utilisant des termes appropriés : les sociétés doivent être gérées conformément à l'intérêt de l'entreprise, en tenant compte des conséquences économiques, sociales et environnementales de leur activité. Les mots ont une importance, et ceux-là diffèrent de ceux que vous proposez. Nous aurons un débat sur ce point.

Si vous ne considérez pas que les salariés sont une charge et un poids pour l'entreprise, si vous considérez que leur propre génie et leurs avis sont un atout pour elle, alors vous accepterez nos propositions visant à ce que les représentants du personnel constituent un tiers des membres du conseil d'administration dans les entreprises de plus de 1 000 salariés et la moitié dans celles de plus de 5 000 salariés. Huit pays européens ont développé ce modèle et s'appuient sur la codétermination pour leur prospérité : résultat, ils ne connaissent pas la crise.

Si vous considérez comme nous qu'il y a eu une immense déformation de la répartition de la valeur ajoutée entre la rémunération du capital et les salaires depuis les années 1990, alors vous accepterez la transparence des salaires et notre idée de les encadrer. En effet, des écarts de salaire dépassant un rapport de 1 à 12 ou de 1 à 20 représentent davantage un privilège qu'une véritable charge. Nous proposons, pour encadrer ces écarts de salaire, de nouvelles règles fiscales à même de redonner de la cohérence, de la cohésion, de l'imagination et de la créativité dans notre société et au sein de l'entreprise.

Si vous ne considérez pas que l'épargne salariale et la participation des salariés constituent uniquement des mécanismes de redistribution, si vous pensez qu'ils peuvent être un investissement pour le futur, alors vous accepterez que nous fléchions l'essentiel des aides fiscales à l'épargne retraite et à l'épargne salariale vers la transition énergétique, parce qu'il nous semble qu'il n'y a pas d'autre urgence aujourd'hui pour notre planète, pour notre économie et pour nos sociétés.

Si vous ne considérez pas l'économie sociale comme un pis-aller et comme l'idiot utile du capitalisme, alors vous accepterez que nous la renforcions. La commission spéciale est parvenue à un accord politique sur la modernisation du statut des sociétés anonymes à participation ouvrière – SAPO – , ce dont nous nous félicitons et vous remercions. Nous proposons deux autres éléments très concrets : la codétermination authentique des sociétés à mission au sein des entreprises et la création d'un label lisible, public et d'avenir pour l'économie sociale et solidaire, qui réponde aux attentes de ce secteur.

Enfin, si vous ne considérez pas – et ce point est extrêmement important à nos yeux – que nos bases fiscales sont aujourd'hui loyales, alors vous accepterez que l'intégralité des données fiscales soient communiquées aux instances représentatives du personnel, afin que la loi soit conforme à la Constitution. En élargissant les bases fiscales pour les puissances publiques française et européenne, nous espérons pouvoir diminuer le taux de l'impôt sur les sociétés pour l'ensemble des entreprises, notamment les petites et les moyennes.

Nous formulons enfin, autour d'un « pacte de la PME », une dizaine de propositions pro-entreprises destinées à favoriser leur loyauté et leur enracinement. Elles vont du droit de suite pour l'artisanat à un statut de jeune entrepreneur, en passant par la prise en considération de la priorité des créances dans les entreprises en difficulté et la capacité à avoir accès aux marchés publics dans ces phases délicates. Ces propositions très concrètes visent à redonner des chances à des entreprises connaissant des phases de transition ou de crise.

Voilà les idées novatrices que nous voulons défendre farouchement. Je voudrais, pour finir, rappeler qu'elles ont une histoire. Ces idées neuves pour l'entreprise au XXIe siècle proviennent essentiellement de débats organisés au collège des Bernardins depuis une dizaine d'années. Ces discussions ont vu la confrontation d'hommes et de femmes comme Antoine Lyon-Caen, Armand Hatchuel ou Blanche Segrestin. Je voudrais leur rendre hommage aujourd'hui, comme à Olivier Favereau et à Christophe Clerc. Leurs travaux pluridisciplinaires et ouverts, associant des ONG, des syndicalistes, des entrepreneurs et des chercheurs de plusieurs disciplines, ont renouvelé le cadre théorique et la pensée de l'entreprise. Avec Boris Vallaud, Régis Juanico et Marie-Noëlle Battistel, responsables de ce texte pour notre groupe, nous avons fait de même et avons travaillé pendant une trentaine d'heures avec des entrepreneurs, des chercheurs, des ONG et des syndicalistes pour élaborer les amendements que nous avons déposés. Nous espérons que ces derniers seront examinés avec attention, car ils font écho à des travaux importants, engagés par Alain Supiot et Cynthia Fleury, et à plusieurs appels lancés dans ce pays et en Europe pour renouveler profondément l'entreprise.

Une grande loi sur l'entreprise ne pourra pas faire l'impasse sur les débats que nous relayons. Nous espérons que non seulement nos amendements seront acceptés, mais qu'ils permettront, à ceux qui n'ont pas fait ce parcours, de découvrir une source intellectuelle nouvelle dans le débat public.

Enfin, nous inscrivons l'ensemble de nos propositions dans une visée européenne. Nous sommes à quelques mois d'élections européennes qui ne peuvent que terroriser tous les démocrates et les personnes détenant les responsabilités du pouvoir, qui voient le monde se déliter et les nationalismes et les populisme monter. Nous croyons profondément, avec Boris Vallaud, avec notre mouvement politique et au-delà de ce dernier, que l'entreprise européenne au XXIe siècle doit se distinguer des modèles asiatiques de capitalisme d'État et des modèles néolibéraux anglo-saxons.

Nous devons, autour de l'éthique européenne, de nos fondements philosophiques et de notre histoire singulière, bâtir un modèle européen de l'entreprise qui nous permette d'engager le dialogue de la mondialisation avec des éléments de compétitivité ancrés dans notre histoire et capables de rassembler les forces démocratiques de notre pays. Une agence de la mobilité, une fiscalité transparente et loyale à l'échelle européenne, l'extension du principe de codétermination à toutes les entreprises européennes, le devoir de vigilance, inventé par la France, et le respect des droits humains et de l'environnement par nos sous-traitants au bout du monde constituent des principes pouvant fonder une éthique européenne de l'entreprise ; ce projet de loi pourrait en être l'esquisse, à la condition que nous ne nous payions pas de mots, que nous allions au bout des débats et que vous acceptiez les amendements que nous défendrons.

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